Les vignerons slovènes luttent pour sauvegarder le style de leurs vins

Notre consoeur Agnieszka Kumor nous fait passer cet article paru sur le site de RFI, au sujet d’un vignoble d’Europe assez peu médiatisé. Nous retrouverons Nadine dès la semaine prochaine.

Du haut de la colline des vignes descendent en terrasses jusqu’au fond de la vallée. Deux plateaux massifs appelés Trnovski gozd et Nanos, ainsi que leur petit frère, le plateau du Karst, encadrent ce paysage enchanteur qui abrite l’une des zones viticoles les plus dynamiques en Slovénie.

Vignes en terrasses dans la vallée de la Vipava. © Agnieszka Kumor/RFI

Notre rencontre avec les vins de la vallée de la Vipava commence un peu plus tôt dans l’année. Au mois de mars, les producteurs du monde entier se pressent à Düsseldorf en Allemagne pour présenter leurs vins aux professionnels. Le salon ProWein est synonyme de bonnes affaires.

Un vignoble méconnu

Dans le hall européen, un grand stand vert estampillé « Slovénie » attire les regards. Bonne idée de venir groupé, car les vins slovènes ne sont pas forcément connus du grand public. Les emplacements sont répartis entre les trois régions viticoles du pays : la vallée de la Drave, la vallée de la Save et la Primorska, région de la côte Adriatique. C’est au sein de cette dernière que nous repérons la sous-région viticole, la vallée de la Vipava (Vipavska Dolina, en slovène).

On raconte aux acheteurs potentiels la méticuleuse réorganisation du vignoble slovène menée depuis l’indépendance du pays en 1991. On plonge dans des histoires familiales. Inévitablement, les effets du changement climatique reviennent dans les conversations. Des noms de variétés de raisin fusent : chardonnay, sauvignon blanc, pinot gris ou welschriesling (pour les blancs), ainsi que cabernet-sauvignon, barbera, pinot noir ou encore merlot (pour les rouges).

Des cépages autochtones

Mais ce sont des variétés autochtones qui attisent notre curiosité. La plupart sont blanches et donnent des vins aromatiques, épicés ou encore ciselés comme du cristal.

Les noms de ces cépages ? Rebula, zelén, malvasia, pinela tiennent tête à leurs homologues internationaux. Souvent plus résistants à la sécheresse, ils font la fierté de ces vignerons, assure Mitja Lavrenčič, propriétaire de Sutor. Samuel Poljšak du domaine homonyme les aime tant qu’il met de la musique dans son chai. Samo Premrn a converti le domaine familial Pasji Rep à l’agriculture biologique. Mojca et Valter Kobal, propriétaires de Fedora, cultivent leurs vignes selon les principes biodynamiques. Leurs vins raflent des médailles, c’est le cas notamment du domaine Burja ou encore celui de Krapež. On tente des vinifications « sans soufre ajouté » ou en amphores. Ces viticulteurs n’hésitent pas à mettre en avant les cépages locaux en solo ou en assemblages. Leurs vins ont du caractère et un style bien distinct des autres vins du monde.

Bourgeonnement précoce

Cap sur la vallée de la Vipava. Une fois sur le terrain, les problèmes liés au dérèglement climatique sautent aux yeux. Cette année, on a apparemment une semaine d’avance par rapport à l’année dernière, déjà en avance. Ivan Kodriĉ, agriculteur à la retraite, acquiesce : « Les températures montent et entraînent le bourgeonnement précoce des arbres fruitiers et des vignes. Mais si la gelée printanière arrive à ce moment-là, on risque de grosses pertes. Ces aléas, on les a connus autrefois. Mais jamais avec une telle fréquence. » Pendant une grosse partie de l’année, la vallée manque d’eau, mais à d’autres moments des glissements de terrain et des inondations s’abattent sur les habitants.


Le palais Lanthieri à Vipava abrite le Centre de recherche viti-vinicole. © Agnieszka Kumor/RFI


Les vignes en terrasses

Le vent violent provoque l’érosion des sols. Mais c’est aussi un allié, car il assainit les plantes et les protège contre les maladies. Les techniques viticoles s’adaptent. Les vignes plantées autrefois dans la plaine remontent sur les collines. De larges terrasses ont été creusées à l’aide de bulldozers. «En été, il arrive que des pluies torrentielles tombent pendant un court laps de temps et que l’eau ruisselle. Une large terrasse permet un bon drainage du sol. C’est aussi en arrosant de jeunes pousses avec de l’eau que l’on se protège contre un risque de gelée. L’eau se transforme en glace et libère des calories qui vont protéger le bourgeon.»

Une vendange en deux temps


Dans le centre de la ville de Vipava, Melita Sternad Lemut patiente devant un palais baroque en pierre blanche. Directrice du Centre de recherche viti-vinicole de l’Université de Nova Gorica, elle nous conte une longue histoire viticole de sa ville. Sans surprise, les problèmes liés au climat préoccupent cette chercheuse : « Notre variété de raisin autochtone zelén n’arrivait pas à la maturité optimale. La hausse des températures y a contribué. Mais il a perdu en acidité. On a donc décidé de récolter une partie de la vendange plus tôt pour bénéficier d’une acidité haute, et le reste plus tard pour avoir plus de sucres. On vinifie ensuite les deux parties ensemble. Pour ce qui est du sauvignon blanc, cépage international, un coup de soleil sur sa peau très fine se manifeste par des taches noires. C’est pourtant sous la peau du raisin que des arômes et des composants phénoliques se trouvent. On plante à présent du sauvignon sur les coteaux orientés nord, et donc moins ensoleillés. »

Les vignerons australiens connaissaient ces phénomènes, mais on ne se doutait pas qu’ils se reproduiraient si vite en Slovénie, admet notre interlocutrice.


Le conservatoire viticole de Vrhpolje et ses 200 cépages rares. © Agnieszka Kumor/RFI

Le conservatoire viticole

Oubliées ou écartées pour des raisons économiques, des variétés de raisin locales pourraient aider les viticulteurs face aux défis, abonde Andreja Škvarč. Cette spécialiste de l’institut viticole de Vrhpolje nous ouvre les portes du conservatoire viticole abritant plus de 200 variétés de raisin originaires du littoral slovène. « Complétement disparues ou très rares, elles représentent le riche patrimoine génétique nécessaire pour préserver la biodiversité du vignoble. » L’institut travaille sur d’éventuels croisements entre ces variétés anciennes et les cépages internationaux. Objectif : trouver des variétés de raisin nouvelles, plus résistantes aux écarts de température et à la sécheresse, capables de produire des vins de qualité.

Site classé Natura 2000

Chez Janko Trošt, dans le village de Podnanos, les vignes n’ont jamais connu de produits chimiques, seuls le soufre ou le cuivre sont utilisés. Le propriétaire du domaine Vidus a planté quelques variétés internationales, mais admet volontiers sa préférence pour les cépages historiques : « Le vignoble slovène est minuscule comparé au reste du monde viticole. Pour se différencier, nos vins doivent représenter quelque chose d’unique. » Comme ce vigneron, les habitants de la vallée tentent tant bien que mal de maintenir l’équilibre fragile entre la biodiversité de leur territoire et les activités humaines. Et pour cause. La vallée de la Vipava a été classée comme site rural remarquable par le réseau européen Natura 2000.

Retrouvez les articles d’Agnieszka sur le site de RFI.

Agnieszka Kumor

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.