Consommation d’alcool: un point de méthodologie statistique

Lors du « débat » organisé sur France 2, ce 7 février, un chiffre a été abondamment commenté (y compris par la Ministre de la Santé): celui de la consommation d’alcool des Français, telle que mesurée par l’OCDE.

Selon le dernier rapport de cet organisme, les Français seraient les plus gros consommateurs d’alcool des pays de l’OCDE, avec une moyenne de 12 litres par habitant (ramenés en litres d’alcool pur).

Les 4 pays suivants étant la Slovénie, la République tchèque, l’Irlande et la Lettonie.

Cet indicateur m’a étonné. Non que je pense que la France soit le pays d’abstinents que Mme Buzyn appelle de ses voeux; mais il ne me saute pas aux yeux que les Français soient plus alcoolisés que la moyenne européenne.

Un problème d’échantillon

Je me suis donc demandé comment cet indicateur était calculé. Il est facile de le savoir: c’est écrit en toutes lettres au dessus du tableau: « la consommation d’alcool est mesurée d’après les ventes annuelles d’alcool pur, par personne âgée de 15 ans et plus ».

Et c’est là que je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui clochait.

Pour rappel, la France compte actuellement 67,2 millions d’habitants, dont 12,2 millions de moins de 15 ans. La base de population utilisée pour l’étude est donc de 55 millions de personnes.

Mais ce chiffre est gravement sous estimé.

Il ne tient pas compte de la population étrangère résidant en France (plus de 7 millions de personnes, dont 5,7 millions de plus de 15 ans);

Ni des touristes séjournant en France; soit 84 millions de personnes, qu’il ne faut pas, bien sûr, compter comme des consommateurs à l’année, mais selon la durée moyenne de leur séjour, qui est de 6,8 jours par personne et par an.

Un rapide calcul nous permet d’obtenir le nombre d’« équivalent-résidents » que représentent ces 84 millions de touristes, soit 1,6 million, que l’on ramènera à 1,2 million de personnes de plus de 15 ans.

Au total, l’échantillon servant de base à l’étude de l’ODCE est donc sous évalué de près de 7 millions de personnes, soit environ 12%.

Si l’on applique ce pourcentage au chiffre publié, la consommation d’alcool pur par Français n’est plus de 12 litres, mais de 10,5.

Et sans doute est-on encore au dessus de la vérité: il faudrait en effet tenir compte des achats transfrontaliers (les Belges, les Suisses et les Allemands qui fréquentent les grandes surfaces françaises frontalières, par exemple, achètent de grosses quantités d’alcool car il y est moins cher), ou encore les Etrangers de passage qui sans séjourner en France, y effectuent des achats chez les vignerons).

Et il est bien entendu impossible de chiffrer la consommation des étrangers illégaux, non recensés.

Si l’on en reste au chiffre de 10,5 litres, la France passe alors de la première à la 7ème place.

On m’objectera que je devrais faire le même calcul pour les autres pays, afin d’affiner pour eux aussi la statistique brute de l’OCDE. C’est vrai; mais la France me paraît être un cas à part; sa population résidente étrangère et son attraction touristique et commerciale sont bien supérieures à celles des autres pays cités.

Et quoi qu’il en soit, plus que le classement des pays, c’est la valeur absolue de la consommation d’alcool qui importe.

En l’occurrence, le chiffre de l’OCDE, régulièrement cité par la ministre quand elle évoque un « mal » et un « tabou » qui seraient spécifiquement français, est basé sur de mauvais calculs.

Et le vin, dans tout ça?

Le petit exercice statistique auquel je viens de me livrer n’a rien de sorcier; j’espère qu’il pourra aider les services de Mme Buzyn, sans doutes débordés par leurs croisades médiatiques, à mieux estimer le poids de l’alcool sur la santé des Français.

Un autre exercice aurait pour nous, amateurs de vin, un intérêt au moins aussi grand: celui qui permettrait de connaître précisément la part du vin dans la mortalité imputable à la consommation d’alcool.

Lors du « débat » très peu contradictoire d’hier, nous avons pu écouter les témoignages de plusieurs anciennes alcooliques dont aucune ne s’alcoolisait avec du vin – pas plus que le personnage joué par Claire Keim dans le film qui servait d’introduction à ce « débat ».

Bien entendu, un échantillon de quelques personnes (y compris un personnage de film) n’est absolument pas représentatif; il ne prouve rien; mais il est aussi peu probant de se baser sur des chiffres de décès attribuables à l’alcool (chiffres au demeurant douteux et anciens), pour désigner, au premier rang parmi les coupables, le vin. Vous noterez que c’est ce que font les anti-alcool, et malheureusement, bon nombre de ceux qui les écoutent: les rédactions compatissantes qui publient leurs communiqués anxiogènes les illustrent presque systématiquement par des verres de vin.

D’autant que le vin est désigné à deux titres:

-au titre de son importance réelle – car il représente environ la moitié de la consommation d’alcool pur des Français, selon l’OMS.

-et au titre de son importance supposée: pour les hygiénistes, notre culture du vin inciterait les Français à consommer plus d’alcool. Peu leur importe que cela soit totalement faux. J’en veux pour preuve que d’autres pays, qui n’ont pas cette culture occupent les premières places du tableau de l’OCDE (l’Irlande et la Tchéquie, par exemple); et a contrario, deux pays comme l’Italie ou l’Espagne, qui partagent notre héritage vineux, n’y sont pas.

En résumé, il convient de prendre les chiffres des prohibitionnistes avec une grande méfiance, de même que toute la réthorique ce qui peut en découler. Rappelez vous en la prochaine fois que vous entendez leur argumentation qui cherche à vous faire peur autant qu’à vous donner mauvaise conscience. Il en est un peu de leurs arguments comme des mensonges staliniens: plus c’est gros, mieux ça passe.

Il ne s’agit pas pour moi de contester que l’alcool peut être un très mauvais maître, ni qu’il brise des vies, des couples, des carrières. Mais de réfuter absolument le mauvais procès que l’on fait au vin, comme s’il était le grand coupable – ce qui n’est absolument pas prouvé.

Plus généralement, au nom de ma liberté et de ma responsabilité, je demande à tous ceux qui veulent notre bien malgré nous, à tous ceux qui nous infantilisent, de nous lâcher la grappe.

Hervé Lalau

 

 

3 réflexions sur “Consommation d’alcool: un point de méthodologie statistique

  1. Hear, hear !

    Je rajouterai que les images ayant largement servi à « illustrer » ce « débat » pas assez contradictoire montraient essentiellement des verres de vin, tranquilles ou pétillants. Le peu de temps que j’ai regardé ce machin tronqué et assez insupportable pour quiconque possédant un peu de bon sens, je n’ai vu ni verres de spiritueux ni de bière en fond de décor ! La dépendance, cela se soigne, et le prévention est une affaire complexe qui n’est pas, ou si peu, pris en compte par les « autorités » dans cette affaire.

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  2. Peu d’écho dans la presse, aujourd’hui, qu’elle soit généraliste ou spécialisée.
    L’émission a pourtant été regardée (au moins le téléfilm)
    « Mercredi soir, France 2 est arrivé en tête des audiences avec le téléfilm La soif de vivre, regardé par 4,3 millions de téléspectateurs, soit 17,9% de parts de marché. TF1 doit se contenter de la deuxième place avec la série Blacklist : 3,1 millions de spectateurs et 12,7% de l’audience. Enfin, M6 complète le podium en talonnant TF1. Sa téléréalité culinaire Top Chef a été choisie par 2,5 millions de personne, soit 12,6% de parts d’audience. »

    Ce serait la moindre des choses pour nos confrères de débriefer, non, après avoir annoncé le « débat »?

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  3. Gerard DEVOS

    Bravo pour ton analyse Hervé, moi j’ai zappé car comme chaque fois on fait dire aux chiffre ce que l’on veut.
    A bientôt,
    Gérard

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