Vinification en terre cuite: utile ou à la mode?

Il est intéressant d’observer les allers-et-retours permanents entre présent et passé en matière de mode, y compris dans le vin qui n’échappe pas à cette forme de dialogue entre l’époque actuelle, avec ses avantages et inconvénients, et une époque révolue qu’on a un peu trop tendance, parfois, à regarder avec des lunettes roses; des lunettes qui filtrent les mauvais côtés pour dire que tout était mieux avant, ce qui est manifestement faux ! Mais il y a des exceptions à ce type de nostalgie bête et je trouve que la vinification en vaisseaux de terre cuite fait partie de celles-ci, car les résultats peuvent être probants.

Batterie de Dolia de vinification de l’ère romaine enterrées à la Villa Rustica

Il arrive parfois que la redécouverte de techniques anciennes, si elles sont bien comprises et utilisées d’une manière censée, apportent quelque chose au vin. Dans un temps pas si ancien que cela, l’arrivée du béton à permis aux vignerons de se passer de vieilles cuves en bois difficiles à nettoyer et coûteuses à remplacer. Puis le béton fut remplacé à son tour par l’acier inoxydable. Aujourd’hui, on voit dans de très nombreux chais un retour du béton. Si on va plus loin en arrière, les premières vinifications historiques ont très probablement eu lieu dans des contenants en terre cuite, souvent enterrés, comme dans la photo ci-dessus, mais aussi parfois à l’air libre. Cette technique n’a jamais totalement disparu, car elle reste pratiquée, d’une manière certes marginale, en Georgie, en Espagne ou au Portugal, par exemple, mais elle a été largement abandonnée par ailleurs.

Mais quelques producteurs, ici et là, en Italie, en Slovénie, mais aussi en France, remettent cette très ancienne technique au goût du jour pour des types de vins assez variés et avec, parfois, des résultats très intéressants.

Avant de regarder cela en détail, je tiens à corriger une erreur étymologique trop fréquente.

De vraies amphores au musée d’histoire de Marseille : essayez donc de vinifier là-dedans !

On entend souvent des vins ainsi produits décrits comme étant des vins « d’amphore ». Ceci démontre l’ignorance de ceux qui utilisent ce terme dans ce contexte.

La vérité sur les amphores

Le mot amphore, ou amphora, vient de l’ancien grec et du mot ἀμφορεὺς, qui était une abréviation pour ἀμφιφορεὺς, venant de la racine de ἀμφὶ, signifiant des deux côtés, et de φέρειν, signifiant porter. De la racine ἀμφὶ on connait aussi amphithéâtre, pour un lieu de spectacle ou de rassemblement dans lequel le spectateur est installé pas uniquement en face de la scène, mais en arc d’un fragment de cercle. La racine φέρειν signifie que l’objet en question était porté, et les deux anses situés autour du col d’une amphore attestent bien de cet usage. Les amphores était utilisées pour le transport et aussi pour le stockage et le service de petits volumes de vin ou d’autres substances liquides pendant toute l’antiquité grecque et romaine. Leur contenance variait, en gros, entre 15 et 30 litres et un homme (ou deux, à la rigueur) pouvait les porter grâce à leurs deux anses. Ils avaient aussi un col très étroit, aussi bien pour pouvoir verser le vin que pour permettre un bouchage plus ou moins efficace de l’ouverture pendant le transport et le stockage. Je ne vois dans les jarres en terre cuite utilisées de nos jours pour la vinification ni col étroit, ni anses, ni forme pointue du fond comme dans l’image ci-dessus. Et elles sont beaucoup trop grosses pour être porté par un seul homme, même vide. Non, on ne vinifie pas dans une amphore ! Si nous voulons donner à ces vaisseaux le terme latin, il s’agirait de dolia (dolium au singulier), mais le mot français jarre me semble bien convenir aussi.

Et voici des dolia. Pas pareil !

Maintenant à quoi sert de vinifier dans un dolium (ou jarre) et quels sont ses avantages et inconvénients ? Cela semble quand-même le plus intéressant.

La matière, c’est de l’argile qui, lorsqu’elle est cuite, durcit et devient plus ou moins étanche. Je dis plus ou moins, non seulement parce qu’il peut y avoir des fuites, ce qui constituerait un défaut de fabrication, mais aussi parce que, comme une barrique en bois, il y a une très faible et lente migration d’air à travers de minuscules pores dans le paroi de la jarre, qui permettent une micro-oxygénation au vin. Cela peut être bénéfique au vin rouge comme au vin blanc en l’arrondissant, mais sans l’apport de saveurs et de tanins que peuvent donner un contenant en bois. Parfois, il faut enduire les parois internes pour parfaire l’étanchéité de la jarre. Cela se faisait beaucoup dans l’Antiquité, en utilisant de la poix, qui est un mélange à base de résine et de goudron végétal obtenu par distillation ou chauffe de bois résineux ou de térébenthine. C’est certainement cette technique qui a donné naissance au Retsina, vin grec dont les arômes et saveurs résineux sont très prenants. Aujourd’hui on essaie d’avoir des jarres naturellement étanches et, s’il fait faire un enduit intérieur, celui-ci est neutre !

On peut laisser ces jarres à l’air libre dans le chai, ou bien les enterrer totalement ou partiellement, comme en Géorgie, par exemple, ou on les appelle qvevris. En Georgie ou en Arménie, cette très ancienne technique n’a jamais disparu et est utilisée depuis depuis 8,000 ans, même si aujourd’hui les vins de qvevri ne représentent qu’un tout petit pourcentage de la production. Même chose au Portugal, depuis bien moins longtemps, mais ou la pratique subsiste, comme dans le Nord-Est d’Italie, en Espagne et en Slovénie.

Un certain nombre de bons producteurs de vins en France (et ailleurs) s’intéressent à cette technique. Pour les blancs, on peut pratiquer dans ces récipients une macération pelliculaire (comme cela se fait en Géorgie par exemple) ou pas. Cela donne un résultat très différent à celui d’un blanc « classique » à avec un profil tannique qui est inhabituel dans un vin blanc. Mais ce n’est pas une obligation, pas plus que de laisser s’installer une oxydation progressive qui fait virer la couleur vers l’orange. Selon Yves Canarelli, ce type d’élevage, au contraire, protégerait le vin naturellement de l’oxydation, ce qui obvie le besoin de rajouter des sulfites. Je n’ai pas vérifié ce dernier point, mais cela mérite investigation.

Jarres modernes dans un chai de maturation : on ne peut toujours pas les porter à dos !

N’étant pas un expert dans le domaine technique, je vais citer mon collègue le Dr. Paul White, qui participe comme moi au Comité International du Sauvignon Blanc.

« Même si la vinification en jarres de terre cuite (appelées, de façon erronée, amphores) s’adapte à l’élaboration de vins dits naturels, elle peut tout aussi bien en être totalement dissociée. Intéressante du point de vue purement technologique, elle renforce les avantages de la vinification en cuves inox ou en barriques de chêne, tout en diminuant leurs inconvénients.

S’il est vrai que la fermentation en cuves inox accentue la pureté variétale, elle a aussi tendance à engendrer une certaine acidité brute désagréable et des textures peu développées. Technique à double tranchant, la fermentation en barrique permet de son côté à l’oxygénation d’arrondir les bords incisifs d’un jeune vin bourru et d’accélérer l’intégration des textures et des saveurs, mais elle peut aussi entraîner des arômes envahissants et des tanins boisés qui dissimulent et dénaturent la typicité variétale.

C’est là que la vinification en jarres de terre cuite intervient avec brio, offrant l’effet atténuant apporté par l’oxygénation du bois sans pour autant introduire d’autres arômes ou des tanins. La personnalité du vin puise sa source exclusivement dans le raisin, tout le raisin et rien que le raisin. »

Comme avec tout outil technique, la fermentation en jarres de terre cuite n’est pas une panacée pour faire des bons vins. J’ai dégusté d’excellents fait avec l’aide de ces outils, mais aussi des horreurs. Je pense qu’il faut toujours déguster un vin avant de savoir comment il a été fait car le discours sur les potions magiques ou la prononciation de mots ou expressions à la mode risquent de dévier votre attention, voir d’influencer votre jugement.

Quelques noms de producteurs français qui utilisent des jarres en terre cuite (des bons uniquement !)

Domaine Gayda (Pays d’Oc)

Yves Canarelli (Corse)

Clos d’un Jour (Cahors)

Clos Troteligotte (Cahors)

Jean-Claude Lapalu (Brouilly)

Frédéric Magnien (Bourgogne)

Stéphane Tissot (Arbois)

Domaine Viret (Rhône)

Et il y en a sûrement bien d’autres, mais les cuvées « jarres » des producteurs cités sont bonnes; ni pleines de bretts ni fortement oxydées, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tout ce que j’ai dégusté issu de cet outil de vinification (voir mon article récent sur quelques bons vins croates et aussi ceux de Roxanich).

David Cobbold

6 réflexions sur “Vinification en terre cuite: utile ou à la mode?

  1. Avec l’équipe des professeurs Tchernia et Brun, mon ami Hervé Durand, au Mas des Tourelles, à Beaucaire, a mis au jour un atelier de fabrication de dolia dont certaines, transportables (signées, et donc identifiables) ont été retrouvées jusqu’en Grande-Bretagne, si ma mémoire est bonne, ce qui démontre qu’il y avait à l’époque un véritable courant d’affaires entre le Nord et le Sud de l’Empire.
    Plus d’info: Le Vin Romain Antique https://books.google.be/books/about/Le_vin_romain_antique.html?id=gSfcAAAAMAAJ&redir_esc=y

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  2. Un « hint » pour David: contacter Agnès Henry (Tour du Bon en AOP Bandol). Cette femme très sensible et très intelligente apporte une vision intéressante de la jarre. Attention, il y a des homonymes moins fréquentables!
    Un autre aspect: « l’hygiène » de la vaisselle vinaire en argile.

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  3. Hervé LALAU

    Pour faire un lien avec la dégustation autrichienne que tu annonçais hier, David, je me permets d’attirer l’attention sur les vins de Bernhard Ott, dont certains sont élevés en jarres enterrées. Superbe qualité. http://www.ott.at/
    Je n’ai pas trouvé trace d’un importateur en France, mais je n’ai peut-être pas cherché assez longtemps.

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  4. Hervé LALAU

    Enfin, je me répète, mais j’aimerai bien pouvoir trouver plus facilement des vins de qvevri géorgiens en France ou en Belgique, chez des cavistes « mainstream ». Si nos vignerons s’intéressent à leurs méthodes, pourquoi ne pourrions pas juger par nous-mêmes ce que les Géorgiens en tirent? Ca ne déstabiliserait pas le marché…

    Georgia on our minds, but not on our shelves…

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