Anteprime 2019: le «roi nebbiolo» sous influence

Notre confrère et ami suisse Pierre Thomas rentre à peine du Piémont et fait le point pour nous sur trois grandes appellations qui viennent d’y être présentées en primeurs, Barolo, Barbaresco et Roero.

Fin janvier, le Piémont a inauguré la longue saison des «anteprime», organisées par les différentes dénominations pour faire découvrir les derniers vins mis sur le marché. A Alba, Nebbiolo Prima précédait l’exposition Grandi Langhe. Vedette incontestée de ces dégustations, le nebbiolo, proposé avant mise en bouteille.

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Les clichés renferment toujours une part de vérité. Ainsi, on a l’habitude de dire que le Piémont est aux vins italiens ce que la Bourgogne est aux crus français (et dans la foulée, on compare la Toscane à Bordeaux). Le nebbiolo, qui donne des vins rouges monocépages, présente des caractéristiques proches du pinot noir, si sensible au terroir, à l’exposition et au microclimat.

Trois DOCG à législation variable

Trois DOCG — le plus haut niveau des appellations d’origine protégées italiennes — des Langhe, la région des collines autour d’Alba, un ancien bassin marin au sous-sol calcaire, se partagent la culture du nebbiolo : Barolo, Barbaresco, Roero. Le tiercé est dans cet ordre tant pour la surface (2073 ha pour Barolo, 734 ha pour Barbaresco, 220 ha pour le Roero) que pour la production, de 14 millions de bouteilles pour le Barolo 2015, 4,8 millions pour le Barbaresco 2016 et 600’000 bouteilles pour le Roero 2016. Les millésimes mis sur le marché en ce début d’année 2019 découlent d’une obligation d’élevage différente dans les trois DOCG. Les barolos vieillissement obligatoirement plus de trois ans (38 mois), dont 18 mois dans le bois, les barbarescos, deux ans, dont un an dans le bois, les roeros, un an, dont six mois dans le bois. La mention Riserva implique un vieillissement de 5 ans pour le barolo, 4 ans pour le barbaresco et 2 ans pour le roero, le séjour dans le bois n’étant pas plus long, selon la législation.

Du flou dans l’élevage

Les règles administratives, les «disciplinaires», ne précisent ni le format des fûts (barriques ou «grande botte»), ni la forme de stockage après le passage dans le bois (toujours dans le bois, petit ou grand, en cuve en ciment, voire en amphores, ou en inox, et en bouteilles). Par définition, ou plutôt par absence de définition, les vins rouges tirés du nebbiolo sont de nature très différentes, et portent la marque du vinificateur. Au point que le débat entre les barolistes «anciens» ou «modernes» n’est pas encore évacué, avec une cohorte de producteurs dans l’entredeux ! En amont de l’élevage, il y a, bien sûr, la vinification, avec ou sans macération, plus ou moins longue. Les plus pragmatiques des producteurs répondent : «Cela dépend du millésime!»

La dictature du terroir

L’autre débat qui fait rage, c’est la hiérarchie des crus, avec, sous-jacente, la prééminence du «terroir» dans sa version la plus basique, soit le sous-sol, le sol et l’exposition (sans le facteur humain…). La question passionne les Italiens.

En 1879 déjà, un agronome, Lorenzo Fantini, avait défini une sorte de classification de 82 sous-zones de Barolo et 34 de Barbaresco. Les uns sont hérités du nom des anciens propriétaires (dans le Barolo, Baudana, Cannubi, Boschis, Ravera, etc.), les autres de lieux-dits (Boschetti, Brumata à Barolo, Rivo Sordo, Cascina, à Barbaresco). Pourtant, il a fallu attendre le 21èmesiècle pour que cette notion géographique soit ancrée dans la règlementation. Depuis 2009 à Barolo, 2007 à Barbaresco et 2017 dans le Roero, une liste de 166 noms géographiques ajoutés existe pour Barolo, 61 pour Barbaresco et 161 dans le Roero. Ce ne sont là que des lieux-dits, des critères de qualité (rendement moindre et degré de sucre plus haut) plus sévères que la DOCG ne s’appliquant que pour la mention «Vigna», qui est ce qui se rapproche le plus de la notion de cru (mono et grand cru).

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Les statistiques montrent que 50% du raisin récolté pourrait donner lieu à une bouteille portant un nom géographique et qu’en réalité, seuls 25% des vins l’affichent. On peut le comprendre, quand on constate que dans la dégustation à l’aveugle de Nebbiolo Prima, les cinq échantillons portant la mention Barolo Cannubi étaient très différents : l’un, peu structuré, trois autres «old style», avec des notes un peu sèches de «vieux bois», et le dernier marqué par un élevage en barriques…

Le journaliste Alessandro Masnaghetti, spécialiste désormais reconnu de la cartographie des vignobles, dresse sa propre hiérarchie des crus, en plus de celles des caves et des vins, sur un niveau de cinq étoiles. Pour lui, quatre crus sont au sommet à Barolo : Brunate, Cerequio, Rocche di Castiglione et Vignariondo. Et cinq à Barbaresco: Asili, Martinenga, Montefico, Rabajà, Roncagliette.

Autre paramètre qui soulève des discussions : l’admission de nouveaux hectares à l’intérieur du périmètre des DOCG. En cinq ans, Barolo a «gagné» 95 hectares, Barbaresco 34 hectares, et l’ensemble des Langhe, près de 500 hectares (sans le Roero). Et si l’on se reporte à des chiffres de 1980, la production de Barolo a été multipliée par trois (passant de 3,6 à 10,5 millions de litres) et celle de Barbaresco par un peu plus de deux (de 1,5 à 3,6 millions de litres).

Le nebbiolo résiste bien au réchauffement

Et puis, en amont aussi, sur ce sol qui se discute, il y a le «roi nebbiolo», réparti en 46 clones dans le catalogue des cépages italiens. Il est majoritairement cultivé au Piémont (sur 37% du vignoble des Langhe), où il a été mentionné pour la première fois en 1266, au château de Rivoli, au nord de Turin. Sous peu, grâce à l’analyse ADN, on devrait mieux connaître ses parents, promet la chercheuse Anna Schneider. S’il est difficile de distinguer les clones dans le vignoble, on sait qu’il est très différent du Dolcetto (planté sur 27% du vignoble des Langhe) et du Barbera (15%). Son comportement lors d’années chaudes et de sècheresse (2003, 2010, 2017) montre qu’il s’adapte bien réchauffement climatique. «L’irrigation est interdite. Si on devait irriguer, les différences entre les lieux-dits seraient annulées. Car les sols se comportent différemment selon les conditions du millésime», argumente l’œnotechnicien Edmondo Bonelli. «On a constaté des différences entre les vins : les crus de Serralunga avaient la réputation d’être austères, ils sont devenus élégants !»

Grâce au sol et à la météo, vraiment ? Ou grâce à l’œnologue-éleveur ?

Pierre Thomas, de retour d’Alba

 

Quelques vins que j’ai appréciés, en dégustation à l’aveugle :

Barolo 2015 d’Armando Parusso ; Barolo 2015 Bricco delle Viole de Mario Marengo et aussi son Brunate ; Barolo 2015 Cannubi de Serio & Battista Borgogno ; Barolo 2015 La Morra d’Aurelio Settimo ; Barolo 2015, Castiglione Falletto, Rocche Di Castiglione, des Fratelli Monchiero, Barolo 2015, Monforte d’Alba, Bussia, de Giacomo Fenocchio ; Barolo Riserva 2013, Ravera, Cascina Lo Zoccolaio ; Barolo Riserva 2013, Serralunga, des Paolo Manzone ; Barolo Riserva 2013, Rocche dell’Annunziata, de Paolo Scavino ; Barbaresco 2016, Rabaja’, de Giuseppe Cortese ; Barbaresco 2016, Giacosa Treiso, La Ganghija d’Enzo Rapalino ; Barbaresco 2016, Alba, d’Alessandro Rivetto ; Barbaresco Riserva 2014, Basarin Neive, de Punset ; Roero 2016, Canale, de Cornarea ; Roero 2016, Canale, de Monchiero Carbone, ainsi que son Roero Riserva 2015 ; Riserva 2015, Canale, de Matteo Corregia.

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Les quatre millésimes sont bien différents : 2013, année très difficile, avec un automne heureusement sec ; 2014, année d’abord pluvieuse et froide, puis un automne chaud favorable à la maturation lente du nebbiolo ; 2015, plus chaud, qui a fait des vins plus élégants et prompts à boire ; 2016, qui devrait être une année de garde classique pour le Piémont (les Barolos ne sortiront de cave qu’en janvier 2020, mais les Roeros et les Barbarescos sont prometteurs).

Une centaine de vins décrits et notés sur www.thomasvino.ch

 

 

 

 

 

2 réflexions sur “Anteprime 2019: le «roi nebbiolo» sous influence

  1. J’ai rencontré plusieurs vignerons piémontais qui m’ont dit avoir beaucoup de respect pour les vins de Bourgogne. Mais plus rares, semble-t-il, sont les vignerons bourguignons qui s’intéressent aux vins du Piémont – corrigez-moi si je me trompe.

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    1. Jeckelmann

      Effectivement que je me suis déjà fait cette remarque et aussi concernant les vignerons Toscans fidèles au Sangiovese.
      Une forme de trilogie dans les cépages avec une acidité marquée et pouvant parfois paraître austères jeunes.
      Et la connaissance des vignerons Toscans dans les Bourgogne est assurément difficilement égalable dans l’autre sens…..

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