Le Muscadet donne le «la» au sol

Enfin, c’est ce que l’AOC Muscadet aimerait bien nous faire croire. Je ne dis pas cela pour abonder dans le sens coboldien, mais parce qu’en sept ans, le discours s’est transformé. Il est passé des conseils d’accords selon le type de sol à une déclinaison communale. Peut-être plus facile à faire passer à l’INAO, mais moins branché «roche nourricière».

Vignes Loire

Le premier jet était assez curieux, mais devait correspondre à une tentative de communiquer sur les variations typologiques bien réelles des Muscadet en évoquant le sol. Communication à la fois romantique et naïve. Certains l’indiquaient (et l’indiquent toujours) sur l’étiquette, comme les Schistes de Clisson ou le célèbre Amphibolite des frères Landron.

Bref, à l’époque, on parlait de la roche dans laquelle poussaient les vignes et ce qu’il convenait de manger avec un vin issu d’une parcelle sur orthogneiss ou gabbro. Compliqué !

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Je ne sais pas si indiquer que le vin vient de l’appellation communale Muscadet de Sèvre et Maine Goulaine (sur gneiss et micaschistes) ou du Château Thébaud (sur granit) ou d’autres parle plus aux consommateurs, mais l’expert (qu’il se lève pour qu’on voie à quoi ça ressemble, un expert) lui, aimera beaucoup. Moi aussi, sans l’être, mon expérience des dégustations selon le type de sol me titille déjà la langue rien qu’à y penser.

 

En 2007

En cette belle année, j’avais écrit dans In Vino Veritas n°128

En Muscadet, le Sol donne le «La»

Tu vois David, il suffit de changer de clé pour changer la musique, en Fa ou en Ut, on n’obtient pas le même résultat, de là à faire un parallèle avec le vin, il y a un pas qu’il me plaît de franchir.

Voici l’article dans son entier…

L’appellation fait en nous vibrer la fibre minérale

Le vignoble fait comme un gros jabot sous la ville de Nantes. Il s’étale de part et d’autre de la Loire côté E, mais s’étend uniquement sur la rive gauche du fleuve dans sa partie S. Le relief de faible altitude, quelques dizaines de mètres, se façonne essentiellement dans des terrains métamorphiques et éruptifs du Massif Armoricain. Ces terrains très anciens orientent grosso modo leur larges bandes de NW en SE.

La plus grande diversité de sols se discerne en amont de Nantes, nappe complexe de roches précambriennes (massif de gabbro du Pallet et affleurements de gneiss, amphibolite, micaschiste, …). En aval de la ville, les formations métamorphiques précambriennes à hercyniennes prennent le relais et installent le lac de Grand-Lieu au sein de leur dépression. Des dépôts éocènes y accentuent le relief par quelques buttes éparses, tandis qu’un placage marin du pliocène recouvre les larges parties déprimées.  

 Salon des Vins de Loire 2014 146

Courte histoire longue

Tout commence au précambrien, il y a 2,5 milliards d’années. Pendant longtemps rien ne se passe. Puis durant l’ère primaire, le socle rocheux va subir plusieurs transformations. Un cycle d’orogenèse (formation des montagnes) étalé sur 250 millions d’années le sculpte. La dernière, l’hercynienne, du Dévonien -400 MA au Permien -245 MA, modèle encore le paysage actuel. Entretemps, l’ère secondaire recouvre les massifs érodés d’une mer qui subsiste jusqu’à la fin du crétacé. L’ère tertiaire relève le massif armoricain durant l’orogenèse alpine et apporte les dépôts éocènes et pliocènes. Enfin, le quaternaire et sa suite de glaciations terminent l’ébauche géologique.

 

Bilan

Les vignes selon l’endroit tirent des minéraux, qui baignent leurs racines, leur substantifique nourriture. Les roches nourricières se divisent pour le Muscadet en quatre origines :

Les roches volcaniques, conséquentes aux phénomènes éruptifs liés aux orogenèses, ce sont ici les granits et les gabbros.

Les roches métamorphiques, transformées par les fortes pressions et les températures élevées survenues durant les phases de bouleversements, comme les gneiss, micaschistes, amphibolites et serpentinites.

Les roches sédimentaires, déposées et compactées avant et pendant l’ère primaire, schistes briovériens (-670 à -540 MA) et siluriens (-435 à -395 MA) et grès armoricains de l’ordovicien (-500 à -435 MA).

Les dépôts tertiaires de sable et sablo-graveleux, localement fossilifères.

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Riches de ce trésor géologique, le Muscadet nuance son accent en schisteux, granitique, gneissique, ….sans que cela soit spécifié sur l’étiquette, sauf exception.

 

La vibration minérale selon quelques domaines

Vibration qui trouve un écho certes différent selon la sensibilité de chacun, en voici mon interprétation. L’essentiel se résumant à : il y a-t-il ou non résonance minérale ?

 

Granite de Clisson 2001 Sylvain Paquereau Muscadet Sèvre et Maine 

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Sol de Granite de Clisson : granites hercyniens de 300 millions d’années très résistants, mais dégradés en surface, de type porphyroïde, c à d présentant des cristaux de grande taille dispersés au sein de minéraux de taille plus petite.

Vert jaune pâle ; le nez floral qui rappelle l’eau de rose embaumée de violette et de guimauve ; en bouche, les notes florales se mélanges aux fruits, compote de pomme, poire cuite, amande et nèfle, la langue ensuite détaille le minéral et le ressent comme un agrégat à granulosité variable pris dans la gangue grasse du fluide, la fraîcheur modérée goûte la confiture de rhubarbe ; longueur sur la pomme un rien blette, les fruits secs et la fraîcheur.

Élevage deux ans avant mise.

 

Vieilles Vignes 2005 Sèvre et Maine sur lie Domaine Poiron Dabin

granit altéré

Sol de Granite de Château Thébaud : roche d’argile siliceuse issue du sous-sol de granits très altérés.

Jaune d’une luminosité fluo ; nez anisé comme une souris noire (gomme à l’anis), embellis de pétales de fleurs, aubépine et guimauve ; le léger dégagement carbonique éveille les pailles qui détaillent le minéral hérissé, les grains paraissent oblongs, reliés entre eux par un ciment gras, un fil amer passé dans chacun, une pointe d’iode et de sel relève la vivacité et prolonge la finale.

Fermenté à 18°C, élevé 14 mois sur lie.

 

L’Audigène Vieilles Vignes 2005 Muscadet Sèvre et Maine sur lie  Jean Aubron

Gabbro

Sol de Gabbro : roche magmatique de couleur foncée qui content au moins 55% de silice.

Jaune aux reflets  verts; un nez de citron confit; une entrée de bouche assez grasse et un minéral qui résonne d’un timbre mat, cela se traduit par une trame au tactile épais, comme une étoffe lourde qui de sa masse structure le vin. La fraîcheur met en exergue les agrumes et les épices, dessins élégants aux contours amers qui viennent embellir le tissu minéral.

Fermenté à basse température, élevé sur lie.

 

Terroir des Cossardières 2001 Sèvre et Maine sur lie Jean Claude Couillaud

gneiss

Sol de Gneiss sur schistes de Goulaine : roche d’aspect grossier composée de lits sombres de minéraux ferromagnésiens (micas, amphiboles) et de lits clairs de quartz et de feldspaths. Le Pain de Sucre qui domine Rio de Janeiro en est fait. Le schiste présente une structure feuilletée due au compactage des argiles de formation.

Jaune pâle aux entournures vertes ; de l’iode au nez irisé de verveine et de tilleul ; un gras d’entrée buccale, puis le minéral déboule sans attendre, grains hyper fins, très acérés, ils s’étirent souples et serrés comme le fil d’une lame. Une fleur de fenouil et un pétale de fleur d’amandier viennent se déposer sur la lame minérale. Quelques signes d’évolution se remarquent par les traces de fruits secs et le confit des agrumes qui se mêlent aux nuances cristallines. 

Pas de levurage, fermentation à 18°C. Élevé 30 mois sur lie. Récolté le 18 septembre 2001, mise le 2 avril 2004.

 

Haute Carizière 2006 Sèvre et Maine sur lie Domaine Bid’Gi

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Sol de Micaschiste : roche feuilletée, entièrement cristalline, où les lits de mica alternent avec ceux de quartz ; le feldspath est absent. Elle se reconnaît facilement à son aspect feuilleté et brillant dû à l’abondance de mica.

Jaune citron ; un nez de camomille romaine, de racine de réglisse ; une structure établie sur le minéral tactile, grains assez gros, au modelé croquant, sur lesquels poussent les arômes floraux de violette et d’églantine, et fruités de groseille blanche et citron vert, ces derniers parfument la fraîcheur assez vive du vin.

Fermentation thermo régulée à 18°. Elevage sur lie, bâtonné 6 mois, non collé.

 

Amphibolite Nature 2006 Jo Landron  Muscadet Sèvre et Maine sur Lie

Amphibolit

Sol d’Amphibolite : roche métamorphiques pauvres en silice de couleur verdâtre, elles résultent de la cristallisation de roches magmatiques et se composent principalement d’Amphibole (silicate de fer, de calcium ou de magnésium) et de feldspath.

Jaune à reflets verts ; le nez légèrement anisé, poivré, viennent rapidement des parfums de fleurs séchées, de feuilles de tomate soutenu par une note iodée ; minéral tranchant en bouche, accentué encore par la vivacité du milieu fruité qui allie agrumes et groseille à maquereau, de l’amande adoucit le transport acidulé et met comme un baume sur le rasoir cristallin, la longueur retrouve les fruits et y ajoute de la pomme râpée très légèrement teintée de fève de tonka (ça, ça le fait !).

Fermentation sur lie, mise non filtrée.

 

Le Vigneau 2006 Muscadet Sèvre et Maine sur lie  Domaine De Guérande

Serpentinite

Sol de Serpentinite : roche tendre de couleur jaune à vert foncé, son aspect écailleux fait penser à la peau de serpent, elle se compose à plus de 75% de serpentine. 

 

 

2. 2 l’ère secondaire

Blanc jaune ; le nez floral avec un rien de poire et de pierre à fusil ; minéral en bouche, mais qui se différencie en minéral tactile, texture en léger relief, aux grains fins maintenu dans une matrice grasse, presque onctueuse. Et en minéral aromatique, arôme d’anis et d’ail léger relevé de silex frottés. Le floral habituel du Melon vient enrichir les nuances cristallines. Le dégagement carbonique amplifie les perceptions et renforce la fraîcheur.

Fermentation à basse température, élevage sur lie.

 

Les Granges 2006 Muscadet Côtes de Grandlieu sur lie Serge Batard

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Sol de sables argileux sur micaschiste : dépôts marins de sables éocènes mêlés d’argiles sur lit de micaschistes.

Jaune paille ; nez en zestes d’agrume, pamplemousse, citron et orange amère ; élégant, aérien, le minéral devient ici cristallin, comme transparent, sa résonance se répercute en vagues successives et fait l’effet d’un frôlement sur les papilles. La légère amertume délie la structure, la rend encore plus légère, juste reliée à la terre par un lacis de fraîcheur au goût de citron vert.    

Fermentation thermo régulée, élevage sur lie.

 Le Pallet

 

Pour tenter de convaincre David et autres sceptiques (à raison), il faudrait sans doute se concocter une dégustation qui limite les paramètres. Vins de cuve, même millésime, même type de vinification et de temps d’élevage, et au moins une demi-douzaine d’échantillons par type de sol (c’est à dire de commune), histoire de voir si on peut dégager des traits communs aux vins issus d’un sol identique.

Il faut bien entendu garder à l’esprit que le facteur sol n’est qu’un petit fragment du spectre aromatique ou structurel d’un vin et que sa mise en évidence demande une recherche spécifique.

  

Kenavo

Loire 

Marco

 

5 réflexions sur “Le Muscadet donne le «la» au sol

  1. J’ai envie de me faire l’avocat du diable: est-ce que je me trompe si je dis qu’on vendait plus de Muscadet au temps où les mentions étaient plus simples? (Sèvre et Maine ou pas).
    Qu’est-ce qui a causé la crise des ventes? Un problème de mentions ou un problème de qualité? Un retournement des marchés? Un peu de tout?
    J’aimerais avoir l’avis de Jim, qui si je me rappelle bien, a connu le temps ou le Muscadet était une vraie institution en Grande Bretagne…

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  2. En attendant l’avis de Jim, le Muscadet se vendait bien jadis, mais y’avait des tonnes de merdes et pas mal d’entourloupes sur le dos des vignerons et du consommateurs. Maintenant, il s’en vend moins, mais il il est un peu plus cher et nettement meilleur !

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  3. georgestruc

    Très joli papier, Marc, dont tu m’avais envoyé une copie lorsqu’il a été réalisé. Ta conclusion donne effectivement la méthode à suivre en matière d’expression du terroir dans un vin : une recherche précise, pas toujours facile à mettre en œuvre. Mais nous l’avons testé ensemble à plusieurs reprises sans trop de problème, si ma mémoire ne me trahit pas ? Et tu l’expérimentes beaucoup plus souvent que moi sur de nombreux vins produits dans des régions de France très différentes. La question de l’abus qui en est fait concerne tous les segments de la communication, surtout depuis que les sites sont faciles à construire et à alimenter. On voit et on lit toutes sortes de choses étonnantes…Et c’est dommage, car une dévaluation s’ensuit, en sorte que le consommateur, au lieu d’y trouver des éléments attractifs et enrichissants va s’en détourner. Du travail nous attend encore sur le sujet. Courage.

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  4. Ping : Le vignoble du Val de Loire – Vinfoletter

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