Cava, ou Clàssic Penedès?

Dans mon billet de dimanche dernier, je vous faisais part de la « sécession » d’une quinzaine de domaines (exclusivement catalans) de la DO Cava, qui voici deux ans, ont décidé de créer, au sein de la DO Penedès, la mention Clàssic, pour leurs effervescents.

Démarche légitime, à mon sens, tant il est difficile de se repérer dans la zone de production du Cava, qui ne se limite pas au seul Penedès, même si celui-ci représente la très grosse majorité de la production. En effet, on peut aussi élaborer du Cava dans les régions de Valencia, en Estrémadure, en Navarre, au Pays Basque, en Rioja et en Aragon, le seul dénominateur commun étant le procédé d’élaboration (méthode traditionnelle). Les domaines qui font l’effort de relier le vin à un terroir particulier ne disposent pas d’outils pour le communiquer. D’ailleurs, à ce jour, il est impossible de savoir combien il existe de Récoltants Manipulants dans la DOP CAVA !

Père Bonet, qui outre son rôle de Directeur de la Communication de Freixenet, est aussi Président du Consejo Regulador del Cava, rappelle que c’est la Cour de Justice de l’Union Européenne qui, voilà 30 ans, a reconnu aux domaines qui élaboraient des effervescents le droit d’utiliser la dénomination Cava et ce, qu’ils soient aux alentours de Sant-Sadurni ou non.

classicpenedeslogo

Si cette dispersion géographique nuit aux petits domaines qui veulent élaborer des Cavas de terroir en toute transparence, elle convient en revanche très bien aux grands domaines.

Le rachat, en 1997, de Jaume Serra par Garcia Carrión, constituant par là même un groupe fort de plus de 60 millions de bouteilles de production annuelle, ce qui en fait le troisième producteur de Cava après Freixenet et Codorniu, n’a certainement pas arrangé les choses: ses Cavas à marque propre destinés à la grande distribution, ont abouti à une forte baisse des prix et ont contribué à alourdir la pression sur les petits producteurs.

L’aspect le plus polémique est sans doute le prix très bas que paient les élaborateurs de Cava aux producteurs de raisins: 35cts/kg, en 2015.

A titre de comparaison, toujours en 2015, ce prix est de 5, 80€ le kg en Champagne, et plus alarmant encore, compte tenu du positionnement du produit, de 1,30€ le kg en Prosecco, soit 4 fois plus que pour le Cava.

Economie de misère

Parce que pendant des années, la stratégie des grandes maisons de Cava a consisté à casser les prix, l’appellation a perdu son prestige; le prix de vente moyen d’une bouteille de Cava à l’export est de 1,40€ et l’on peut trouver des marques connues à 4 dollars aux Etats-Unis… Si on enlève le coût du bouchon, de la bouteille, de l’étiquette, du transport, la marge de la distribution, que reste-il pour le Cava lui-même?
Cette guerre des premiers prix fait du mal à la marque générique Cava, tout étant vendu sous la même DO, même les moins qualitatifs. La conséquence ne s’est pas fait attendre: peu à peu les portes se sont fermées. En plus de son prestige, le Cava a perdu une partie de ses parts de marchés à l’export (-25% en Allemagne et -24% au Royaume Uni), au profit du Prosecco. Au Royaume-Uni, ce dernier surpasse aujourd’hui le Cava en termes de ventes; et ce, non grâce à un prix inférieur, bien au contraire!

Et ça ne s’arrangera pas, à vouloir construire un produit sur une économie de misère, on a obtenu un produit de misère, qui n’attire plus les acheteurs ! Voir avec les viticulteurs du Penedès, comment ils arrivent à s’en sortir… peut-être que ceux qui ne se sentent pas pressurés pourraient nous l’expliquer. Mais la plupart du temps, c’est silence radio.Rien d’étonnant, quand on sait qu’à Sant Sadurni d’Anoia, une famille sur deux travaille ou pour Codorniu ou pour Freixenet, on comprend que ses grands groupes n’ont pas grand-chose à craindre ! Autant dire que les deux caves principales, soutenues par les grosses caves coopératives qui les fournissent en vin de base pour le Cava y font la pluie et le beau temps et qu’il est quasiment impossible pour un domaine de taille moyenne de faire entendre sa voix.

Cette situation explique le mécontentement et la confusion qui existe chez les bons producteurs de Cava, car il y en a, ils sont même nombreux, et ne demandent qu’une chose : pouvoir en vivre ! J’aimerais vous en faire connaitre, si je vois que le sujet vous intéresse, je dresserai le portrait de certains d’entre eux.

Dans ces circonstances, il est compréhensible et même logique, que surgissent des initiatives qui se veulent des alternatives au Cava !

Justement, bien payer les viticulteurs pour obtenir des bons raisins, fait partie de la philosophie que revendiquent les Clàssics Penedès.

Ils se défendent de tout lien avec le contexte politique actuel de la Catalogne mais s’il est vrai que le débat sur l’indépendance n’a pas eu d’influence sur leur décision, qu’ils le veuillent ou non les producteurs sont impliqués ! D’une part, le Cava est devenu un produit sensible soumis au boycott quand la tension et le ton montent entre Madrid et la Catalogne; d’autre part, il est indéniable que cette situation peut bénéficier aux petits domaines. Sans compter que leur spot publicitaire de lancement, avait une connotation indépendantiste très marquée sans jamais l’avouer ouvertement. Mais il y a un autre aspect des choses, non négligeable, les producteurs de Clàssic Penedès dépendent de la DO Penedès, qui, elle même, dépend de la Generalitat, tandis que la DO Cava, malgré la prééminence absolue de la Catalogne dans le secteur, agglutine des producteurs de 7 communautés différentes et donc, dépend de Madrid et du ministère espagnol de l’agriculture.

Mais voyons à présent ce que proposent les sécessionnistes du Classic Penedès. Pour illustrer leur combat de la qualité, j’ai choisi un des leurs chefs de file, Albet i Noya. Et plus particulièrement une cuvée millésimée:

 

Albet i Noya Brut 21, Clàssic Penedès 2011

Pour élaborer cette cuvée, Josep Maria Albet i Noya, utilise 2 cépages, l’un autochtone, la Parellada (43%) et l’autre plus international, le Chardonnay (57%).

Brut-21

Production : 12.800 bouteilles. Méthode traditionnelle, 15 mois d’élevage, date de dégorgement sur l’étiquette et millésime. Prix: entre 14 et 17€.

Je l’apprécie beaucoup, car il est vrai que cet assemblage inhabituel, en fait un produit harmonie; l’attaque est franche, vive, puissante, accompagnée d’une agréable sensation d’onctuosité. Les bulles sont fines et persistantes à la mousse délicate. La finale évolue vers des notes de fruits secs avec une très belle longueur.

A consommer entre 6 et 8º. Il est facile à marier à l’apéritif, ou avec des poissons grillés ou des viandes blanches, une paella, Foie Gras poêlé, rôti de veau, Dinde farcie au boudin blanc

Marie-Louise Banyols

7 réflexions sur “Cava, ou Clàssic Penedès?

  1. Excellent éclairage, qui met bien le problème dans son contexte exact. Attention au « goût de lumière », néanmoins (warf-warf). La « nouvelle » appellation, comme partout, est un souci de différentiation d’avec les « grands ». Paradoxe: beaucoup de vignerons sont des individualistes et pourtant, ils ont nesoin d’un « tronc commun » pour communiquer (largement à cause de la GD). Et s’ils essayaient plutôt de sortir une MARQUE?

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  2. Marie-Louise Banyols

    La plupart le souhaitent, mais les intérêts des uns et des autres sont trop différents, ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Mais, s’il est vrai que beaucoup de vignerons sont des individualistes, beaucoup d’entre eux ont le même objectif, ils cherchent la qualité, mais ont du mal à lutter: les grands faiseurs dominent le marché.

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    1. Notre métier/fonction/vocation à nous, les producteurs, est d’offrir (proposer en fait) la qualité. mais est-ce que la vôtre (meneurs d’opinion, prescripteurs …) ne serait pas de DETOURNER les gens des grandes structures pour les recentrer sur les unités plus humaines? Pourtant, même sur ce blog-ci , que je suis assidument et qui ne m’est pas hostile, ce sont souvent les « success stories » qui font la une. Axel Kahn, pas vraiment un gauchiste pourtant, fait remarquer avec beaucoup de simplicité, que le succès se mesure de nos jours exclusivement en termes de rentabilité, même dans les entreprises littéraires ou gastronomiques. Fuyez la GD, détournez-vous de ce qui « marche » déjà bien. Au-delà de la biodiversité, la diversité tout court est un de nos biens les plus précieux. C’est la fille aînée de la liberté.

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  3. Le Classic Penedes est une bonne idée, cela permet de se séparer de cet océan médiocre vendu au ras des pâquerettes. En Belgique par exemple, des bouteilles vendues à 2,50€, voire moins auprès des professionnels (surtout flamands) se revendent entre 4 et 6€ la « coupette » bonjour le tiroir caisse. Le souci c’est toutefois de se faire connaître, là c’est loin d’être gagné. Mais je crois que dans un premier temps Josep Albet s’en fiche. J’ai l’impression que son but ne s’arrête pas à se séparer des Cava, mais cela correspond aussi à ses velléités séparatistes. Je dis ça pour l’avoir rencontré il y a un peu plus d’un an, son discours est des plus limpides. Et vu qu’il est président de la DO Penedès me semble-t-il, voilà une premier coin bien enfoncé dans l’establishment viticole madrilène.
    Pour en revenir à la question primordiale « comment sauver les petits producteurs de Cava », la question est lancée, comment faire?
    Marco

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    1. Personne ne demande un « sauvetage » des petits, Marc.
      Nous (ils) sommes assez « grands » pour le faire. Nous voulons une EXPOSITION (= visibilité). La presse spécialisée traditionnelle n’a plus de sens. IVV est déjà un cas à part (un peu rebelle et marginal) mais souffre d’une relative désaffection aussi. C’est le net qui relaie l’info. Et les « gros » occupent le terrain.
      Le vigneron-phare de Vingrau est sans doute le « petit » le mieux organisé et le plus talentueux dans ses rapports avec la notoriété dans le sud de la France. Au-delà de la qualité de sa production, indéniable, c’est aussi une facette de ses atouts. Et pourtant, je suis sûr qu’il est cité dix fois moins que le « tycoon » de la Clape ou que le cannibale d’Eauze dans vos colonnes.
      Je ne pleurniche pas, c’est un simple constat.
      Maintenant, qui a dit que le monde devait être juste?
      Ben, moi, entre autres …..

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  4. Merci Marie-Louise pour cet exposé aussi clair que bien étayé. Je pense que la Champagne, à moindre degré bien entendu, souffre un peu des mêmes maux que le Cava, vu la distorsion entre les moins chers et les plus chers, et les écarts qualitatifs souvent mais pas toujours liées à cela. Le cas des champagnes bradés autour de 10 euros en supermarchés en fin d’année illustre cela. Avec un prix de raisin au kilo à 5,80, cela donne un prix de revient théorique (car je sais qu’il y des histoires de tailles vendus moins chers etc) de près de 7 euros pour la matière première AVANT vinification, vieillissement, flaconnage, habillage, transport, marges, etc. Quelqu’un doit vendre à perte dans cette affaire et être peu regardant sur la qualité, et je pense que cela ne fait pas du bien à la Champagne dans son ensemble.

    Luc, je ne sais pas si tu as raison quand tu nous accuses de donner plus d’espace aux grands producteurs qu’aux petits dans ce blog. Nous essayons de donner à la fois des opinions honnêtes, si possibles informées, mais surtout de proposer une diversité importante dans les vins dont nous parlons. Je pense que si on faisait une analyse des vignerons ou producteurs mentionnés dans ce blog, que 80% des vins cités proviendront de « petites » structures. Mais il n’y a aucune raison valable, à mon sens, d’ignorer les « gros », d’autant plus que ce sont ces vins là qui sont les plus faciles à trouver par le consommateur, et surtout s’ils sont intéressants, bien faits, etc. En tout cas je refuse absolument d’être sectaire dans ce domaine.

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  5. Comme souvent (tjs?), « avoir raison » n’a guère de sens. Il s’agit d’un ressenti. Et ce n’est pas une accusation, c’est un constat, qui peut être erronné d’ailleurs. Tout en vous en défendant (ou pas), au moins Michel et toi provenez du milieu de la « promotion » traditionnelle des vins et spiriteux, un monde qui n’existe presque plus mais qui a laissé des traces. Vous avez pris vos distances mais il ne s’agit pas de renier en bloc son histoire – je ne le fais pas du tout non plus. Toi, tu es un vrai libéral (au sens anglo-saxon) et il est normal que la compétitivité et la performance te soient chevillés au corps. Moi-même, je les préfère de loin à la fainéantise et à l’assistanat. Michel a collaboré avec brio et loyauté aux magazines liés à la grande distribution, au capital et aux gros faiseurs, en gardant son indépendance dans la mesure où c’était possible. Il affiche une sensibilité plus centre-gauche et se force donc à un grand-écart périlleux. J’ai moi-même occupé un poste de responsabilité (mid-management, faut pas exagérer non plus) au sein de la branche belge de Bayer Pharma, alors que mes affiliations sont ailleurs, on le sait Hervé a collaboré à un magazine de publi-rédactionnel avec lequel il s’est d’ailleurs fâché et actuellement, ayant totalement viré sa cuti, il nous offre des analyses que je partage le plus souvent mais qui le mettent « at odds » avec une partie du milieu qui devrait le nourrir. Marc vient du monde du privé et n’est pas un littéraire au départ. Il se laisse parfois « attraper » au jeu du bling-bling mais regarde tout cela avec ironie je crois. Cela fait presque 25 ans qu’on se connaît et il a évolué de manière spectaculaire vers de la hauteur goguenarde et une indépendance d’esprit qui l’honore. Jim, je ne le connais pas assez pour savoir. Il joue avec ténacité et efficacité au rôle de Don Quichotte et sa Rossinante est diablement rapide. Pas de plat à barbe pour lui et il atteint souvent la pourtant « unreachable star ». En même temps, il a ce sens du « correct » typique des îles britanniques, et qui m’est totalement étranger. Voilà donc un mix de 5 personnalités, de 5 tempéraments, de 5 expériences qui font de vous un des blogs les plus intéressants à suivre. Vous aimez tous les 5 le vin et vous êtes des connaisseurs, même des experts en certains domaines et je ne rate quasiment jamais un seul épisode.
    Les avocats étant ce qu’ils sont, je ne me risquerai pas à détailler les griefs que je nourris envers certains empires viticoles. Mon budget suffit à peine à payer loyalement mes fournisseurs, qui sont des partenaires que je respecte, je ne tiens pas en plus à entretenir des baveux, en cas de litige.
    Fouteur de merde je suis né, oui, mais de la merde qui sent bon, comme une andouillette de qualité.

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