A la découverte de Crozes-Hermitage

Fin février, j’ai eu deux jours et demi pour prendre le pouls d’une appellation que je n’avais jamais visitée, Crozes-Hermitage.

Je vous propose donc de la découvrir avec moi – ou bien, si vous la connaissez déjà, de la voir à travers les yeux d’un (presque) candide.

Généralités

Dans ce qu’il est convenu d’appeler les Côtes-du-Rhône septentrionales, Crozes-Hermitage est l’appellation la plus vaste, avec quelque 2000 ha (les chiffres varient selon les années), ce qui en fait le deuxième «cru» de toute la Vallée du Rhône.

Aussi important, sans doute: c’est une des rares appellations qui peut prétendre à une extension de ses surfaces en vignes (jusqu’à 3000 ha, environ). 

Son aire regroupe 11 communes, sur un territoire couvrant un peu moins de 30km du Nord au Sud (sa limite méridionale étant le confluent du Rhône et de l’Isère), et une dizaine d’est en ouest.

Cette aire a fluctué dans le temps: lors de sa fondation, en 1937, elle était circonscrite à la seule commune éponyme, aux sols à dominante granitique, comme Hermitage; puis, en 1952, elle intègre 10 autres communes, et va jusqu’à compter plus de 4800 ha de vignes. Nouvelle réforme en 1989, où l’appellation réduit la voilure, éliminant les parties les moins propices. 

N’allez pas imaginer une mer de vignes dont les vagues seraient sagement alignées du Rhône au Vercors! Si, au Sud, on trouve effectivement quelques grandes parcelles, dans les autres parties de l’aire, il s’agit plutôt de petits îlots.

Un peu plus dans le détail…

Chevauchant le 45e parallèle (la latitude de Bordeaux, mais aussi de Trévise, pour les amateurs de Prosecco), Crozes-Hermitage se situe aussi à la limite nord du climat méditerranéen. Historiquement, nous sommes d’ailleurs dans une zone où la vigne partageait les terres avec les abricots, et ceux-ci étaient souvent irrigués.

Mais voyons ceci un peu plus en détail.

Dans sa définition actuelle, l’aire de l’appellation se divise en trois grands secteurs

• Au Nord-Ouest, en longeant le Rhône, de la commune de Crozes-Hermitage à celle de Serves-sur-Rhône, en passant par Gervans, ce secteur qui a vu naître l’appellation présente des coteaux assez pentus, avec de sols assez minces de granits plus ou moins altérés, relativement semblables à ceux de la rive opposée (Côte-Rôtie, Saint-Joseph,…); c’est aussi la partie de l’aire la plus proche de l’appellation Hermitage.

• Dans le secteur dit des Châssis, au Sud, les sols sont constitués de dépôts fluviaux-glaciaires apportés principalement par l’Isère, à l’issue de différentes glaciations. Ici, le relief est peu prononcé.

• Au Nord-Est, autour de Mercurol et de Chanos-Curson, on trouve également des terrasses de galets, mais de moindre calibre (ils ont été apportés par le Rhône) ; mais il y a aussi des sables granitiques et du loess.

Climatiquement, on note aussi pas mal de nuances entre les différents secteurs. Si l’ensemble de l’aire bénéficie habituellement d’une bonne pluviométrie, les influences méditerranéennes se font plus sentir au sud de Tain. La présence des galets roulés, dans la partie Châssis, accentue aussi la chaleur et comme il s’agit de sols très drainants, les vignes peuvent y manquer d’eau.

Positionnement

Souvent considérée comme l’entrée de gamme des AOC du Côtes-du-Rhône du nord (même si les prix ont sensiblement augmenté), Crozes-Hermitage a attiré bon nombre de producteurs de la Rive Droite ; parallèlement, le négoce et la coopération locale, dont les ténors se trouvent à Tain L’Hermitage, s’y sont aussi intéressés. Chance supplémentaire pour l’oenophile d’aujourd’hui: les vignes plantées dans les années 1990 et 2000 arrivent progressivement à maturité, ce qui se ressent dans les vins, d’où qu’ils viennent. 

Globalement, malgré leur nom, la parenté de Crozes-Hermitage avec l’Hermitage est maintenant plus étymologique que vineuse; alors que l’Hermitage est un vin d’une majesté souvent austère, notamment dans ses jeunes années, le Crozes est plutôt un vin gourmand qui se livre assez vite (même si l’on trouve de plus en plus de Crozes-Hermitage taillés pour la garde). Voici d’ailleurs ce qu’en dit Inter Rhône: «Crozes-Hermitage séduit par son élégance gourmande et décontractée». 

Quant à moi, je parlerai certes d’accessibilité, mais surtout, de diversité.

Diversité

Car de tout ceci, mais aussi et surtout de la douzaine de rencontres avec les producteurs de l’appellation (caves particulières, coopérative et négociants), il ressort pour moi l’image d’une palette de produits beaucoup plus grande que je ne pouvais le supposer.

J‘ai évoqué les terroirs ; il faut aussi (et c’est lié) parler des couleurs : car si le blanc ne représente que 10% de la production, il n’a rien d’anecdotique ; car primo, ces blancs, qu’ils soient de marsanne ou de roussanne, peuvent être délicieux ; secundo, certains terroirs y sont particulièrement adaptés, (notamment ceux du nord de l’appellation), et last but not least, la demande augmente. 

Cette diversité, ses vignerons ont compris qu’elle pouvait être un vecteur de différenciation. A terroirs différents, styles différents, Crozes-Hermitage ne se limite pas – et ne doit pas se limiter – aux vins glouglou. Et ce n’est pas qu’une question de positionnement prix – c’est aussi une question de personnalité.

En parlant de personnes, deux remarques : d’une part, corrigez-moi si je me trompe, mais j’ai ressenti une certaine cohésion entre les producteurs de Crozes, qu’ils soient négociants, caves particulières ou coopératives. Un sens du bien commun (peut-être aussi parce que beaucoup ont plusieurs casquettes, producteurs et négociants, coopératives et producteurs de vin de domaine).

De l’autre, une nouvelle génération monte au créneau, les « fils et filles de », qui dynamisent l’appellation.

Et maintenant, je vous invite à me suivre dans mes rencontres…

Yann Chave

Co-président de l’appellation (il représente les caves particulières), Yann Chave a repris l’exploitation de ses parents en 1996 ; ceux qui exploitaient en parallèle des vignes et des arbres fruitiers. Au fil des années, le domaine s’est accru jusqu’à atteindre 20 ha, tous en bio depuis 2007 (dont un en Hermitage). Sa cave se situe à Mercurol, au centre de l’appellation. Les syrahs de la cuvée domaine ont aujourd’hui entre 25 et 35 ans, ceux de la parcelle Le Rouvre, 60 ans.

Mes préférés: Crozes-Hermitage blanc 2022, Crozes-Hermitage Rouge Le Rouvre 2022 (Coup de  ❤️) et 2018. 

Domaine Vendôme

Derrière ce nom se cache, non pas une origine ligérienne, mais le nom d’une ferme de Larnage, propriété de la famille Roudier; ferme arboricole, au départ, mais où le vignoble s’est développé à partir de 2010. Jusqu’à atteindre 15 ha, aujourd’hui, avec la particularité d’avoir une plus forte proportion de cépages blancs que la moyenne (environ 40% de la production). Il faut dire que le terroir de Larnage s’y prête. Le rouge, lui, est majoritairement issu des Châssis, plus au sud. 

Mes préférés: Crozes-Hermitage Blanc Les Bruclas 2022 (22 euros), Crozes-Hermitage rouge Les Coulaires 2022 (22 euros)

Cave de Tain

Acteur incontournable des Côtes du Rhône Septentrionales, la Cave de Tain propose plusieurs cuvées de Crozes-Hermitage, sous plusieurs noms de gammes : les classiques (Nobles Rives), les bios (Héritiers Gambert) et les parcellaires (Hauts des Fiefs/Hauts d’Eole). Une bonne façon de mettre à profit la diversité de ses terroirs et la personnalité de ses apporteurs.

Mes vins préférés: Crozes-Hermitage Les Hauts du Fiefs Cuvée Parcellaire 2019 et Crozes-Hermitage Épure 2015 (Coup de  ❤️).

https://www.cavedetain.com

Michel Chapoutier

L’entreprise Chapoutier est née à Crozes en 1808, dans la tonnellerie, avant de se lancer dans la viticulture, comme producteurs et comme négociants. Michel Chapoutier a racheté l’entreprise à son grand-père en 1990, et s’est rapidement tourné vers la biodynamie, d’une part, et les sélections parcellaires, de l’autre.

Si Crozes ne représente qu’une petite partie de ses quelque 500 ha de vignes dans le monde (France, Espagne, Portugal, Allemande et Australie), elle reste la porte d’entrée de ses vins d’appellation en Rhône Nord.

Mes vins préférés : Crozes-Hermitage Blanc Les Meysonniers (17 euros), Crozes-Hermitage Rouge Sicamor 2021 et Crozes-Hermitage Rouge Les Varonniers 2020 (Coup de  ❤️).

Domaine Combier

La famille, d’origine ardéchoise, est installée à la Roche de Glun, tout au sud de l’appellation Crozes-Hermitage, depuis les années 1930. Puis, en 1960, Maurice et Paulette, les parents de Laurent Combier, s’établissent à Pont de l’Isère. Quand Laurent reprend le domaine, en 1991, il englobe 5 ha de vignes et 15 ha de fruitiers. Pariant sur le vin (il est oenologue), c’est lui qui fait construire la cave.

Et c’est lui aussi qui entreprend de mettre en avant ses meilleures parcelles, et notamment le Clos des Grives, dont le vin est taillé comme un grand cru… qui n’existe pas en vallée du Rhône. La relève semble assurée, aujourd’hui, avec ses deux fils, Julien et David. 

Mes vins préférés : Crozes-Hermitage Rouge Cap Nord 2022 (31 euros) (Coup de  ❤️), Crozes-Hermitage Rouge Clos des Grives 2022 (Coup de  ❤️)

Domaine Mucyn

Hélène et Jean-Pierre, un couple de Champagnois, accompagné de leurs trois filles, ont décidé en 2001 de changé de vie ; ils se sont installés à Gervans, au bord du Rhône, où ils ont en état un ancien relai de mariniers sur le chemin de halage ; sans oublier 16 hectares de vignoble, dont une bonne partie en Crozes-Hermitage.  Une histoire de famille, une histoire de cœur, comme en témoigne une de leurs belles cuvées.

Mon vin préféré : Les Entrecoeurs 2022

Laurent Fayolle

Héritier d’un domaine familial de 12 ha fondé en 1870, qui fut parmi les tout premiers à mettre son vin en bouteille dans l’appellation, Laurent Fayolle se passionne pour ses micro-terroirs (à Gervans, les sols peuvent changer d’un pan de collines à l’autre, sur quelques mètres) et adapte ses modes de vinification (béton ou bois).

Le somptueux paysage dans les parcelles de Laurent vaut la balade, et on ne s’étonne pas de voir la cuvée Les Cornirets sortir d’un si bel écrin que le coteau granitique qui lui donne son nom – sauf que cela ne va pas sans travail…

Mes préférés : Crozes-Hermitage Blanc Cuvée Sens 2023(assemblage Gervans Châssis) (22 euros), Crozes-Hermitage Rouge Les Cornirets 2021 (Vieilles vignes de 70 ans)(39 euros). (Coup de ❤️️).

Maison Delas Frères

Née à Tournon, juste en face, la maison Delas (Groupe Deutz) s’est installée à Tain en 2015, où elle s’est bâtie une cave flambant neuf. Crozes-Hermitage constitue pour elle la porte d’entrée idéale pour les crus du Rhône Nord, et pas seulement en termes de prix, mais en termes d’illustration de sa diversité.

Une belle illustration, justement : sa cuvée Le Clos, issue d’une parcelle de syrah, et dont la production ne dépasse pas 3000 bouteilles. Mais comme le dit Jacques Grange, directeur technique de la maison (et également co-président de l’appellation)…  «On ne fait du parcellaire que là où ça a du sens». Mes sens, à moi, ont été convaincus par les deux millésimes qu’il m’a servis…

Mes préférés : Crozes-Hermitage Rouge Le Clos 2022 et 2020 (Coup de  ❤️️).

Paul Jaboulet Aîné

Incontournable à Tain (il suffit de lever les yeux en sortant de la gare pour voir son nom sur le coteau), Paul Jaboulet Aîné a démarré son activité dans cette même ville en 1834. Rachetée à la famille fondatrice en 2006 par une autre famille, les Frey, la maison s’est alors orientée vers le bio. 

Mes préférés: Crozes Hermitage Blanc Domaine de Thalabert Mule Blanche 2022, Domaine de Roure 2020 (Coup de ❤️️). Et pour le plaisir de vérifier la bonne aptitude à la garde de cette même cuvée, le millésime 2010, entre bien vivant et à la robe à peine évoluée.

David Reynaud/Domaine Les Bruyères

En 2003, David Reynaud a repris l’exploitation familiale au lieu-dit Les Croix, tout près de L’Isère, à Beaumont-Monteux, tout en sortant de la coopération. L’exploitation compte aujourd’hui 32 ha, dont la majorité en Crozes.

Mes préférés : Crozes-Hermitage Cuvée Georges 2021 et Crozes-Hermitage Les Croix 2020 (Coup de ❤️️).

Domaine des Hauts-Châssis

Le nom du domaine m’indique à lui seul : nous sommes dans la partie sud de l’appellation, sur les Châssis. Un domaine naguère plus arboricole que viticole, et qui compte aujourd’hui 20 ha de vignes (avec encore un potentiel d’expansion).

Mes préférés : Crozes-Hermitage blanc Aurora (100% roussanne), Cozes Hermitage Rouge Les Galets 2022 et Vespera 2016 (Coup de ❤️️).

Maison Ferraton Père & Fils

Cette maison historique, issue comme bien d’autres d’un domaine arboricole, a été reprise par Chapoutier en 2008, mais garde une totale autonomie de vinification ; elle possède une vingtaine d’hectares, dont une bonne partie en Crozes (notamment au lieu-dit les Pichères, sur Beaumont-Monteux), et développe parallèlement une activité de négoce (dans le Rhône Nord, mais aussi au Sud). 

J’ai particulièrement apprécié sa cuvée les Calendes, qui assembles les trois terroirs principaux de l’appellation (comme quoi les cuvées parcellaires ne sont pas forcément partout le nec plus ultra). A noter la préférence de la maison pour les élevages en cuves inox et béton, dans le souci de ne pas trop boiser les vins.

Mes vins préférés : Crozes-Hermitage Blanc La Matinière 2022 (100% marsanne de Mercurol), Crozes-Hermitage Rouge Les Calendes 2022 (assemblage).

Natacha Chave 

Aléofane est le nom donné par Natacha Chave (la soeur de Yann) au domaine qu’elle a constitué en 2004, d’abord autour de quelques vignes à Saint-Joseph, puis à Crozes, où se trouve sa cave. L’exploitation couvre aujourd’hui 8 ha, divisés en de nombreuses parcelles. Pas moins de 5 de celles-ci sont mises à profit pour son Crozes rouge. Deux mots met sont venus à l’esprit à la dégustation de ses cuvées : poésie et précision. Voilà qui peut sembler contradictoire, mais non, les vins présentent à la fois le grain de raisin, et un petit grain de folie.

Mes vins préférés : toutes ses cuvées (qui ne sont que deux en Crozes, un blanc et un rouge) : Aléofane blanc 2022 (Coup de  ❤️) et 2020  (à dominante de roussanne), Crozes-Hermitage rouge 2022 et 2016 (parfait à boire aujourd’hui). 

Hervé Lalau