Une autre Savoie

Votre expérience des vins de Savoie se limite à quelques petits verres de blanc sec dans un restau de station? Nous avons les moyens de vous faire changer d’avis!

Le drame de la viticulture de cette belle région, c’est sans doute d’avoir eu jusqu’ici une clientèle quasi captive qui descendait les quilles vertes au rythme des pistes bleues.
Et pourtant, sur une surface relativement petite (1.700 hectares, 9 fois moins que l’Alsace!), la Savoie regorge de belles surprises pour qui veut bien s’éloigner des pistes trop damées.

La mode est aux « déclarations d’intérêt ». J’en ferai donc une: j’aime la Savoie, ses paysages, ses vins, ses vignerons. Alors vous voudrez bien excuser mes élans de lyrisme – sans être Lamartine, on a le droit d’admirer ses lacs, ses montagnes, ses vignes. Et ce que les plus inspirés de ses vignerons en tirent.

Et puis, dans ce métier, ce qui me plaît le plus, c’est de partager mon enthousiasme, surtout quand il se rapporte à des vins d’excellent rapport plaisir-prix.

Alors, je vous avertis d’emblée: vous ne trouverez pas ici un rapport, un bilan, un contrôle technique, mais plutôt un témoignage d’affection.

Au pays de la Jacquère et de la Mondeuse…

Il me faut sans doute d’abord expliquer qu’il y a deux vignobles en Savoie.

La première, la plus importante en termes de volume produit, est centrée sur la Combe de Savoie et les rives du lac du Bourget, de part et d’autre de Chambéry. Et sur la Jacquère, son cépage identitaire, celui d’Apremont et d’Abymes. Deux noms évocateurs qui rappellent… une catastrophe, l’éboulement d’une partie du Mont Granier, qui a fait de cette zone un mille-feuilles géologique.
Mais on trouve ici d’autres crus qui valent le détour, qu’on parte vers le Nord, comme à Chautagne et Jongieux, soit vers l’Est, comme à Cruet, Monterminod ou Chignin. Chignin, dont le vignoble abrite, outre la Jacquère, de la Roussanne (comme dans le Rhône), qu’on appelle ici Bergeron, et qui donne son nom à une appellation particulière – Chignin-Bergeron. Pour faire bonne mesure, on ajoutera Monthoux et Arbin. A ce stade, sans doute est-il utile de préciser que la Savoie produit aussi du rouge – il n’y a pas que la tartiflette dans la vie ! Avec notamment un cépage local des plus intéressants, la Mondeuse, dont les vins tanniques mais racés évoquent tour à tour la Syrah ou le Gamay, ou tout simplement… la Mondeuse.

Les crus du sud de la Savoie

Sans oublier le Chasselas, l’Altesse et le Gringet

La deuxième Savoie viticole, c’est celle de la Haute-Savoie, avec, d’une part, les rives sud du Lac Léman, où le Chasselas déborde ici de ses fiefs suisses. Les crus d’ici s’appellent Marin, Ripaille et Crépy, ce nom qui crépite rappelant le caractère espiègle et légèrement perlant de bon nombre de ces vins. Toujours en Haute-Savoie, on trouve aussi un îlot de vignes centrées sur Bonneville, et un autre plus près du Rhône, entre Frangy et Seyssel. Ces productions sont plus confidentielles, mais la qualité n’attend pas le nombre de bouteilles.

Les crus du nord de la Savoie

Ah, j’oubliais; important centre de pépiniéristes, la Savoie est aussi une sorte de conservatoire à ciel ouvert de cépages oubliés, quand ils n’ont pas été carrément abandonnés. Au premier rang desquels l’Altesse, alias Roussette. Traditionnellement, pour les Savoyards, les vins issus de ce cépage ont toujours été les blancs des grandes occasions – un peu comme la Clairette en Languedoc. Pleins de sève, leur cru le plus fameux est sans doute le Marestel, à Jongieux. Mais celles de Seyssel sont également réputées. A noter que ce cépage bénéficie d’une appellation particulière: Roussette de Savoie.
Côté cépages, on ajoutera le Gringet et la Mondeuse Blanche, encore plus confidentiels, mais qui connaissent un regain d’intérêt chez les jeunes vigneronnes et vignerons souhaitant à la fois se démarquer et pérenniser un patrimoine local bien ancré dans les mentalités – n’oublions pas que la Savoie n’est française que depuis 1860. Au carrefour d’influences entre France et Piémont, elle garde de nombreux particularismes, y compris viticoles.

19 crus

Que cette complexité, héritée de sa géographie tourmentée, ne vous décourage pas, mais qu’elle vous incite plutôt à la découverte: pas moins de 19 crus s’égrainent ici sur un territoire relativement compact, et dans le cadre somptueux de ses montagnes tutélaires, qui unissent autant qu’elles séparent les micro-terroirs, des Aravis à la Maurienne et à la Chartreuse. Avec en prime une gastronomie locale raffinée, qui fait la part belle aux fromages locaux (Abondance, Beaufort, tome des Aravis…), aux poissons des lacs, aux salaisons, aux crozets, aux gressins…
Mais les vins de Savoie n’ont pas l’esprit sectaire et se prêtent à bon nombre d’associations avec des mets d’ailleurs, parfois même très lointains, comme la spécialités asiatiques. Ils n’ont en effet pas peur des épices.

Des blancs qui vieillissent bien

Revenons un instant sur Apremont et Abymes. Ces deux appellations sont de loin les plus importantes de la région (Apremont représente à elle seule 28% des blancs de Savoie, et sa voisine Abymes 22%), avec tous les excès que cela peut supposer dans certaines entrées de gamme de haut rendement et de basse intensité. Cependant, elles recèlent de véritables pépites. Il faut partir à l’assaut de leurs coteaux, de leurs hameaux éparpillés comme des fourmis à l’ombre du Granier, pour découvrir les mystères de la Jacquère, celle que le vigneron ne destine pas à être bue vite fait au bas des pistes, mais à vieillir, un peu, beaucoup, lentement, pour relever un jour les plats les plus raffinés ; une fois son acidité fondue, ses arômes de miel installés, ses reflets de plomb changés en or liquide, c’est un tout autre vin qui se profile.

Notons qu’avec sa bonne acidité naturelle, la Jacquère se prête bien à l’élaboration d’effervescents, une tradition ancienne en Savoie, mais qui vient de se voir reconnaître officiellement avec le lancement, en 2014, du Crémant de Savoie. Deux autres crus élaborent des fines bulles dans la région, le Seyssel et l’Ayze.

Mais je n’aurais pu clore cette présentation sans vous présenter quelques vins en appui de ma « démonstration ». A savoir: vous montrer qu’il existe une autre Savoie que celle à laquelle on pense généralement – quand on y pense. Une Savoie aux vins à identité ajoutée. Et si, en plus, j’ai réussi à vous donner l’envie d’y goûter, alors, je n’aurai pas perdu mon temps.

Voici donc quatre cuvées sélectionnées parmi celles recueillies lors de notre dernière « descente » sur place (l’ami Marco était avec moi), en octobre dernier – et dire que c’était notre dernier tour dans le vignoble…

Dupraz Apremont 2018

Une autre Savoie, c’est d’abord… une autre Jacquère! Un peu comme celle de Jean-Claude Masson (un voisin d’Apremont), celle-ci fait oublier les versions acides et diluées qu’on sert à peine embouteillées au gogo de passage. Son nez mêlant gelée de rose et lavande, sa bouche poivrée, à la légère touche carbonique hésite entre le gras, le vif et l’amertume pour offrir en finale une jolie note d’anis.  « Riche et frais », conclut l’ami Johan Degroef.

Bertholier Chignin Bergeron 2017 

La Roussanne change de nom à Chignin, pour prendre le nom d’un abricot. Paqs étonnant: ce vin est une vraie caresse. L’abricot est là; mais aussi la pomme, la poire, le citron et la mandarine; la bouche est grasse, miellée, à la fois suave et vibrante. Du coing, de la sauge et des amandes amères viennent parachever cette oeuvre au blanc. Selon l’ami Marco, « sa pointe d’évolution lui donne encore un peu plus de complexité ». 
Johan le verrait bien en accompagnement d’asperges à la flamande; notre compère québécois Daniel Marcil, lui, penche plutôt pour des coquilles Saint-Jacques au fenouil.  

Crémant de Savoie Philippe Viallet

La Savoie est une vieille région de bulles… mais abrite le plus jeune des Crémants. Celui met en avant deux cépages bien savoyards, la Jacquère et l’Altesse, auxquels il ajoute le Chardonnay. La robe très pâle ne signifie pourtant pas que ce vin manque de matière. Il se révèle au contraire assez exubérant au nez, entre citron confit et verveine; la bouche paraît plus délicate, fluide sans être fuyante, avec des notes de pain de seigle. Et quelle buvabilité, comme on dit de nos jours…

Domaine Saint-Germain Persan 2019 Princens

Ce n’est pas parce qu’un cépage est rare qu’il est bon – certains ont justement été abandonnés parce qu’ils ne donnaient pas souvent de bons résultats. Ce n’est pas le cas de ce Persan, qui a pour lui l’originalité et une excellente adaptation à son milieu. Malgré les notes de violette et d’eucalyptus au nez, qui annoncent déjà pas mal de fraîcheur, on ne peut qu’être surpris pas la vivacité de la bouche. Ce Persan est perçant – mais pas mordant, et il vous en met plein les papilles. On peut sans doute l’oublier quelque temps en cave, pour le laisser s’assagir. Mais quel peps, quel punch…

Hervé Lalau

6 réflexions sur “Une autre Savoie

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