DOCG Taurasi: 30 ans pour s’affirmer et s’affiner!

Périodiquement, ce site vous parle de ce grand rouge de Campanie à base d’aglianico. Cette année, la DOCG Taurasi fête ses 30 ans (pour rappel, il s’agit de la mention la plus élevée d’Italie). C’est d’ailleurs la DOCG de tout le Mezzogiorno, avec Cerasuolo di Vittoria, en Sicile (en attendant la reconnaissance imminente du Ciro calabrais).

De retour de Campania Stories, en Irpinia, voici mes impressions.

Trente ans pour s’affirmer. Trente ans, aussi, pour s’affiner ! Ce rouge corpulent, tanique et vif, promis à un long vieillissement pour s’arrondir, revient peu à peu de ses errances. Les critiques italiens y vont encore de leurs reproches sur l’excès d’extraction, l’astringence, le renforcement des tanins naturels par l’apport de bois neuf. Les producteurs, eux, s’adaptent.

Ce cru, en dénomination d’origine contrôlée et garantie (DOCG), est né du tremblement de terre de 1980, qui avait détruit la région d’Avellino. Gianni Fiorentino (ci-dessous, dans sa petite cave…) s’en souvient fort bien. Dans les années 1950, son père avait embarqué pour Boston aux Etats-Unis, afin d’échapper à la misère de l’arrière-pays montagneux de Naples. Sa mère, qui vit toujours à Paternopoli, était restée à la maison, élaborant dans sa cuisine un vin rouge à base d’aglianico. Le raisin local poussait alors sur des arbres ou en pergola, qui laissent la possibilité de cultiver des légumes ou des céréales au-dessous.

Une viticulture à moderniser

Economiste au service d’un fond pour la reconstruction de la région après le tremblement de terre de 1980, Gianni Fiorentino a changé de job et s’est mis à vouloir élaborer du vin. Il a fait appel à un fameux agronome de Toscane, Lorenzo Landi, qui lui a conseillé de replanter ses 4 hectares en taille Guyot. Aujourd’hui, Fiorentino se bat pour la définition de «crus» et vinifie ses vins séparément, en parcellaire. La majorité des vignes de la région sont situées entre 400 et 800 m. d’altitude, à des expositions et des degrés de pente divers. 

Il faut trois ou quatre ans pour mettre sur le marché un Taurasi classique (un an dans le bois) et Riserva (un an et demi dans le bois). Lui n’utilise que du chêne français, en tonneaux de 25 hectolitres et en barriques. Et dit faire des vins à son goût : «L’aglianico d’alors ne me plaisait pas. On devait produire beaucoup parce qu’on vendait notre raisin. J’ai compris qu’il fallait affronter le monstre sacré, travailler autrement à la vigne pour obtenir une matière première différente. J’essaie d’élaborer des vins qui me plaisent». Il a engagé un jeune œno-technicien, Luigi Testa, qui suit les vinifications : «Longtemps, en Campanie, on a négligé la technique en cave, c’est pourtant un aspect primordial !» 

Parmi les meilleures Riserve

Non loin, à Sant’Angelo all’Esca, au domaine Borgodangelo, Antonio Lo Priore tient le même discours. De 11 hectares d’aglianico, il tire d’abord un rosé de saignée et va jusqu’à un aglianico surmaturé sur souches en vin liquoreux (15,5 g. d’alcool et 40 g/l de sucre résiduel). Ses taurasis ont beaucoup d’élégance : faut-il les qualifier pour autant de «modernes» ? Tant le Taurasi Riserva 2016 de Fiorentino que le 2013 de Borgodangelo sont entrés dans les dix meilleurs classés du site www.vinodabere.it.

Les5duVin (publicité gratuite) l’ont également apprécié (entre autres) lors de leur « marathon de l’aglianico », en août 2021.

Les étiquettes de chaque producteur expriment les nuances des appellations…

Parmi les caves émergentes, il y a Il Cortiglio, de Francesco Maria, un biochimiste qui, à moins de 40 ans, est aussi revenu sur la terre de ses ancêtres, à Fontanarosa : au centre du bourg, il élève un élégant Taurasi. Son premier millésime (et celui de son premier fils !) est le 2015, tiré de son domaine de 6,5 ha (au deux tiers en aglianico). 

Tous ces producteurs insistent sur le développement durable et une approche «bio» de la viticulture, allant expérimenter, comme Francesco Maria, une viticulture à contrôle hydrique sévère et «à zéro résidu» (Vitereszero.it).

Une Ferrari si mal reconnue !

A Sant’Angelo all’Esca, au cœur de l’Irpinia, Milena Pepe est à la tête d’un domaine, Tenuta Cavalier Pepe, qui, en moins de vingt ans, est passé de quelques pieds de vigne autour de la maison familiale à 70 hectares. Si elle produit 500.000 bouteilles par an, dont une moitié de vins blancs (en croissance), elle porte un soin attentif à ses rouges. Tout son aglianico est situé dans un périmètre apte à être classé Taurasi, le sommet de la pyramide donc. Il est cultivé en taille Guyot, pour augmenter le rendement et éviter la surmaturation, dans un cycle végétatif long, puisque le raisin n’est parfaitement mûr qu’en octobre… 

«Tout le monde ne reconnaît pas notre Ferrari !» déplore la jeune femme, formée dans le Mâconnais, après des études de marketing en Belgique, où son père est propriétaire de restaurants. L’étalon noir de la Ferrari, elle a dû le dresser : depuis 2011, l’aglianico est vinifié dans des cuves de béton, revêtues de résine epoxy. 

Une vision pyramidale

Milena pratique sa propre échelle de qualité. Dans le périmètre apte au Taurasi, le raisin du bas du coteau donne un simple aglianico, en Irpinia DOC. Un cran au-dessus, toujours en Irpinia DOC, mais avec 15% d’un autre cépage — ce qui est toujours possible en Campanie —, en l’occurrence du merlot, elle propose un Terra del Varo, aux arômes fruités de baie de cassis.

Avec son œnologue Gennaro Reale, elle élabore aussi de l’Irpinia Campi Taurasini DOP, une sous-zone de l’Irpinia, dont le règlement ne l’oblige pas à passer l’aglianico dans le bois, au contraire du Taurasi (12 mois pour le classique et 18 mois pour le Riserva). Dès 2015, la Riserva n’est plus élevée exclusivement en barriques de chêne français, mais passe en grands fûts de 30 hectolitres, en chêne français et de Slavonie. 

Entourant Milena Pepe, au centre, en blanc, la relève de l’Irpinia: à droite, Gianni Fiorentino et Francesco Maria (Il Cortiglio).

Milena Pepe a décidé de ne mettre sur le marché ses grands rouges que huit ans après la vendange et affirme que ces vins ont «70 ans de potentiel de vieillissement». On en a goûté sur place une série… Le 2008, pourtant uniquement en barriques durant un an et demi est en passe de s’assouplir et de déployer une belle élégance, derrière sa puissante structure. Il faut 15 ans d’âge à ce grand vin riche (14% d’alcool au moins) pour se civiliser! Le 2013 paraît assez souple, le 2014, plus tannique, tandis que le 2015 n’a pas encore digéré sa grande acidité…

Pour être complet, il faut préciser que les appellations (DOP et DOCG) évoluent en cercle concentrique, de l’Irpinia (sur 118 communes de la province d’Avellino), à la sous-zone Irpinia Campi Taurasi, sur 24 communes au centre, jusqu’au Taurasi, limité à 17 communes. Le repli possible d’une appellation vers une autre se lit clairement dans les statistiques : en 2018, Taurasi recouvrait potentiellement 1100 hectares, mais seuls 400 hectares ont été revendiqués en DOCG, pour un total de 2,4 millions de bouteilles, soit une moyenne d’un demi-litre de vin au mètre carré. En fonction des disciplinari, le rendement va du plus large et productif au plus étroit et moins généreux. En principe, l’échelle des prix suit cette hiérarchie pyramidale.

De retour d’Avellino,

Pierre Thomas (texte et photos)

Autres vins appréciés durant Campania Stories (mai 2023):

Irpinia Aglianico DOP et Irpinia Campi Taurasi DOP, tous deux de 2020, de la Tenuta Gregorio, petit domaine fondé en 2020 ; Irpinia Aglianico 2018 de la Contrade di Taurasi ;  Santo Stefano 2018, Irpinia Campi Taurasi DOP de la Tenuta Cavalier Pepe ; Taurasi DOP, du Feudo di San Gregorio, un des plus puissants acteurs de la région (300 hectares, 3 millions de bouteilles), avec l’historique maison Mastroberardino à Atripalda, dans la banlieue d’Avellino (et qui ne participe pas à Campania Stories, la plupart des petites caves s’étant affranchies de la livraison de raisin à la plus grande entreprise locale…).

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