« L’avenir de la viticulture, c’est le sol »

« L’avenir de la viticulture, c’est le sol », clame Rémy Fort, le dynamique président de la Cave Anne de Joyeuse (Limoux), chez nos confrères de Terre de Vins.

Qu’il me soit permis de mettre un bémol à la clef… de sol.

bémol

 

Non que je souhaite redémarrer une n-ième polémique sur le terroir, la minéralité, l’influence des roches sur le goût du vin…

Ni que je trouve déplacée l’idée de mieux adapter la viticulture et la vinification à la connaissance qu’on a de ses sols; et de les préserver face à la chimie, face au mitage, face à la spéculation. En ce sens, je rejoins tout à fait Rémy Fort.

Non, c’est juste que j’aimerais que les vignerons – coopérateurs, caves particulières ou négociants, fassent preuve d’un peu moins de modestie, quitte à s’exposer un peu plus.

Si 25 ans de dégustations m’ont apporté une seule petite certitude, c’est que l’apport humain dans la qualité des vins est déterminant.

J’en veux pour preuve les écarts que je constate régulièrement entre les vins d’une même appellation, parfois entre des vins de parcelles voisines.

Les choix opérés par le vignerons – taille, moment de récolte, temps de macération et de fermentation, levurage, élevage – sans oublier, pour les plus « modernes », l’irrigation, la cryo-extraction, la thermo, l’osmose inverse…, voire le choix du consultant, pour ceux qui peuvent s’en payer un, tout cela influence tellement le produit final qu’on ne peut décemment réduire un vin à son milieu physique.

D’autre part, les cuvées assemblant plusieurs parcelles complémentaires, voire plusieurs terroirs ou appellations complémentaires prouvent qu’il est possible de faire de bons vins, non pas hors sol, mais au-delà de l’aspect strictement pédologique.

Je ne dis pas que c’est mieux, je ne dis pas que c’est moins bien, je dis que c’est une autre voie. Digne d’intérêt.

Je pense aussi que si les vignerons, leurs représentants et leurs élus mettent tellement l’accent sur leur sol, ce n’est pas toujours pour les bonnes raisons. J’en vois au moins trois:

  • Primo, parce que c’est une rente de situation – au moins potentielle.

« Ici, c’est Saint Chinian, et là, c’est Faugères ». Au journaliste de passage, on montre les frontières, on délimite. On vante la supériorité de l’endroit d’où l’on vient. Quelque chose que personne ne peut nous disputer. Vérité en deçà des Corbières ou de la Montagne Noire, erreur au delà… Et si ça marche, si le nom est porteur, on s’en sert pour vendre un peu plus cher. Sinon, on vivote dans un glorieux anonymat. En termes de notoriété, entre Côtes de Toul et Châteauneuf du Pape, il n’y a pas photo. Et pourtant, les deux sont des appellations d’origine contrôlées…

  • Secundo, parce que ça fédère les vignerons.

« Eux c’est eux et nous c’est nous. Chez nous, nos vins sont comme ça, c’est notre schiste brun qui parle (schiste brun ou bleu, ou rouge, cochez la case correspondante). Chez nous, on peut mettre 60% de mourvèdre et pas plus de 20% de Carignan… » Le journaliste prend des notes. Il n’a aucun moyen de vérifier la proportion des vins issus de schistes bruns, ou rouges, ou bleus, ni des argiles, ni des calcaires dans la bouteille; ni celle du carignan; il n’a qu’à recopier. Et si l’échantillon A est très différent de l’échantillon B, si le boisé prend le dessus sur tout autre considération, par exemple, au point que ce petit grenache finit par ressembler à un gros pinot, ou cette syrah à un cabernet, pas question de mettre en doute la fameuse typicité – elle est gravée dans le marbre, ou plutôt ici, dans le schiste. Je caricature, bien sûr. Mais pas tant que ça.

Or, fédérer ou non les vignerons, ce qui est la responsabilité des syndicats, ODG et interpros, ne regarde en rien le consommateur; à la limite, la cohésion d’une appellation peut même être contreproductive pour le consommateur, si elle aboutit à excuser le mauvais vigneron, à justifier qu’on lui attribue un label qu’il ne mérite pas – car cela déprécie le label dans son ensemble.

  • Tertio, parce que c’est la logique du système.

Appellation d’Origine Contrôlée. Un nom. Une provenance. Une garantie.

Bien sûr, on fait des arrangements avec la réalité; l’origine, c’est rarement un seul terroir ni un seul sol: que dire des appellations régionales? Et même au niveau communal, on a souvent beaucoup de mal à lier l’appellation à un type de sol. Ajoutez-y les subtilités de la pédologie et de la géologie – deux sciences complémentaires mais pas forcément univoques, et vous obtenez un véritable mille-feuilles où le pauvre journaliste, sans parler du consommateur, a bien du mal à trouver ses marques.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit: je ne nie pas l’importance du lieu, des sols ni des conditions climatiques, dans l’expression d’un vin. J’en parle même souvent. Et je trouve louable que certains vignerons s’efforcent de les faire apparaître dans leurs cuvées. De faire en sorte que leur vigne transmute les qualités de l’endroit. Ni même, que certains luttent pour que leur vigne soit la moins traitée possible.

Ce que je regrette, c’est que le lieu prenne trop souvent le dessus dans la communication par rapport au travail de l’homme (ou de la femme).

Sans communauté vigneronne, pas de terroir – c’est l’Homme qui a défriché, qui a planté, qui a terrassé, qui a mis en valeur le terroir, qui en a révélé le potentiel. Le choix des cépages, des modes de vinification, du type de vin préconisé dans l’appellation, c’est lui aussi.

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Hélas, même dans les meilleurs terroirs, les piquets ne poussent pas tout seuls! (Photo (c) H. Lalau 2015)

Tous ces choix ont été dictés par l’histoire locale, régionale ou nationale – le Porto a été développé par des Juifs espagnols chassés de Galice; le Marsala a été popularisé par la Marine anglaise qui cherchait un ersatz pour le sherry, dont Napoléon leur interdisait l’accès; le Châteauneuf n’existerait sans doute pas, sous sa forme actuelle, si les Papes n’étaient pas venus en Avignon; l’Alsace n’aurait sans doute pas pris l’habitude de vendre ses vins sous leurs noms de cépages si elle était restée française en 1870.

Parfois, aussi, les règles actuelles ne sont que le résultat de compromis plus ou moins sordides entre niveaux de pouvoir. Ou celui du positionnement des opérateurs, à un moment donné, par rapport à l’état du marché. Saviez-vous que dans les années 1930, les vignobles de Corbin auraient très bien pu être classés en Pomerol? Mais les Saint Emilion se vendaient plus cher… Et puis, il fallait bien mettre les bornes quelque part.

Sans vigneron, pas de vin. Tout ce qu’il décide influence, en mal ou en bien, le résultat dans la bouteille. Connaître le pourquoi de tel ou tel choix, la philosophie du décideur, m’en apprend au moins autant sur son produit que la composition des cailloux et le nombre de vers de terre dans ses sols.

Et moi, en définitive, ce n’est pas un Cabardès, un Faugères ou un Pays d’Oc que j’apprécie, ni un vin de calcaires ou de schistes, mais le vin de Claude Carayol ou de Catherine Roque.

Même quand Claude vinifie sa cuvée Vent d’Est, même quand il magnifie ses calcaires, ça reste son vin. S’il se plante, une année, ce ne sera pas la faute au vent ni au calcaire, mais celle de Claude. S’il fait un vin superbe, ce sera aussi sa réussite.

Et si demain il n’y a plus de vignerons à la Méjanelle parce que ça n’est plus rentable, ou parce que la pression de la ville est trop forte, le terroir historique nous fera une belle jambe!

Amis vignerons et vigneronnes, soyez donc fiers de ce que vous faites, n’hésitez pas à vous mettre en avant. Vos appellations, je les aime bien. Mais ce que je préfère, c’est vous!

Hervé Lalau

 

 

 

 

11 réflexions sur “« L’avenir de la viticulture, c’est le sol »

  1. Bravo Hervé. Excellent article et je suis 100 fois d’accord avec toi. Je serai tenté d’aller plus loin, en disant que le discours sur le terroir (entendez sol) est souvent un discours marketing et protectionniste, comme tu le souligne. Après, on peut aussi critiquer l’absence de formation et de sens critique de certains journalistes qui gobent tous ces discours sans réfléchir à l’ensemble du proccessus d’élaboration d’un vin

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  2. Avant, l’avenir de la viticulture, c’était le bois, et tout le monde aimait beaucoup; tout est une question de mode, de tendance, le marketing en fait ses choux gras. Et le vin dans tout ça ? C’est une boisson alimentaire et pas mal de gens se fichent de comment il est fait; certains regardent le prix. D’autres recherchent de l’émotion, et là que ce soit le terroir, le vigneron, ou ce que vous voudrez, on a envie de prendre son pied. Le reste c’est de l’argumentaire que certains gobent au premier degré et que d’autres s’échinent systématiquement à dénigrer.

    Marco

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  3. georgestruc

    Question stupide, mais je prends le risque de la poser : lequel d’entre vous a déjà vinifié ? Réellement vinifié, de l’entrée du raisin en cave, jusqu’à la malo faite et la mise en élevage, sans oublier le décuvage, les remontages, etc… ?

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  4. Non, la question n’est pas stupide, Georges. Et la réponse, en ce qui me concerne, c’est non.
    Je ne compte jamais le faire. A chacun son métier. Il ne faut pas être politicien pour voter, ni aviateur pour prendre l’avion. Le rôle du commentateur est de commenter, pas de dire au vigneron comment faire. Par contre, je pense que c’est mon droit de discuter les arguments qu’il emploie pour vendre son vin, car ça, c’est du discours.
    Amicalement

    Hervé

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    1. georgestruc

      Pas de piège dans ma question, Hervé. Afin de parler, donc de commenter et de comprendre le discours d’un vigneron, il n’est pas inutile, à mon avis, de savoir comment les choses se passent ; c’est très enrichissant. Sans autre attitude que d’apprendre et surtout de ne pas dire au vinificateur ce qu’il doit faire.
      Les arguments qu’il emploie pour vendre son vin sont d’un autre ordre. Je suis allé sur le site de Terre de vins afin de lire ce qui avait été écrit (par Mme Hermine) au sujet de M. Rémy FORT. J’y ai trouvé des propos classiques relatifs aux soins du sol, au fait de limiter les interventions préjudiciables à la vigne et aux milieux qui l’entourent ; en bref, un plaidoyer pour une agriculture respectueuse et une prise de conscience très positive. Un discours proche de celui que tiennent les viticulteurs travaillant en biodynamie (vie du sol, observations naturalistes, attentions portées à la vigne…). Et non pas une arme publicitaire…C’est une affirmation, un programme, une résolution.

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  5. Oui, Georges, et c’est d’ailleurs ce que j’ai dit – que c’est un discours (celui de M. Fort) auquel je pouvais adhérer. Mais reconnaissez que ne retenir que ces quelques mots « l’avenir de la viticulture, c’est le sol », c’est spécieux. C’est là la rançon de ce que mon copain Marc dénonce souvent: « des idées simples pour esprits faibles ». A moins que ce ne soit l’inverse. C’est ça qui m’a fait réagir, d’où le billet de ce matin. Et puis, ma passion pour les vignerons et vigneronnes, pour tous ceux et celles qui font – et bien – ce que je serais bien incapable de faire.

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  6. En matière d’élaboration d’un vin, je n’ai fait que travailler sur l’assemblage. Mais même cette toute petite expérience m’a appris à quel point des opérations après la vinification proprement dite peuvent influer énormément sur le résultat final. Le vin qui a résulté de cette expérience date de 1999, dans un autre pays que la France, et il est toujours très bon !

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  7. Le titre de l’article reste « l’avenir de la viticulture, c’est le sol ».
    Et à lire l’article ainsi que les commentaires, j’ai bien l’impression que vous avez un peu vite pris un chemin de traverse en parlant de la production de vin, winemaking disent les américains, curieux d’ailleurs qu’on n’ait pas un terme français équivalent. Pour moi, je comprends la viticulture d’abord comme la production de raisin et je pense qu’un président de coop qui n’est pas vigneron comme M. Fort, aussi.
    Dans ce cadre, en tant qu’agronome pas distingué mais devenu très intuitif, je confirme mon accord à 300 % avec l’expression « l’avenir de l’agriculture, c’est le sol ». Et c’est à mon avis également valable pour toutes les productions que nous offre la culture du sol. Nous avons laissé la mécanisation prendre les commandes de notre travail et comme disent mes amis Beaucerons « avec ces gros tracteurs, nous piétinons chaque jour notre beefsteak ».
    Aujourd’hui, je suis persuadé qu’en provoquant des tassements du sol plus ou moins profonds, le passage répété du tracteur est catastrophique pour la bonne santé des racines de mes vignes. Pensez que j’ai découvert que la chambre d’agriculture de Gironde estime qu’il faut en bio, passer 22 fois par saison pour faire les traitements. Heureusement que par chez moi 6 à 7 passages suffisent. Ne parlons même pas de la lourde machine à vendanger à une saison qui commence à être pluvieuse. Qui achète aujourd’hui un tracteur à chenilles ? Et la vendange manuelle, on est bientôt les derniers du coin ? Quand vous achetez une hotte, les collègues vous regardent comme un martien.
    Alors oui, pour moi vigneron dans le sud de la Drôme, le sol est primordial pour la viticulture, et comme chacun sait avec du beau raisin il est beaucoup plus facile de faire du bon vin.

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  8. Je ne peux que vous donner raison; si l’on s’en tient à l’étymologie, la viticulture, c’est la production du raisin. Et je le répète, je suis d’accord avec la démarche de M. Fort. Mais le sens commun de viticulture a débordé sur la production de vin; et c’est pourquoi j’ai pris la tangente, comme vous le dites très bien.
    Et quoi qu’il en soit, la viticulture, cela n’est rien sans un viticulteur.

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