Le vin et les effets de l’alcool

J’ai souvent pensé (ou bien dit, ce qui n’est pas exactement  la même chose) que je bois du vin essentiellement pour les sensations gustatives qu’il me procure, et non pas pour l’effet crée dans mon cerveau par la part d’alcool qu’il contient. Que cette part soit variable dans une fourchette allant de 5,5% (une bouteille de Moscato d’Asti partagée l’autre jour) à 15% ne change rien au principe, et il faut aussi admettre que les vins que nous buvons se situent le plus souvent vers le haut de cette fourchette. Je n’aime pas la sensation d’ivresse, et encore moins les comportements qu’elle engendre, chez soi ou chez les autres. Mais il faut aussi admettre que la chaleur et la liberté des échanges peuvent bénéficier d’un certain relâchement qui est aidé à la fois par le partage implicite dans une dégustation de vins entre amis ou connaissances, ET par l’effet désinhibitateur de l’alcool. Sans tomber dans les excès ridicules des prohibitionnistes, nous ne devons jamais nier cette part d’alcool, pas plus que les dangers qu’elle peut représenter.

Pour résoudre ce dilemme, je me demande si je ne préférerais pas que le vin ne contienne pas d’alcool du tout. Cela règlerait aussi bon nombre de problèmes de communication ici en France et ferait exploser le marché mondial du vin. Pour l’instant cette transformation sans perte de saveurs n’existe pas et les quelques vins sans alcool que j’ai pu goûter n’ont guère enchanté mon palais.

C’est un récent article de mon collègue Richard Hemmings sur le site web de Jancis Robinson (https://www.jancisrobinson.com/articles/is-alcohol-in-wine-taboo) qui m’a incité à écrire sur ce sujet qui a trop tendance à être occulté par la plupart des gens qui parlent du vin. Hemmings prend, à la fin de son article, une position intermédiaire sur le sujet. La mienne serait un peu différente dans le sens ou, dans un monde idéal, j’aimerais pouvoir obtenir tous le plaisirs que je vis avec le vin sans aucun effet de l’alcool. De quel ordre sont ces plaisirs alors ? Ils combinent le sensoriel et l’intellectuel, voire l’imaginaire. Si le sensoriel domine, l’imaginaire n’est jamais très loin dès lors que nous passons beaucoup de temps à essayer de comprendre pourquoi un vin ne ressemble pas à un autre. Car le vin n’est ni simplement une boisson, ni une boisson simple. Entrent en ligne de compte, et dans nos cerveaux pas encore émoussés, des images du passé ou du présent qui s’attachent au vin que nous sommes en train de boire : la tête du vigneron, le paysage dont est issu le vin, le ou les cépages, des outils de vinification, les gens avec qui nous avons déjà partagé ce vin, etc, etc. Comme disait quelqu’un, boire du vin c’est boire de l’histoire et de la géographie.

Les mots choisis pour parler de l’acte de consommer du vin indiquent aussi à quel point sa part d’alcool constitue un tabou dans notre petit univers de gens du vin. On dit « déguster » plutôt que « boire » par exemple. Car boire ne désigne pas seulement l’acte de se désaltérer : le mot peut aussi signifier s’enivrer, et cela on ne veut pas trop le voir ni l’admettre. L’ambiguité des religions (et pas seulement l’islam) à l’égard de la consommation d’alcool est, à mon avis, symptomatique de notre ambivalence envers cette substance qui peut nous libérer, nous donner du plaisir, mais aussi nous faire mal et nous aliéner. Evidemment tout est dans le dosage : avec modération, avec modération, comme l’injonction imposée par la loi Evin en France. Mais qu’est-ce que la modération ? J’avoue en tout cas que je ne respecte pas souvent les consignes de l’OMS en matière de consommation d’alcool, même si je fais des efforts.

David

 

8 réflexions sur “Le vin et les effets de l’alcool

  1. Curieux David que ta déclaration de modération ne suscite pas plus de réactions. D’autant plus que nous ne sommes pas tous égaux devant l’alcool, question d’enzymes synthétisés par notre organisme depuis la préhistoire. Cela fait longtemps qu’on aime boire un petit coup, pour des raisons diverses d’ailleurs que tu as d’ailleurs en partie citées. Se passer de vin, moche, et difficile à imaginer. Et puis, boire un verre ou deux, c’est bon pour la santé. Le débat est ouvert et ne risque pas de se clore de sitôt.
    Marco

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  2. Luc Charlier

    WE du 15 août, Marc.
    Moi, c’est l’inverse, j’aimerais être plein bourré tout de suite, sans devoir utiliser le prétexte culturel et organoleptique
    J’ai donc désaxtivé – c’est une option de mon logiciel – tout le proocessus d’acétylation.

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    1. Luc Charlier

      Vous remarquez à quel point une certaine imprégnation – je n’ai PAS encore pris l’apéro – pourrait être source de création: axtiver, quel beau verbe; proocessus, quel beau nom latin; Macron quel beau jeune homme à sa fa-femme …. etc

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  3. Adrien

    On s’est effectivement tous posé cette question en tant qu’amateur de vin.

    Je pense que l’alcool fait partie intégrante du vin et ne pourrait être supprimé.
    Néanmoins, c’est vrai que s’il aurait pu titrer à 5% naturellement, le plaisir aurait peut-être été supérieur. En effet, on aurait pu goûter plusieurs vins et les apprécier entre amis (donc en dehors du cadre de la dégustation où le crachat est la norme) sans en avoir les mauvais effets. Cela nous apprend néanmoins la patience, et le fait de savourer de plus petites quantités, donc de plus s’attarder sur un vin en particulier, et laisser notre esprit divaguer.

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  4. http://www.cultureetvinsdefrance.org/liens_infos/son_france_inter.html
    Mc Leod et le rôle de l’alcool dans le vin.
    Quand j’avais pris contact avec PMc Leod pour lui proposer d’intervenir au colloque de Sève sur la dégustation, c’est ce qu’il m’avait expliqué, et c’est ce qu’il a développé lors du colloque, sur la base des connaissances scientifiques acquises sur le goût. http://www.patrick-baudouin.com/IMG/pdf/DESGOUTSDESVINSINTEGRAL-3.pdf. De plus, l’alcool, non seulement modifie -un peu, recommandé..- les états de conscience, ce qui procure ce plaisir -relationnel, etc..- mais de plus, ses propriétés chimiques font un effet d’exhausteur de goût, et aussi modifient l’assimilation par l’organisme des composants bénéfiques du jus de raisin fermenté : polyphénols, etc…Donc les délires hygiénistes et prohibitionnistes de l’anpaa, de la loi Evin – Claude Got et consorts- sont antiscientifiques, anti humanistes, nient notre civilisation et notre histoire, et le discours dominant sur le vin et l’alcool sont d’une hypocrisie absolue. Les délires statistiques sur les morts dus à l’alcool -Catherine Hill et Cie- sont du même tonneau, les médecins sérieux vous diront qu’en additionnant tous ces morts statistiques, il y a bien trop de morts en France. Donc David, boit tes bons vins tranquillement, comme je viens de prendre en apéritif un verre de l’excellente Muscadelle de l’ami Luc de Conti…

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  5. Cher David, vous avez certainement créé l’évènement oenoleptique de l’été par votre coming out sur votre « détestation » de l’alcool. J’ai relu plusieurs fois cette phrase lourde de sens : « je me demande si je ne préfèrerais pas que le vin ne contienne pas d’alcool ». Vos amis considèrent qu’il s’agit probablement d’un petit moment d »égarement, pourquoi pas ; à cet égard , la contribution de Patrick Baudouin est tout à fait intéressante car il m’a fait découvrir les travaux des chercheurs en neuroscience – Mc Leod, entre autres- sur le goût. En simplifiant à outrance, il dit que 50% du goût vient de l’objet dégusté et les 50% restant viennent de notre représentation mentale. Sachant que vous avez dû effectuer plusieurs centaines de milliers de dégustations, voire des millions- on peut penser que votre représentation mentale est sacrement aiguisée ! j’ai relu plusieurs de vos revues de dégustation, et l’on voit que vos goûts tendent le plus souvent vers la précision, la netteté, le travail abouti à la vigne comme au chai. Bref, vous n’aimez pas le flou, l’approximatif, le maquillage, etc. Cette recherche ascétique de la rigueur vous conduit naturellement à évacuer l’élément perturbateur qu’est l’alcool, d’ailleurs pour vous, le terme vineux est souvent péjoratif. Allez vous finir votre brillante carrière comme Charles Quint, au fond d’un monastère en vantant les louanges du vin sans alcool?
    Au nom de vos admirateurs, continuez à nos régaler de vos analyses rigoureuses et ….merci de vous être dévoilé !

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  6. isabelle des champagnes pour lavie

    Quand la molécule vibre de la bonne manière, le vin connecte et est source d’inspiration. C’est le vrai sens de l’ivresse. A ne pas confondre avec l’ébriété, qui est un processus opposé en coupant le dégustateur de sa raison et de son potentiel…

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