Petite arvine, grand cépage

La petite arvine est sans doute le cépage blanc suisse (réservé au Valais) le plus en vogue. A l’extérieur de la Suisse, si le Rhodanien Michel Chapoutier et le Piémontais Angelo Gaja, d’abord enthousiastes, semblent l’avoir abandonnée, on la signale avec succès non seulement en Vallée d’Aoste, mais au Château Rouquette-sur-Mer, dans le Languedoc et, depuis cet automne, à Carneros, en Californie, chez le beau-fils et la fille de Marco Grognuz, éminent vaudois qui en produit aussi en Valais… 

A la faveur d’un «plan régional de développement», le projet d’encouragement public vitivinicole le plus ambitieux de Suisse, Fully, la troisième plus vaste commune viticole du Valais, devient le «Village des Petites Arvines». 

Pour les lecteurs suisses, ce week-end, samedi 15 et dimanche 16 octobre, les vins seront en vedette lors de la traditionnelle Fête de la Châtaigne, dans ce micro-climat particulier de Fully… Puis les vignerons organisent leurs «caves ouvertes» le 3 décembre. Et pour le reste de la planète, ils envisagent sérieusement de débarquer à Wine Paris en février prochain !

Dès 2023, la petite arvine aura sa maison officielle, son «centre d’interprétation», comme le disent avec justesse les Québécois. La semi-retraite du vigneron Henri Valloton a servi la cause du cépage emblématique : la maison s’installera dans la cave de ce vigneron…

La Combe d’Enfer, un des lieux-dits les plus spectaculaires de la rive droite du Rhône. (©fully tourisme.ch)

Un cépage en résilience

En septembre, les vignerons de Fully étaient au Beau-Rivage Palace de Lausanne, sacré le même jour «hôtel de l’année 2023» par Gault Millau Suisse, pour un salon-dégustation. L’ancien sommelier du Beau-Rivage (de Genève) et directeur commercial du Caveau de Bacchus, à Genève, Vincent Debergé, y donnait une «master class». Il a rappelé que la petite arvine, cépage valaisan indigène, dont l’analyse ADN n’a pas permis d’identifier les parents, est connue depuis 1602. Mais elle a failli disparaître dans les années 1970. En 1991, on n’en comptait plus que 39 hectares, multipliés par huit pour atteindre 244 ha en 2021.

Mais la commune de Fully conserve une spécificité, grâce à son terroir particulier et à son sous-sol, prolongement de la veine granitique, de loess et de gneiss, du massif du Mont-Blanc, qui passe aussi par le col de la Forclaz, reliant Chamonix à Martigny. Calcaire et argile y sont très minoritaires. «A Fully, on est sur des arvines complexes, plutôt qu’aromatiques, et qui évoluent dans le temps. Leur signature réside dans les amers et la salinité propre au cépage», explique le sommelier.

Mes vins préférés…

Plus le cépage est grand, plus il est à même de s’exprimer dans la diversité…

J’ai bien aimé la petite arvine Les Claives 2021 de Véronyc Mettaz, peu explosive — «J’ai apprécié sa timidité», note Debergé —, mais florale, avec des notes d’abricot et de rhubarbe, sapide, avec une belle salinité finale, sachant que 2021 est une année difficile, avec, une demi récolte en Valais, la plus chiche depuis… 60 ans ! 

La 2021 de Gérard Dorsaz, le président des vignerons et du projet du Village des Petites Arvines, est aussi discrète au nez, avec des notes anisées, un beau volume, caressant ; l’acidité et la salinité montent en puissance en fin de bouche. Chez Alexandre Delétraz, la 2021 offre un nez avenant de citron confit ; la puissance est au rendez-vous, avec un vin large, souple et riche.

En 2020, millésime climatiquement chaud, «Ma petite arvine» de Gérard Dorsaz, tirée de vignes de 50 ans, offre un nez riche, avec une note légèrement toastée, trahissant l’élevage (en fût de châtaignier…), dense en milieu de bouche, puissante. «Une arvine à oublier en cave», commente le sommelier, qui rappelle que ces vins «se referment après 4 ou 5 ans», puis s’ouvrent à nouveau, sur d’autres arômes… 

C’est ce que démontrent deux vins, l’un de la Famille Thétaz, «Aux Follatères», 2018, déjà sur des notes tertiaires, avec de l’amande amèreen finale, et la 2017, de la Cave du Chavalard, qui «pétrole» {presque) comme un riesling, sur une finale mentholée. 

Membre de la Mémoire des vins suisses, avec une syrah, Benoît Dorsaz est un adepte des arvines auxquelles on sait laisser du temps : «Les Perches» 2015 garde un floral de glycine étonnant, voire de cassis ; l’acidité s’est fondue, laissant place à des notes de tarte au citron meringuée… L’alcool, pas loin de 14%, explique aussi ce «fondu» : la 2021 du même producteur s’exprime naturellement sur les thiols, avec son nez de pamplemousse et de poivre blanc, et une finale un tantinet sur l’amertume. Il faudra lui laisser du temps.

Des liquoreux hors du temps

A Fully, plusieurs producteurs poussent la petite arvine dans ses derniers retranchements, avec des vins plus ou moins liquoreux, dont la vie vineuse paraît éternelle… On retrouve Benoît Dorsaz (à l’époque, Cave Coronelle) et son «Arvine flétrie» 1999, au nez de bergamotte, avec des notes de cuir, de tabac et une pointe finale sur le curry, tenue par une acidité encore bien présente. Plus jeune, la «Grain de folie» 2011 du même producteur offre une grande liqueur, avec des goûts de mirabelle et de melon confit ; la finale est sur le sucre candi et la confiture d’oranges amères.

Alexandre Delétraz vient de sortir de cave sa «Cuvée Safran»… 2008, restée sous bois plusieurs années donc, au nez empyreumatique, où se mêlent aussi gingembre, caramel et curry, avec une note finale de cognac et une pointe de cacao. Pour le sommelier, ce vin rappelle le petit manseng dans sa forme de «vendanges tardives» à Jurançon… 

On ne pouvait finir que sur un classique du trésor de la Mémoire des vins suisses, signé Marie-Thérèse Chappaz, la petite arvine «Grain Noble» 2019, donc encore fort jeune, avec son magnifique toucher de bouche, son équilibre malgré sa grande liqueur, et sa fraîcheur ; seul le citron confit trahit le cépage, qui s’efface derrière la patine de l’élevage. Du grand art, vérifié année après année à Zurich, au siège de la MDVS. 

Les Suisses ne s’y sont pas trompé : dans le dernier sondage sur la notoriété des vins suisses (en 2021), en «notoriété spontanée», la petite arvine figure juste derrière le fendant, mais devant la dôle, l’assemblage rouge fétiche des Valaisans. Et en notoriété aidée, elle passe de 36 à 62% en 13 ans, une progression aussi remarquable que celle de sa surface, qui a doublé en 15 ans.

Pierre Thomas

Pour suivre l’actualité de Fully :

6 réflexions sur “Petite arvine, grand cépage

  1. On trouve aussi de la petite arvine en Savoie, notamment chez J.-P. Grisard et chez J.Ch. Girard Madoux. Je me demande d’ailleurs pourquoi il n’est pas encore accepté dans l’AOC Savoie, car sa présence dans la région est très ancienne. Certains experts soutiennent même que le cépage est originaire de la vallée de l’Arve, qui coule de Chamonix à Genève.

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    1. pthomas1954

      Ce sont les pères valaisans du Grand-St-Bernard, qui dirigeaient l’Ecole d’agriculture d’Aoste, dans la première moitié du XXème siècle, qui l’ont amenée en Italie: c’est parfaitement documenté. (Et non l’inverse!) Et les analyses ADN n’ont à ce jour rien trouvé venant de la Savoie…. Le généticien José Vouillamoz est clair à ce propos!

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    2. Exactement. C’est un des maîtres cépages du Val d’Aoste central. On pourrait d’ailleurs facilement y voir un lien avec le fait que par le Saint Bernard on peut facilement rejoindre Aoste à… Martigny 🙂

      Je trouve personnellement que les grandes Arvine sont celles qui font leur malo tout en gardant une bonne texture acide.

      Merci pour cet article par ailleurs !

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  2. Jean-Claude Favre

    M. Thomas, il se dit en Val d’Aoste que l’Arvine est bien originaire de la vallée, d’où elle a essaimé vers le Valais sous l’influence des moines du Grand st Bernard, qu’elle a ensuite été délaissée sans doute à cause de sa sensibilité à l’oïdium et effectivement réintroduite progressivement au début du 20ème comme vous le signalez. Qui a raison ? le quel est le plus chauvin ? le valdotain ou le valaisan ?

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    1. pthomas1954

      Entre ce qui se dit et ce que Gianni Moriondo et José Vouillamoz ont étudié en 2011, je choisis le travail des chercheurs…

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