Halte au Bordeaux-bashing: voici deux délicieux Pomerol !

Non, tous les Bordeaux ne sont pas vieillots et hors de prix, ne tombons pas dans le snobisme de la critique systématique! Soi-disant que les Bordeaux ne correspondent plus aux attentes des consommateurs, qu’ils sont trop chers, boisés, gavés de pesticides; et prétentieux, en prime; et puis pas assez tendance, pas assez écolo…

Il y a certainement un peu de vrai dans tout ça, au moins pour une partie des vins; mais c’est oublier qu’il se passe à peu près la même chose dans la plupart des appellations de renom – Bourgogne ou Champagne, par exemple; et que 95% de la production de Bordeaux est très peu chère; et que le boisé est en net recul, et que la culture bio est en forte progression. Mais voilà, la différence, c’est que Bordeaux ne fait plus rêver, son image s’est dégradée!

Moi-même, je ne vous parle que très peu des vins de Bordeaux et je ne décris que très rarement, pour ne pas dire jamais, les crus prestigieux et inaccessibles. Je me rends compte que c’est très injuste pour les nombreux «petits châteaux» qui proposent pour quelques euros d’excellents vins, et même pour ceux, un peu plus haut en gamme, qui vous régalent à moins de 50 euros. C’est la dégustation récente de deux Pomerol qui ne sont pas sur le devant de la scène qui m’a donné à réfléchir. Il y a évidemment  de bons rapports qualité/prix à Bordeaux mais, ils sont peu connus. Et c’est un peu notre faute à nous, chroniqueurs, journalistes, sommeliers, cavistes… qui pensons souvent que présenter un vin de Bordeaux, ça n’est plus tendance, ça nous classe dans les «has been», et que ça n’intéresse plus les lecteurs qui pensent qu’ils ne pourront plus se les payer.

Ou parce que d’aucuns aiment brûler ce qu’ils ont adoré.

Je crois qu’on peut tout à fait concilier le plaisir d’un verre de Roussillon, de Loire ou d’un Rioja ou autre et le partage d’un Pomerol ou d’un Médoc basé sur l’élégance du style, le raisonnable du prix. Une récente dégustation de ces deux Pomerol, le Château de Sales 2017 et le Château Montviel 2016 me donnent l’occasion de commencer à me rattraper.

Château de Sales 2017

Avec ses 47,6 hectares de vignes, le Château de Sales est la plus grande propriété de l’appellation Pomerol. Le Merlot est majoritaire dans l’encépagement du vignoble (73 %) suivi par le Cabernet Sauvignon(15 %) et le Cabernet Franc (12%), il trouve toute son expression sur un terroir de petites graves et de sables chauds contenant des oxydes de fer. Le château est en plein renouveau, 2o17 est le premier millésime de la nouvelle génération de la famille de Lambert (la 25ème!) et marque sa renaissance.

Dans la famille depuis 550 ans, c’est un des rares domaines du bordelais à avoir été intégralement transmis de génération en génération depuis la fin du XVème siècle. A l’époque où institutionnels et investisseurs étrangers font monter les enchères, c’est un cas plutôt rare. En 2017, au départ à la retraite de leur oncle et père, Bruno de Lambert, afin d’éviter le démembrement de la propriété familiale, les 14 cousins germains copropriétaires ont créé une société d’exploitation, une SAS, en remplacement de la SCEA gérée par Bruno de Lambert. La SAS Château de Sales a signé en 2017 un nouveau bail avec le GFA propriétaire du château. Ils ont nommé l’une d’entre eux au poste de Présidente de la SAS, Marine Treppoz. Puis ils ont recruté un Directeur Général pour diriger la SAS, Vincent Montigaud. D’origine libournaise, ce dernier a passé 23 ans chez Baron Philippe de Rothschild. Ce binôme constitue la nouvelle gouvernance de Château de Sales.  Remettre ce vieux domaine sur le devant de la scène médiatique ne veut pas dire se signaler par la construction de chais spectaculaires, comme ailleurs. Il est vrai que le château remontant au début du XVIIème siècle avec cour intérieure, pigeonnier XVIIIe, inscrit aux Monuments historiques depuis 1996, n’en a pas besoin. Le faire vivre, lui donner une place de choix au sein de l’appellation Pomerol afin de le transmettre à leur tour à leurs enfants : c’est le but qu’ils se sont fixés.

Le vin

Malgré  le gel dévastateur  qui a touché la Rive droite fin avril 2017, (affectant une partie du vignoble du Château), l’appellation  en général ne s’en est pas trop mal sorti et a présenté des vins avec une bonne capacité de garde grâce à son équilibre tannique et physique. Le cœur de Pomerol a produit des vins superbes, tandis que le reste de l’appellation a produit des vins plaisants plus légers.

Travail de la vigne dans un respect total de l’environnement, en évitant les traitements chimiques. Vendanges manuelles, vinification thermo-régulée, élevage en barriques dont, 85 % de barriques de 1 à 3 ans pendant 12 mois.  Les vins sont mis en bouteilles au Château. Jean-Claude Berrouet  est l’Œnologue conseil du Château de Sales. Le château n’a jamais suivi la mode Parker, ne prisant guère le boisé trop insistant, il produisait des vins plus sur le fruit, la finesse, la rondeur. Des vins plutôt consensuels, harmonieux à qui on aurait pu reprocher un petit manque de caractère. Aujourd’hui, avec ses nouveaux choix viti-vinicoles, des améliorations aussi bien à la vigne que dans les chais, avec un travail parcellaire important, le château  a toutes ses chances pour progresser vers l’excellence et traduire l’expression réelle de son terroir. L’idée est de s’appuyer sur la base en y apportant un certain nombre d’innovations.

Le changement de style se traduit dès ce millésime : le vin (un assemblage  de 78,5 % Merlot, 12,5 % Cabernet Sauvignon 9 % Cabernet Franc) est coloré, assez dense et frais, le nez offre plus  de fruits rouges, de raisins mûrs, les notes boisées restent discrètes, beaucoup de finesse. Tandis que la bouche se montre juteuse, avec un corps plus corsé, des tannins un peu plus fermes. Mais elle reste très harmonieuse entre puissance et finesse, suavité et fraicheur. Une réussite! Vente directe, cavistes, CHR- Prix TTC Départ Cave 31 euros.

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Une nouvelle étape pour ce château qui semble bien parti, un vin à suivre absolument, dont le rapport qualité/prix ne pourra que vous satisfaire.

Château Montviel 2016

C’est toujours avec beaucoup d’émotion que je débouche une bouteille de ce château acheté en 1985 par Catherine Péré-Vergé, et avec qui j’étais très liée. Elle se consacrait avec talent et énergie à sa passion pour le vin (également propriétaire des châteaux La Gravière, Le Gay et La Violette, ainsi que de vignobles situés dans le Nouveau Monde). C’était une femme aussi perfectionniste qu’infatigable, parfois difficile à suivre pour son entourage. Elle n’admettait pas qu’on ne se montrât pas aussi dynamique et déterminé qu’elle. Elle a fait progresser Montviel avec les conseils de Michel Rolland, certes, mais elle savait parfaitement la qualité qu’elle voulait atteindre et ne ménageait aucun effort ni investissement pour y arriver.

Catherine nous a quittés en 2013 et c’est son fils, Henri, qui veille désormais sur le cru. Le vignoble s’étend sur 5 hectares au nord-ouest de l’appellation, à la sortie de Libourne, sur la route de Périgueux. Deux types de sols se partagent les quelque huit hectares du domaine: des graves argileuses et des graves fines sablonneuses. Les méthodes de production y sont on ne peut plus traditionnelles. Les vignes ont 40 ans et se partagent entre 80% de Merlot et 20% de Cabernet Franc, pour des vendanges manuelles. Les élevages se déroulent en barriques de chêne français avec une part non négligeable de bois neuf, pendant 15 à 18 mois.

Le vin

Il y a dans ce Pomerol la rondeur, la souplesse et le fruit du merlot avec la finesse et le corps du cabernet franc.  Depuis 10 ans, les vins affichent une belle progression qualitative et peuvent aujourd’hui prétendre pleinement à l’élégance légendaire des Pomerol : le 2017 semblait déjà très abordable au lendemain de la mise ;les 2015 et 2016 s’inscrivent dans le même style à la fois gourmand et sérieux.

Un nez expressif, bien défini et frais combinant des arômes de fruits frais et des nuances épicées et poivrées. La bouche est mi-corsée avec des tanins fins, suave marquée par un très bel équilibre entre tous les composant du vin ; fruit, bois et structure.  C’est un vin gourmand aux tannins ronds et crémeux. Très grande longueur en bouche finissant sur du velours où se conjuguent la finesse les tanins du vin, un vin dont Catherine serait très fière. Une belle progression qualitative, l’élégance qu’elle recherchait tant dans ses vins est bien là. Environ 35 euros

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Je considère ces deux Pomerol comme de bonnes affaires, deux vins qui s’inscrivent parmi les belles réussites de Bordeaux. À découvrir ou redécouvrir !

Hasta Pronto

MarieLouise Banyols

12 réflexions sur “Halte au Bordeaux-bashing: voici deux délicieux Pomerol !

  1. Bravo, Marie-Louise! Aucune région ne devrait jamais être rejetée en bloc, a priori, tant la diversité est reine au sein de chaque appellation, sans parler d’ensembles aussi vastes et disparates que le Bordelais. En fouinant, partout, chacun peut trouver à se faire plaisir, et il est trop facile de suivre les modes, de jouer les blasés, de bruler ce que l’on a adoré. Autant je n’ai jamais compris qu’on puisse donner des prix déraisonnables à des grands crus qui ne sont jamais que des vins, des produits à boire, et non des investissements, et qui ne sont pas forcément ceux qui nous plaisent le plus, autant je pense comme toi que Bordeaux reste un formidable réservoir de bonnes affaires.
    J’en profite pour saluer Gonzague de Lambert, qui oeuvre aujourd’hui à Saint Emilion, et qui fait partie de la famille propriétaire du Château de Sales; ainsi que Stéphane Defraine, du Château de Fontenille, en Entre-deux-Mers, l’exemple type, non pas du GCC, mais du GRQP – grand rapport qualité-prix, à Bordeaux.

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  2. David Cobbold

    Evidemment totalement en accord sur le sujet de Bordeaux. Mais quelle surprise de trouver ce flacon de Château de Sales 2017, vin que j’ai dégusté aussi cette semaine avec mon collègue Sébastien Durand-Viel et que nous n’avons pas aimé du tout : tanins verts/végétaux, mince, peu ou pas de fruit, court….le vin a fini dans l’évier. Je sais que 2017 était compliqué à Bordeaux, mais je n’ai pas trouvé ce vin digne de son appellation. J’ai dégusté (y compris récemment et pour ce blog), de bien meilleurs vins de Bordeaux 2017 en appellation régionale ! Cela m’interpelle cette grande différence entre deux appréciations du même vin.

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    1. Peut-être que notre différence de dégustation vient du fait que je l’ai bu à table.
      La perception en est complètement différente, J’ai trouvé des tanins fermes, un peu marqués mais pas végétaux, enrobés dans la chair de la viande. Je ne l’ai pas jufé mince, mais harmonieux et fin. Je te trouve très sévère, mais la dégustation « sèche » est plus analytique. Je ne m’y livre que rarement, car n’ayant plus besoin d’acheter pour les autres, je prends plus de plaisir à déguster en mangeant, ce que font la plupart des consommateurs. Peut-être y avait-il aussi une histoire de température différente?
      MLB

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      1. David Cobbold

        J’entends tes remarques. Nous l’avons effectivement dégusté juste avant le déjeuner, avec quelques autres échantillons. Aussi, la bouteille sortait juste de la cave et donc était certainement assez fraîche, mais c’est comme cela que nous dégustions la plupart des vins.

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  3. Ping : Où l’on reparle du Château de Sales 2017 – Les 5 du Vin

  4. Remi Degremont

    Je suis désolé d’aller à contre sens mais étant ancien négociant en Grands Vins, j’ai pu goûter tout ce qui se faisait sur Bordeaux; aujourd’hui, je suis caviste et je peux vous dire qu’à 30/35€ et même beaucoup moins cher la bouteille vous avez des Languedoc et des vins d’autres régions qui sont un monde au dessus de ce que vous présentez. Reste le potentiel de garde effectivement mais la majorité des consommateurs actuels achètent du vin pour boire rapidement…
    Ceci dit j’ai des Bordeaux en biodynamie par exemple qui sont excellents dès leur plus jeune âge et pas matraqués par l’élevage à des budgets autour de 15€; il est peut-être là le renouveau de Bordeaux…maintenant que l’export marche un peu moins bien, ils essaient un peu de se réinventer mais le retard pris sera dur à rattraper et l’image de vins techniques, de production massive et trop chers encore plus difficile à surmonter.

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    1. Merci pour ce commentaire. Nous ne cherchons certainement pas à défendre une région plutôt qu’une autre, et si vous nous lisez régulièrement, vous avez dû constater que les vins du Languedoc, du Roussillon, des Côtes du Rhône, d’Alsace et de Loire, notamment, étaient fréquemment à l’honneur dans ces pages. Sans parler des vins italiens, suisses, espagnols…
      Ce qui nous gêne, dans le cas de Bordeaux, c’est la généralisation, la mode, le fait de brûler sans distinction ce qu’on a pu adorer. Et comme vous l’indiquez, on peut aussi faire de bonnes affaires à Bordeaux. Quant aux deux vins présentés dans l’article, il s’agit bien sûr d’un choix personnel, vous n’avez certainement pas à être désolé de ne pas être d’accord!
      Et si vous avez des recommandations de vins pour nous, quelles que soient les régions, d’ailleurs, merci d’avance.

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  5. Ping : Off to the Salons + some recent bottles -

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