La macération carbonique et le Beaujolais

La macération carbonique (MCO2) est généralement associée à des vins peu colorés et très fruités. Selon le temps de macération et le mode de vinification, il y a de grosses différences de structure tannique mais tous gardent une signature aromatique. Le phénomène a été mis en évidence par Michel et Claude Flanzy avec Pierre Benard à Montpellier SupAgro (1ère publication en 1973, mais travaux depuis les années 50). Très vite adoptée dans le Languedoc par les œnologues-conseil comme Marc Dubernet, elle était déjà pratiquée depuis longtemps dans le Beaujolais. On parle le plus souvent de semi-carbonique.

La récolte manuelle est indispensable pour pouvoir effectuer la macération carbonique

La macération carbonique (MCO2) est un phénomène de fermentation intracellulaire. Pour se faire, la grappe doit être entière, elle est donc vendangée à la main. C’est un métabolisme anaérobie, à l’abri de l’air, condition obtenue par une saturation de la cuve en gaz carbonique. A l’intérieur de la baie commence alors une fermentation enzymatique qui va apporter des arômes fruités. Les scientifiques ont mis en évidence deux choses importantes pour le vinificateur : on obtient le maximum d’arômes au bout de 5 jours de macération carbonique et l’intensité aromatique est encore plus importante si elle est associée à une fermentation alcoolique. D’où la macération dite semi-carbonique qui associe un fond de cuve en fermentation alcoolique avec le reste en macération carbonique.

Arrivée dans la cave coopérative de Fabrezan, acheminement de la vendange entière par tapis roulant

Après cinq jours de macération carbonique, le jus obtenu est très faible en alcool et en tanins, y compris la couleur. Le vigneron peut choisir de vider et pressurer la cuve à ce stade ou bien poursuivre la macération et la fermentation alcoolique jusqu’à obtenir l’extraction de matière souhaitée, avec ou sans remontage et/ou pigeage. La décision du moment de pressurage est délicate et détermine le profil du vin. Dans tous les cas, le jus du fond de cuve est séparé de celui de la presse. La fermentation alcoolique se finit en «phase liquide» comme un blanc ou un rosé, le plus souvent à une température modérée pour garder les fameux arômes. Les premiers jus de presse ont le doux nom de «paradis».

Jusqu’au dessus des cuves

La littérature scientifique ne s’attarde pas trop sur la détermination des arômes spécifiques à la macération carbonique car les baies sont, dans ces conditions, particulièrement sensibles aux autres odeurs. Il est bien compliqué alors d’attribuer une molécule au métabolisme intracellulaire de la baie ou à celui de la levure. Néanmoins, les principaux arômes sont le cinnamate d’éthyle (cerise) et l’acétate d’isoamyle (bonbon acidulé), même si ce dernier est plus connu comme étant produit par une souche de levure spécifique (dont la 71B). Pourtant, lors de grandes dégustations de vins rouges, il est souvent aisé de retrouver ceux qui sont passés par cette macération. Je vous emmène goûter une sélection de Beaujolais issus de macération semi-carbonique.

Château des Vergers, Beaujolais AOC, cuvée 100% carbonique 2021

Clair comme un jus de framboise, le nez est plus floral que fruité, fleur de cerisier et de tilleul, puis viennent des notes gourmandes de chocolat et cerise comme le Mon Chéri, relevé d’épices. La bouche surprend par une matière éthérée, plus aromatique que musclée, l’alcool est à peine perceptible. Une impression de jus de vin. A boire sans soif… mais avec modération. 

Un modèle de macération carbonique de 5 jours puis pressurage et fermentation en phase liquide. Proche d’un Beaujolais nouveau. 9 €
www.chateaudesvergers.com

Bret Brothers, Fleurie AOC, Climat « Poncié » 2020

Cerise violine, à la robe brillante et aux effluves complexes : des notes de kirsch, du bois frais, des noyaux, du jus de cerise mais aussi de la prune d’Ente et de la confiture de mirabelle, ensuite des épices douces et grillées. La cerise est douce et acidulée en bouche, c’est léger et aromatique, dans cette tendresse fruitée, les tanins s’effacent et laissent place à une trame toute soyeuse. C’est vraiment bien fait, très précis. On garde le souvenir d’un fruité délicat. 25 €

Château de Lavernette, Saint-Amour AOC, Le Châtelet 2018

La robe est légère mais le rouge est profond, le temps imprime son reflet plus noir que brun. D’abord timide, le châtelet prend son temps pour s’éveiller. On y gagne à l’ouvrir en avance. Il propose d’abord des notes minérales de graphite puis un mélange de fruits rouges, cerise, framboise et fraise avec un côté kirsch., un temps plus tard, le fruit se fait plus gourmand comme caramélisé. La bouche est savoureuse, le fruit est mûr sans être confit, on goûte une bonne sucrosité dans une matière fondante et fraiche. Les tanins sont feutrés et fondants, il porte le fruité jusque dans un long final et une fraîche amertume. Encore jeune, sûrement délicieux dans deux ou trois ans. 21,20 €

Cave des Producteurs des Grands Vins de Fleurie, Fleurie AOC, Cru du Beaujolais 2019

La robe d’un grenat sombre laisse passer des reflets bruns et révèlent une grande maturité. Elle se confirme au nez avec des notes gourmandes de pruneau et de clafoutis. Il y a du kirsch aussi, de la poire au chocolat et de la compote de pommes. C’est aussi gourmand et frais en bouche, les tanins portent ensemble cette matière feutrée. Le final est toujours fruité avec une touche de réglisse doux. Bel ouvrage pour cette cuvée bio de la cave de Fleurie. 18€

Domaine des Marrans, Fleurie AOC, Clos du Pavillon 2020

Un pourpre profond, des larmes abondantes et des reflets violines nous annoncent une belle maturité du raisin. Le nez alterne entre les notes de prune fraiche et confite, la cerise au jus et la fraicheur végétal d’une fougère dans le sous-bois. Même grand écart en bouche entre la sucrosité et l’acidulé, les tanins veloutés installent l’équilibre dans la fraicheur fruitée. Un vin qui en a sous le pied et qui pourrait aussi surprendre en vieillissant. 21€

Domaine Les Capréoles, Régnié AOC, Chamodère 2020

J’ai une curiosité toute particulière pour ce vin produit par un ancien directeur technique de la chambre d’agriculture de l’Aude. Il est passé de la théorie à la pratique avec brio et « plus que bio ». C’est réjouissant.
Il a de la couleur, entre prune et cerise avec des reflets de jeunesse. Le nez est joyeux la cerise au jus est enrobée d’un caramel clair, il y a du noyau frais et de la noisette grillée, puis aussi de la pomme au four et encore des notes florales de rose ancienne. La bouche est plus sérieuse mais gagne en minéral ce qu’elle laisse du fruit. Les tanins fins, serrés et soyeux donnent de l’amplitude au vin. On retrouve le fruit et les noyaux dans un long final fondant. A la fois fringant et mature, ce vin a tout pour bien vieillir mais ce n’est pas indispensable d’attendre pour l’apprécier. 12,90€

Le point commun aux vins issus de macération carbonique est leur bon goût. Ils sont délicieux car aussi aromatiques que savoureux. Leurs odeurs de fruits rouges sont rassurantes et leur structure est souvent tendre. Beaucoup sont peu tanniques. Autre particularité, s’ils ont été conçus pour, ils vieillissent très bien. Ce que nous verrons dans un autre article sur les vieux Corbières en macération semi-carbonique.

Nadine Franjus

5 réflexions sur “La macération carbonique et le Beaujolais

  1. Très intéressant. J’aimerais bien pouvoir déguster un jour les deux parties d’un même vin, celle en fermentation alcoolique et l’autre en macération semi-carbonique, pour goûter la différence.

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    1. Marie-Agnès LAROCHE

      Bonjour Hervé, après 40 ans au service du Beaujolais, nous sommes prêts, mon époux et moi, a te retracer, ainsi qu’à Nadine, l’évolution technologique du Beaujolais. La viticulture a survécu grâce au négoce très présent dans notre région. Comme ils se chargent de la vente, ils commandent le type de vins qu’ils souhaitent. C’est ainsi que le vin léger au arômes de banane a fait place à une macération rapide à 60° aux arômes de cassis et tanins astringent …. Malgré le recul des ventes de ce produit atypique et rêche, le négoce s’obstine. Même cette année où l’évaporation par manque de pluie s’est faite sur ce cep, on a chauffer….. alors oui, on ne se régale plus, heureusement, ils y a des irréductibles et des jeunes viticulteurs qui s’installent dans notre belle région des Pierres Dorées. Ils reviennent à la macération carbonique, respectueuse de gamay et nous offrent des produits d’une grande qualité alliant finesse et structure.

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  2. David Cobbold

    Nadine, merci pour cet article très instructif. Je suis curieux à propos de la coloration des ces vins que tu décris comme étant génréalement faible, alors que, du moins dans leur jeunesse, je trouve que beaucoup de Beaujolas ont une assez forte coloration, même violacée (mais des tannins faibles). Comment expliquer cela ? Peut-être ne sont-ils pas totalement issus de ce type de fermentation ?

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  3. Michel Smith

    Merci Nadine de ces précisions. N’oublions pas cependant que c’est dans la juste et bonne appréciation de la matière première, le raisin, que se trouvent l’essence-même de la qualité du vin. Tu vas me dire que cela s’applique à TOUS les vins et tu auras raison. Reste que pour appliquer cette technique au mieux, il faut à mon avis un excellent vigneron. Bises

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