Où Lalau évoque Maître Lao

Ils sont nombreux, ces temps-ci, les vignerons qui se déclarent «non-interventionnistes». Mais qu’est que ce ça veut dire, au juste ?

A priori, l’idée est séduisante. On se dit que s’il intervient moins, le vigneron est sans doute plus respectueux de son terroir et de la nature. Il s’agit quand même d’une grande évolution par rapport aux dernières décennies. Non seulement par rapport à la viticulture chimique, mais aussi par rapport à la viticulture dite «moderne», Peynaud, l’Ecole de Bordeaux, l’œnologie qui répare ou qui soigne.

Quand la vigne redevient sauvage (Photo (c) H. Lalau)

Tout et rien

Au tournant du  millénaire, déjà, certains vignerons s’en éloignaient ostensiblement ; conventionnels, bio ou biodynamiques, ces amoureux des terroirs nous disaient fièrement que «tout se fait à la vigne» (à commencer par de bons raisins). Aujourd’hui, ça va beaucoup plus loin: à les en croire, rien ne se fait à la cave.

Pas de levurage, pas de filtration, pas de soufre, rien. Voire pas de bâtonnage, ni remontage. Bon, on tolère quand même l’embouteillage, parce que sinon, il faudrait que chaque buveur vienne tirer son vin lui-même.

Vous trouvez ça un peu exagéré? Moi aussi. C’est un peu comme quand des buveurs de vins nature vous assurent qu’ils s’enivrent sans jamais être saouls. Mais c’est le lot de tous les grands courants de pensée: comme le courant, ils charrient toutes sortes de choses, toutes sortes de gens, y compris les plus caricaturaux.

Good practices

Et si l’on exclut les vignerons les plus caricaturaux du «non-interventionnisme», que reste-il ? Essentiellement des gens pratiques, et des «bonnes pratiques». Pour eux, moins, c’est mieux. Ils interviennent si c’est nécessaire, seulement si c’est nécessaire, en évitant les traitements à trop large spectre ou les manipulations justifiées par le fameux «principe de précaution».

Ces gens-là travaillent plus en amont: une vigne mieux conduite donne des raisins plus sains sur lesquels on aura moins besoin d’intervenir. Même si, soyons clairs : un vigneron digne de ce nom oriente la vinification, il fait des choix, depuis celui des dates de récolte à celui de la mise, en passant par les assemblages et le type d’élevage. Et puis, ne rien faire, c’est déjà un choix.

Lao-Tseu

Lao-Tseu, déjà…

Elevons le débat: ce non-interventionnisme a des bases philosophiques. Pour le démontrer, il nous faut en revenir à l’ami Lao-Tseu. A ceux qui ne connaîtraient ce grand penseur chinois que par Tintin («Il faut trouver la voie»), précisons que celui-ci avait justement défini une notion assez proche, le wúwéi (無爲), ou «non-agir».

Mais attention, le non-agir de Lao Tseu est on ne peut plus productif : comme l’écrit le philosophe «si l’on non-agit, la nature et ses dix mil êtres croissent et se multiplient».

Lao Tseu ne parlait évidemment pas des levures ou des bactéries susceptibles d’altérer le goût du vin. Ses «10.000 êtres» sont une allégorie.

 

Hervé 

5 réflexions sur “Où Lalau évoque Maître Lao

  1. Ma culture, mon éducation me poussent toujours davantage à « faire » plutôt qu’à « ne pas faire ».
    Avec « faire », la décision est assez facile à prendre, le chemin est tout tracé et on a finalement la satisfaction ou plus exactement l’impression du devoir accompli. A-t-on pour autant pris la bonne décision ? A-t-on pour autant progressé dans la connaissance de nos vignes, de nos vins ?
    Avec « ne pas faire », c’est plus complexe car on doit sortir des sentiers battus et prendre des risques. Et combien suis-je prêt à perdre (ou encore à investir) pour cette expérience, pour apprendre du nouveau ? Juste un petit rappel de la conception anglo-saxonne de la pédagogie : ce n’est pas en rendant un devoir juste (le « faire ») qu’on sait qu’on a compris mais en corrigeant les fautes qu’on a commises (avec le « ne pas faire ».
    Vous l’avez peut-être compris, je suis un grand partisan du « ne pas faire » (je ne parle pas du laisser-aller). C’est peut-être ce que certains nomment une philosophie de vie, respecter l’homme, la nature, les vignes, le vin…. A 60 ans passées, je trouve finalement l’Homme beaucoup trop interventionniste, le plus souvent par confort intellectuel. Voilà pourquoi dans ma courte vie de vigneron, je me suis engagé dès le départ sur le chemin du bio et du pauvre en sulfites. Bien sûr, j’ai eu des déconvenues parfois retentissantes mais primordiales si l’on veut arriver à réduire à sa plus simple expression le « faire ». Je suis aussi arrivé à présenter des vins que certains trouvent intéressants et aussi proches que possible de mon terroir d’altitude, au pied des Alpes provençales.

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    1. Bonsoir
      Il n’y a pas plus de risque de se tromper à  » faire » qu’à ne « pas faire »
      La seule question à se poser est celle de l’efficacité. Est-il toujours efficace d’agir ?
      Le problème de l’action est qu’elle oblige au choix donc à se priver en partie de  » ce qui était possible  » et souvent dans la nature ce qui était possible à un rapport avec l’équilibre de la plante. Fertilité, équilibre sanitaire, sont en lien direct avec l’entretien du sol, du feuillage donc de toutes nos interventions. Mais pour ce qui est de la fertilité, la litière forestière ou son pendant au vignoble savent faire sans que nous ne soyons obligés d’intervenir à tout crin. Nous pouvons orienter le cours de la vigne dans une direction donnée pourvu que nous prenions, à un moment donné, les bonnes décisions. [taille, entretien du sol, du feuillage, fumure] une fois ce dispositif en place, s’il est pertinent, il n’est nul besoin d’en rajouter.
      je ne résiste pas au plaisir d’insérer ces quelques mots de François Jullien.

      « Le non-agir prôné par les penseurs de la  » voie  » taoïste n’est pas l’envers de notre agir héroïque, ce n’est ni du renoncement
      ni de la passivité ni du désengagement,le non-agir enseigne au contraire comment réussir, avec l’importance de la formule
      « ne rien faire et que rien ne soit pas fait « . François Jullien ‘traité de l’efficacité’

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  2. georgestruc

    Débat difficile dès le départ. Intervenir ? Nous ne faisons que cela toute la journée…à moins de décider de faire de longues siestes, ce qui, en soit, reste du domaine de la décision, donc une intervention volontaire dans le cycle vital de la journée.
    Dans le monde de la viticulture l’intervention, tout au moins ce que j’en ai observé et retenu, possède un sens qui, à défaut d’être toujours bien défini, est assez clair. Dans la vigne, l’intervention la plus désignée concerne évidemment celle des modes de traitements, donc le choix des produits qui possèdent un risque d’entrer dans le sol et dans la plante pour y causer des dommages trop souvent discrets…mais qui resurgissent avec le temps. De l’herbe, pas trop, beaucoup, sol couvert 100 % et passé au rolofaca, ou griffonnés ? Intervention, là encore, mais plus subtile car elle découle de l’observation de la vie de la vigne, de ses réactions et des relations entre la plante et les paramètres du terroir. Et je dirai volontiers que cette « intervention » fait partie de celles que le vigneron se doit d’effectuer sans crainte de la voir trop affecter sa vigne, puis ses raisins et donc son vin. Elle est le résultat d’une démarche naturaliste, le fruit d’observations ; nous sommes entrés, avec cette considération, dans le domaine du bio et de la biodynamie : savoir observer, ce qui a tellement été négligé au cours des dernières décennies…et prendre une décision ; le virage est subtil (observation /décision). La date des vendanges, même chose : décision fondée sur des paramètres qui sont les messages que la vigne envoie au vignerons ; à lui de savoir les entendre, les lire. Vinification ? Encore plus difficile, car le nombre d’interventions est considérable et qu’elles touchent une phase critique du processus qui va conduire au vin. Le « sens du vin » devient alors une qualité indispensable ; en effet, l’écoute des évolutions qui se produisent réclame une attention extrême ; l’infusion post-fermentaire se règle à quelques heures près, etc…Les interventions brutales, à contre sens de la ligne que semble vouloir adopter la vendange en cuve, peuvent favoriser l’engagement vers des bifurcations redoutables.
    Dominique a fort bien résumé son attitude face à cette question, qui concerne, en fait, les relations que l’Homo viticolus possède avec son vignoble et les éléments naturels qui l’entourent. Le confort intellectuel consiste à se débarrasser de problèmes par des voies efficaces, certes, mais dures et impactantes. Donc, des interventions à potentiel déterminant, sans retour possible. S’engager sur des sentiers mal balisés réclame du courage et l’acceptation de certains risques. L’expression des vins provenant des ces terroirs frais dont parle Dominique, et qui constituent son domaine, représente une véritable lecture du paysage et du lieu, transcrits au plus près de leur authenticité. Il a sans doute pris de bonnes décisions…et ses interventions restent guidées par un esprit d’accompagnement de bon berger dans son troupeau de vignes.

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  3. Preuve de plus de mon ignorance crasse, si nécessaire: je pensais que le produit de 10.000 hêtres, ce serait beaucoup de faînes. Et pour ne pas demeurer dans le domaine du futile, on signale que la forêt d’Iraty serait la plus vaste des hêtraies d’Europe. En Belgique, la forêt de Soignes (près de 5.000 ha, dont 80 % de hêtres) constitue l’une des plus larges forêts périurbaines d’Europe.
    Z’en avez rien à cirer? Tant pis pour vous. To be or not to be.

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