Montbourgeau, vin au féminin, portrait de vigneronne, accessible Etoile, gamberge bachique

Domaine de Montbourgeau, une étoile ne brille jamais seule

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Le soir tombe sur Lons-le-Saulnier que nous venons de dépasser. Le ciel scintille déjà de mille étoiles. Le temps glacial nous presse. Le lacet de bitume givré nous entraîne jusqu’au centre du village. Réceptacle ou calice, il s’entoure de cinq collines, cinq routes y conduisent. Nous voilà au centre de L’Étoile (AOP), il nous faut emprunter l’une de ses branches, Nicole Deriaux nous attend. Le quartier Montbourgeau où elle habite surgit bien vite. Un sentier étroit et nous voilà devant la bâtisse. Par la fenêtre s’aperçoivent quelques bouteilles aux ors chatoyants comme autant de bougies dans la pénombre allumées, la chaleur d’un feu, le sourire de Nicole.

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Le domaine, Victor Gros l’a acheté en 1920 à sa sœur qui ne s’y plaisait pas. Le grand-père de Nicole, lui, aimait cette belle propriété lovée sur les pentes du Montangis. Son fils Jean, dont la griffe marque le milieu des étiquettes, rehaussa le paysage de fruitiers, de bétail et de vignes. Nicole naquit là, en 1960, comme les germes de sa future fascination pour le lieu. Comme c’est curieux «la viticulture avec son pendant terreux n’est pourtant guère affaire de femmes.» Marne grise et angelots ne font guère bon ménage…

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Après des études d’œnologie et un stage en Champagne et dans le vignoble méditerranéen, elle revint au domaine reprendre avec son mari Marc Deriaux les 9 ha de vignes pour en soulager ses parents. Le Domaine Montbourgeau apparaissait enfin aux yeux voisins comme aux regards étrangers et alla comme il se doit rejoindre le dynamique firmament jurassien. Mais le destin ne l’entendait pas ainsi. Marc décède soudainement en 1997. Nicole, persévérante, s’occupe l’année qui suit du vignoble et veille sur la cave. Une famille, une clientèle fidèle et ce domaine particulier ont fait de Nicole une étoile naissante qui aujourd’hui transmet ce legs à la quatrième génération: ses deux fils.

 JURA + ANDRE 2009 283

Timide et modeste, Nicole n’écrit en effet son nom sur l’étiquette que depuis un peu plus de cinq ans. Elle est pourtant très déterminée. Les décisions, elle les prend, mais aime en parler, se concerter, cela va de pair, comme la réflexion: «réfléchir et imaginer se font ensemble, s’entrainent réciproquement, se stimulent». Son chiffre serait-il deux?  Comme pour le choix d’une cuvée, cela peut s’avérer épineux, «deux, ce serait mieux»… avancer deux styles pour mieux circonvenir son caractère dual. Pourquoi pas la Cuvée Spéciale et En Banode ? Après hésitation, la deuxième l’emporte.

Visuel Tonneaux vue de loin 

Son savoir œnologique eut un choc poétique lors de la dégustation d’un fût de Savagnin que son père lui avait laissé: «C’est comme ça que le veux travailler !» s’es inscrit tout de go dans son esprit réceptif. Depuis lors, Nicole est captivée par le lien entre savoir et compréhension et à l’opposé par la pureté simple qui règne de «l’autre côté» de la connaissance. Elle écoute avec autant d’intérêt ce qu’a à dire un oncle provençal, que ce que raconte un Jacques Puffeney ou ce que chantent ses tonneaux. Un vin ça se déguste  et à chacun sa vérité. Les jugements, les vins vedettes, les stars de ciné, ce n‘est pas son truc.                                       

Le Domaine Montbourgeau brille entre les deux, conscience et intuition, c’est ce qui entretient le respect qu’on lui porte. Et à l’intersection, elle comme le terroir se sentent libre. Nicole Deriaux n’est pas une femme sans ombre à la Hugo von Hoffmansthal*, pas une souterraine Lily pétrifiée. Mais bien une Lily vivante au service du terroir littéral et figuré de l’Étoile.

Dans le ciel, les étoiles brillent, les nuits d’hiver, même les plus discrètes brillent du même feu.

Dégustation de l’autre côté du miroir

En Banode 2007 L’Étoile Domaine de Montbourgeau  

Elle se mire tout d’or vêtue, le vêtement lui rappelle les déguisements d’antan, mais ce n‘est plus une enfant. On la regarde, on l’observe, on aimerait l’humer. Mais discrète, il faut plusieurs fois la respirer pour en percevoir et comprendre toute la générosité. Ce sont alors notes de noisette et de toffee qui s’accrochent à nos narines extasiées. Suivent de singuliers bouquets floraux qui, pour nous faire un pied-de-nez, débordent de feuilles de tomate, de fleurs d’oranger, de branches de céleri confit, soulignés de traits grillés, de brou de noix. Nous voilà amusé, on croit connaître la formule qui percera l’enchantement, mais non, ce n’est pas un baiser qui nous changera en prince charmant. Un sourire retenu nous est octroyé. Sur les lèvres le reflet humide des impressions salines, accents iodés qui rappellent le lointain passé maritime des pentacrines. Dans une atmosphère feutrée, le cristal de son ossature dévoile sa dentelle minérale. Attentive à nos réactions, elle continue sa progression, installe ses arômes végétaux, la suavité fraîche des agrumes confits. On remarque alors le contraste entre la douceur texturale et la vivacité d’esprit qui nous guide petit à petit jusqu’à l’âme du vin. Écho de salin que l’oxydation ménagée nous avait masqué. Le voile se lève enfin sur le caractère bien trempé, aux amertumes nobles et racées, gentiane, amande, aux poudrages épicés de curcuma et de coriandre qui en allongent l’expression élégante.

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En Banode assemble les Chardonnay et les Savagnin d’une même parcelle plantée dans les années 70, vingt lignes en tout. J’allais dans cette parcelle avec mon père, les Savagnin y sont mûrs en même temps que les Chardonnay. Vinifié en cuve inox, puis élevé un moment en foudre de 25 hl bien ouillé, puis relogé en pièces remplies, mais plus ouillées. Le 2007 est resté en élevage durant trois ans et demi en tout, je l’ai mis en bouteille au printemps 2011.

En définitive, l’assemblage, le couple, «ce mariage forcé» n’est-il pas la clé de cet équilibre dynamique façon yin & yang ? 

Comme il est curieux de se rendre compte que nos certitudes sont vaines. Que d’autres chemins réussissent tout aussi bien à nous emmener très loin…

 

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* La femme sans ombre est un opéra de Richard Strauss dont le livret fut écrit par Hugo von Hofmannsthal. 

L’argument du conte semble assez simple : l’Empereur des îles du Sud-Est – un simple mortel – a épousé la fille du Roi des Esprits, le puissant Keikobad. Mais l’Impératrice n’est pas pour autant devenue humaine, en témoigne le fait qu’elle ne projette aucune d’ombre. L’ombre qui pour Hugo von Hofmannsthal représente le symbole de la fécondité.

Ciao

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Marco aidé de son vieux pote Johan

 

 

5 réflexions sur “Montbourgeau, vin au féminin, portrait de vigneronne, accessible Etoile, gamberge bachique

  1. georgestruc

    Une superbe trame poétique pour nous faire découvrir ce domaine et ses vins ; nous irons sur les sentiers que tu viens à nouveau de tracer dans ce fabuleux vignoble du Jura, quelques pentacrines volées au sol dans les poches et, cœur ouvert, papilles vibrantes, à la rencontre de ces vins du domaine de Montbourgeau. Voilà du vrai, du concret, des sensations, des lumières, une âme, dans ce billet tel que je les aime. Bravo Marco,
    A ben leù a Castèu-Nòu-dóu-Papo.

    georges

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  2. On entre dans ce récit comme dans un univers chaud et féminin. Marc tient la porte et invite à le suivre. Nous on suit, avec un sourire béat et le coeur ému. On la voit cette dame sensible et tous ses talents. Son histoire devient un peu la notre, on entre dans la famille. Et puis le vin qu’on sent timide comme Elle, profond et suave, épicé bien sûr et surprenant. On reste suspendu à cet étonnement. De la belle ouvrage que ces mots là. Merci Marc.

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