Pour l’avenir du vin, pronons l’initiation plutôt que l’éducation

J’allais écrire sur le sujet de la collection Vassal, qui va vraisemblablement déménager suite à une doublement (voire un triplement) du loyer imposé à l’INRA, son gardien, par le propriétaire des terres sur lesquelles elle est installé : j’ai nommé Vranken (ou Castel, je ne sais plus !). Mais Jim et Agniezska en ont déjà parlé sur ce support, puis l’affaire s’annonce plus complexe que je ne pensais (c’est souvent le cas d’ailleurs). Un bon journaliste doit vérifier et contrôler ses sources, sans se fier à une seule d’entre elles. Et il semblerait bien qu’une seule source serait à l’origine de cette pétition (que j’ai signée du reste, avec bien d’autres bonnes âmes, comme Jim a souligné). Car le réchauffement climatique et ses effets probables sont aussi à intégrer à l’équation. Les sables de Listel sont notoirement inondables par la mer, et cette collection remarquable pourrait bien se perdre d’une manière plus radicale encore si elle ne déménage pas vers des terres plus hautes. Après, le lieu du déménagement semble contestable, mais on reviendra probablement sur cette affaire complexe. Même si le fait du déménagement semble maintenant être entendue, cette pétition aura au moins eu le mérite de démontrer que bien du monde s’intéresse aux cépages et à la préservation de la diversité.

Mais aujourd’hui je veux vous parler d’un autre menace qui plane sur le vin dans ce pays, par le biais du lobby hygiéniste. Et je vais aussi, pour nos jeunes générations, prôner plutôt l’initiation au vin (comme Michel et Georges l’ont fait) suite à quelques interventions assez remarquables qui ont eu lieu pendant la colloque récent,  intitulé Vino Bravo et co-organisé à Bordeaux le 30 novembre par Vin & Société et Le Point. J’ai assiste à ce colloque, dont le thème annoncé était « Raisins et Raison font-ils bon ménage? ». Le contenu figure dans le document ci-dessous.

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L’article du Michel d’hier à permis déjà d’affleurer ce sujet, avec les bels exemples cités par Georges Truc dans son commentaire, entre autres. L’intervention de Michel Maffesoli lors du colloque présenté ci-dessus m’a permis de voire la question de l’initiation au vin sous un autre aspect que celui de l’éducation, prônée urbi et orbi par beaucoup (et pas de doute qu’il en faut aussi). A propos d’éducation, je vous rappelle quand même ceci :

Effectivement, il faut se poser la question de savoir si les jeunes, ayant subi je ne sais pas combien d’année de cours, seront amenés à s’intéresser au vin en suivant des « cours » sur ce sujet, souvent assez chiants du reste.  Le sociologue (mais j’ai l’impression de cet homme-là ne rentre pas dans les cadres de l’étiquetage) Michel Maffesoli nous a fait une brillante démonstration de sa connaissance du grecque ancien et de la mythologie grecque, comme de sa maîtrise de l’approche des sophistes. J’aime bien cela, et son intervention nous a fait décoller des sombres histoires d’alcool dont il était par ailleurs largement question, mais pas seulement (et tout crédit aux organisateurs pour l’équilibre du contenu de cette journée).

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Michel Maffesoli

En matière de vin, Maffesoli préfère de loin l’initiation à l’éducation, trop rigide pour lui. Il a fustigé le grand fantasme de l’aseptisation de la vie, qui lui semble une illusion qui peut mener au pire, y compris à la barbarie du type « binge drinking ». Il donne un autre exemple de la perversion du fantasme hygiéniste : vous entrez à l’hôpital pour soigner un bras cassé et vous sortez (ou pas) avec une maladie nosocomiale. Selon Maffesoli, il vaut mieux intégrer la part d’ombre que existe en nous, en la ritualisant par un festif qui renvoi au présent, plutôt qu’aux « lendemains qui chantent », chers aux idéalistes dogmatiques de tous bords. Il a cité en exemple le mythe de Dionysos, qui a permis de sauver la cité, menée vers l’échec par la rigidité rationaliste de Penthe, en se retrouvant autour de rituels afin de ne pas être prisonniers des excès : la convivialité, en somme.

Pour Maffesoli, vivre ensemble, partager le manger et le boire, contient une fonction eucharistique, ce qui signifie, au sens grec, de bien se souder les uns aux autres. On se retrouve dans la cité par des rituels, et, pour ce faire, il faut revenir à de l’initiation en matière de vin, et passer au-delà de la diététique ou même de l’éducatif. Car le grand danger, selon lui, c’est la morale, chose imposée par la société, par opposition à de l’éthique, chose choisie par l’individu. Le rationalisme morbide, qui sous-tend le moralisme hygiéniste, vire facilement vers du rationalisme paranoïaque, ce que nous voyons aujourd’hui dans les procès menés par l’ANPAA, par exemple. Il ne s’agit pas de rejeter la raison, mais de le pondérer par les sens, et par tous le sens. Dans l’animal humain, il reste quand même la part animale, et, en le rejetant, on invite la bestialité.

Je reviendrai sur d’autres aspects de ce colloque fort riche, dont notre collègue Jacques Dupont a été un des animateurs.

David

8 réflexions sur “Pour l’avenir du vin, pronons l’initiation plutôt que l’éducation

  1. mauss

    Faisant partie d’une génération qui a connu l’initiation au vin par le service du dimanche où les parents nous servaient un peu de vin avec de l’eau, cette approche est assez évidente. Sans parler des initiations pécheresses à finir les burettes parfois généreuses de quelques curés campagnardes à qui on servait la messe…
    Mais les habitudes alimentaires ont changé, on ne reviendra pas au passé. N’attendons pas d’une quelconque autorité la prise en charge de cette initiation ou même éducation : c’est aux parents de prendre les choses en main, en commençant, quand les ados vont en sortie chez des amis, à leur donner quelques topettes et laisser au vestiaire les vodka et autres boissons de binge.
    Mine de rien, David, on attend ton compte rendu de cette réunion bordelaise à laquelle, malheureusement, je n’ai pas pu assister. Dis nous tout !

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    1. Oui François, je suis d’accord que l’initiation ne peut venir que de l’entourage, et non pas d’une quelconque instance « officielle ». Pour un compte-rendu plus large, rendez-vous lundi prochain.

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  2. Alain Leygnier

    Petit rappel aussi adjacent qu’historique. Maffesoli était le directeur de thèse de Germaine Hanselmann, alias Elisabeth Tessier, astrologue de profession. La dite astrologue soutient le 5 avril 2001 une thèse intitulée, sans rire : « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes ». Cette thèse donne lieu à un livre intitulé « L’homme d’aujourd’hui et les astres. Fascination et rejet » (Plon). Maffesoli, est un sociologue. Donc, réputé scientifique, au moins tendanciellement, même si à titre de « science molle » (les sciences humaines) la scientificité de la sociologie fait problème aux yeux des partisans/praticiens des « sciences dures » (maths, physique, etc.). Grâce à Maffesoli, les horoscopes des journaux féminins, entre autres, ont acquis le statut de connaissance scientifique.

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  3. David, je te mets le commentaire que j’avais fait hier et qui a fait réagir Georges dans la foulée
    Mes enfants, ils sont grands maintenant, ont eu droit depuis tout petit à un dé à coudre de vin, s’ils le désiraient. Je mettais un rien de vin dans un petit verre à Xérès, ça faisait illusion. C’est une école du goût, du bon produit. Avant en France, on mettait un fond de vin dans la gourde d’eau pour aller à l’école (j’ai des témoins). Cela rendait l’eau un rien acide et rafraîchissante, c’était mieux que les softs drinks actuels bourrés de sucre ou pire d’édulcorant. Cela n’a pas fait des générations d’ivrognes. Aujourd’hui, on prend mille précautions dès qu’on parle du vin et des enfants. Avant tout se faisait naturellement et les gens étaient en meilleurs santés et mieux dans leur peau. Tu étais saoul, on t’expliquait en famille pourquoi. Aujourd’hui, dès qu’ado on peut sortir, on se bourre la gueule pour braver l’interdiction et ivre à en vomir, on se reste tout seul, largué par les ‘copains’ moins bourrés qui changent d’endroit.
    Je crois que s’il y avait moins de tabou autour du vin, on aurait moins de problèmes d’alcoolisation.

    Marc

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    1. Dire que tout était mieux avant, que les gens étaient en meilleure santé et qu’ils se sentaient mieux dans leur peau, me semble être de la pure nostalgie et ne correspond pas à la réalité. L’alcoolisme, pour ne parler que de lui, faisait des ravages et les non-dits, les cachoteries, les hypocrisies de toutes sortes étaient monnaie courante.

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      1. Je n’ai jamais dit que tout était mieux avant, mais avant on n’était pas pressé comme des citrons par une société pognon qui en plus veut nous encadrer de plus en plus, bientôt on ne pourra même pus aller au pute… On est parti dans une infantilisation grandissante de la population (au début sournoise, aujourd’hui au grand jour) qui finira par nous dire quoi manger, quoi boire, ou prendre ses vacances, quand baiser, en nous affirmant que c’est pour notre sécurité et que c’est un réel progrès de la société.
        Marc

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  4. Marc, j’avais vu ton commentaire et je suis évidemment en total accord avec ce que tu dis là.

    Alain, merci pour cet éclairage. Tessier et ses collègues me font rire quand elles ne me font pas pleurer. Si Maffesoli est vraiment à tenir responsable pour l’ascendance des horoscopes, ce dont je doute quand même un peu, il est coupable. Mais il y a une certaine dose de pensée magique dans son discours. J’ai bien dit qu’il me semblait avoir une tendance sophiste.

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  5. Alain Leygnier

    David. Maffesoli n’est pas responsable de l’ascendance des horoscopes. L’astrologie est une vieille histoire qui date de Ptolémée et de sa représentation du monde. Ca continue à marcher tout seul, même si l’astronomie moderne en a démontrée l’inanité. L’astrologie est une religion, à l’image, toutes choses égales, de la bio-dynamie. Maffesoli a donné une caution universitario-scientifique à un texte qui n’est ni sociologique ni épistémologique.

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