Châteauneuf-du-Pape (2): en hommage à leurs pères

Suite des aventures de notre invitée polonaise Agnieszka Kumor à Châteauneuf du Pape, commencées samedi dernier.

Après la visite chez David Sabon au Clos Mont-Olivet et chez Sylvie Vacheron au Clos du Caillou, une pause gourmande s’impose. J’ai repéré quelques restaurants à Châteauneuf-du-Pape. La Mère Germaine tient ses promesses: cuisine raffinée, choix de vins au verre restreint, mais excellent et très bien conseillé. Changement de décor (et de prix) le lendemain avec La Mule du Pape (juste en face), qui offre une cuisine simple et savoureuse, en direct du marché. Les deux établissements proposent les vins des vignerons que je m’apprête à voir, et d’autres du coin. Ça, c’est intelligent !

Mais reprenons les visites. Dans ce second épisode, il sera question du bon négoce et de fruit dans le vin…

 Les Cailloux, 15 juillet, 13h45

Je retrouve André Brunel devant chez lui, à un jet de galet du Clos Mont-Olivet. Nous prenons aussitôt la direction de Sorgues où se trouve sa cave d’expédition. En route, nous discutons de ce qu’est un  négoce fort pour une région. De l’avis de mon interlocuteur, il n’y en aurait pas assez de négociants à Châteauneuf-du-Pape. J’énumère ceux qui ont dans leur gamme les vins de cette appellation: Ogier, Chapoutier, Paul Jaboulet Aîné, Brotte, Bouachon, Guigal, les Caves Saint-Pierre, les Grandes Serres, Jean Trintignant (SAS), FCV, Medeos et j’en oublie sûrement. Eleveurs, vinificateurs, propriétaires de domaines prestigieux, leur rôle est essentiel face à la grande distribution en France avec sa politique du bas prix, mais aussi pour se donner des atouts à l’exportation. Ce rôle a évolué avec le temps, et après le passage à la production individuelle de certain nombre de domaines. Ensemble, ils ont hissé la notoriété de l’appellation à l’international. Un effort digne d’admiration, quand on sait que la moitié de la production de Châteauneuf-du-Pape se vend aujourd’hui hors de France, avec les Etats-Unis comme premier marché d’exportation.

1. A droite les armoiries des producteurs, à gauche celles des négociants. Photo Agnieszka Kumor

A droite les armoiries des producteurs, à gauche celles des négociants. Photo Agnieszka Kumor

André Brunel est lui-même producteur et négociant. Des 95 ha de vignes qu’il possède, 20 ha produisent du Châteauneuf-du-Pape dont il exporte 80%. Le reste du vignoble est partagé entre les Côtes du Rhône et les vins de pays. C’est son père, Lucien, décédé en 1993, qui a sorti Les Cailloux de la cave coopérative. André a développé ensuite la double vocation du domaine.

Nous entrons dans l’imposante cave d’expédition, fleuron de la marque André Brunel. Je détecte des capsules à vis sur les vins expédiés outre-Atlantique et en Norvège. Nous échangeons un sourire espiègle.

Les Cailloux blanc 2012 (20€, les prix indiqués au domaine)

Les blancs constituent environ 10% de la production. Une seule cuvée traditionnelle est produite. Composé majoritairement de roussanne et de grenache blanc, élevé sur lies fines en cuves béton, ce vin se distingue par un nez délicat et légèrement fruité, une acidité moyenne et une finale amère sur une amande fraîche. Un millésime tendu qu’il vaut mieux goûter à partir de deux ans d’âge.

2. La dégustation avec André Brunel au domaine Les Cailloux. Photo Agnieszka Kumor

Les vins dégustés avec André Brunel au domaine Les Cailloux. Photo Agnieszka Kumor

Les Cailloux rouge 2011 (20€)

Dans la cuvée traditionnelle rouge ce sont le grenache, le mourvèdre et la syrah qui mènent le bal, ils sont accompagnés de cépages minoritaires. Le vin est intense, diffuse les notes de fruits rouges et noirs légèrement kirschées. Les tanins charnus commencent à s’assouplir, la matière est équilibrée (millésime solaire), la finale longue sucrée/amère. Nous le comparons avec les millésimes difficiles.

Les Cailloux rouge 2008 (20€)

Issu d’une année difficile, donc, ce vin au nez discret commence à se complexifier, sa matière est étonnamment mure malgré la pluie et le vent glacial qui ont repoussé les vendanges jusqu’en octobre. Je le verrai bien sur un mijoté de sanglier au vin.

3. Le vieux cep du grenache. Photo Agnieszka Kumor

Un vieux cep de grenache. Photo Agnieszka Kumor

Les Cailloux rouge 2006 (25€)

Bouquet de pivoines et d’iris, puis notes chocolatées et torréfiées, pour finir sur la truffe. Acidité prononcée, texture qui évoque du velours. Ici, on n’érafle pas systématiquement, disons les trois quarts de raisins, et quand il le faut.

Les Cailloux Cuvée Centenaire rouge 2010 (env. 70€)

Sortie en 1989, cette cuvée a été l’une des premières cuvées spéciales dans la région. Composée de grenache majoritaire (syrah et mourvèdre sont à 10% chacun), sa bouche rappelle une framboise enrobée de chocolat amère. C’est un vin gourmand qu’on sent longtemps sur les papilles.

Quel est le style des Cailloux? Ample, intense, velouté et profond.

 

Domaine Jean Royer, 16 juillet, 13h45

Avec Jean-Marie Royer, les choses sont claires dès le départ: les bouteilles m’attendent, mises en rang sur le comptoir du caveau, on dirait l’équipe de XV de France avant un tournoi des Six Nations. On va parler vin, mais on va parler aussi des hommes et des femmes.

4. On déguste avec Jean-Marie Royer. Photo Agnieszka Kumor

Dégusté avec Jean-Marie Royer. Photo Agnieszka Kumor

Dans la famille de Jean-Marie il y avait des maçons, des petits vignerons, mais il n’y avait pas de transmission. Entre une grand-mère «démoniaque», se souvient-il, et la disparition prématurée à 38 ans de son père Gaston, il lui a fallu apprendre sur le tas. Il se demande encore comment sa mère d’origine espagnole, Lucie, laissée avec un fils de deux ans dans un milieu étranger a pu supporter cela. Lui, c’est le rugby qui lui a donné des forces quand, en 1985, après la formation viticole et le service militaire, il a repris la petite exploitation familiale. S’en sont suivis les 15 ans de  son«odyssée sous-marine», dit-il, où il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait faire. A cette époque toute la production partait en négoce.

Ce sera finalement sa future épouse qui l’incitera à une prise de conscience: sur un terroir d’excellence, il devrait faire des vins d’excellence. Ce n’est qu’en 2007 qu’il sortira un millésime digne de ses ambitions, sous l’œil de l’œnologue-conseil Philippe Cambie, personnage incontournable de la région (il surveille d’ailleurs également les trois autres propriétés visitées). Le récent achat d’un hectare de vignes dans la zone prestigieuse de La Crau suit cette optique de qualité. Sur plus de 9 ha de vignes que compte le domaine, 5 ha sont dans l’appellation Châteauneuf-du-Pape, le reste se déploie en Côtes du Rhône et Vin de France (Le Petit Roy, 8€50). Nous dégustons une douzaine de millésimes déclinés en différentes cuvées.

5. Le vignoble du Domaine Jean Royer soigné aux petits oignons. Photo Agnieszka Kumor

Le vignoble du Domaine Jean Royer soigné aux petits oignons. Photo Agnieszka Kumor

Domaine Jean Royer blanc 2012 (23€)

Les blancs de Châteauneuf-du-Pape sont représentés par une seule cuvée traditionnelle composée pour moitié de grenache blanc, complété de bourboulenc et de clairette. Toutes les grappes sont éraflées. Nez aromatique et intense de fleures blanches, de gingembre, bouche à la trame délicate, légère, au goût de citron et de pamplemousse, à l’acidité prononcée.

Domaine Jean Royer rouge 2011 (22€)

La cuvée traditionnelle rouge est un assemblage à grenache majoritaire, le reste composé de syrah, mourvèdre et cinsault. Ce vin sent la noisette et la myrtille, en bouche l’acidité affirmée, les tanins fondus, finale sucrée/acidulée.

2010 : nez floral, bouche intense sur le fruit.

Domaine Jean Royer rouge Cuvée Prestige 2011 (33€)

Nez délicat rappelle les fruits de bois. Bouche épicée, tanins souples. L’éraflage n’est pas systématique sur cette cuvée 100% grenache élevé en cuves et en barriques de 225 l.

2008 : nez viandeux, bouche épicée, légèrement confiturée. Laissons-le attendre un peu.

2007 : nez plus végétal, notes de cuir, petite sucrosité en bouche.

Domaine Jean Royer rouge Les Sables de La Crau 2011 (50€)

Nez très complexe, notes de tabac brun, et avec cela beaucoup de fraîcheur et de fruité, un certain côté sauvage de ce 100% grenache.

2010 : nez toujours marqué par le tabac, bouche croquante.

Nous goûtons le millésime 2012 sur les pièces bourguignonnes: la trame est massive, franche, étonnante de fraîcheur, notes de framboises et de myrtilles.

Existent, en outre, la cuvée Sola Syrah Régalis (100% syrah) et Hommage à Mon Père (100% grenache).

Quel est le style du Domaine Jean Royer ? Fruité et épicé, complexe et fin.

Agnieszka Kumor

 

http://domaine-les-cailloux.fr

http://www.domainejeanroyer.fr

2 réflexions sur “Châteauneuf-du-Pape (2): en hommage à leurs pères

  1. Cadier

    Merci Agnieszka pour ce voyage ensoleillé dans les chateauneuf-du-pape. Comme l’oenologue Philippe Cambie a l’air très présent, je me demandais quelle est la part de sa « patte » personnelle dans les cuvées dégustées, par rapport à celle des vignerons…

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  2. Agnieszka Kumor

    Hah ! Le vaste sujet que tu évoques ici. Le rôle des œnologues-conseil… J’en connais quelques uns, et à mon avis nous ne saurons jamais quelle part dans l’élaboration du vin leur appartient. La « patte » de Philippe Cambie dans la qualité et l’image des Châteauneuf-du-Pape actuels est incontestable. Mais, il est vrai que dans son passé il était rugby man. Et l’esprit d’équipe propre à ce sport doit y être aussi pour quelque chose. D’après mon expérience, les bons œnologues-conseil écoutent d’abord leurs clients, les vignerons, pour pouvoir comprendre où veulent-ils aller, et connaissent bien le terrain. Ainsi, il y a des chances que leurs visions concordent.

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