« Au village, sans prétention, il a mauvaise réputation… »
Lui, c’est le sylvaner (au moins en Alsace). Après avoir occupé jusqu’à 25% du vignoble alsacien dans les années 1970, il n’en représente plus aujourd’hui que 10% (soit environ 1.400 hectares); et il ne s’en replante pas beaucoup.
La faute, principalement, à un changement dans la consommation : avec la fin de l’ère du « vin boisson » et du «petit blanc sur le zinc», les vins de gros rendements, sans autre intérêt que leurs petits prix, ont perdu du terrain.
A l’inverse, notons que depuis 2005, le sylvaner de terroir, lui, a droit de cité parmi les Grand Crus d’Alsace- ou plutôt, dans un grand cru – le Zotzenberg, à Mittelbergheim. Citons Romain Iltis, meilleur sommelier de France 2012: « C’est la patrie du Sylvaner. Ce cépage arrive ici à développer l’ensemble de son potentiel aromatique et à révéler la finesse et la salinité de ce terroir. Une rare combinaison d’arômes de végétales nobles -le laurier, la verveine- explose dans une structure gourmande. »
Quoi qu’il en soit, au fil des dégustations, avec ou sans nom de cru, nous en repérons de très bons.
Alors, nous avons voulu vérifier ce phénomène à plus grande échelle. Nous avons donc fait un appel à échantillons.
Au total, nous en avons reçu plus de 70, sur plusieurs millésimes (histoire de voir comment il vieillit). De cette « manne verte » (car ce cépage porte aussi le nom de Grüner Silvaner ou de gentil vert), nous avons tiré la sélection ci-après.
Un peu d’histoire
Le sylvaner (ou silvaner) n’est pas originaire d’Alsace, mais d’Autriche, où, cependant, on n’en compte plus qu’une trentaine d’hectares. Et c’est d’abord en Allemagne, et plus précisément en Franconie, qu’il a connu le succès ; on le dénomme d’ailleurs aussi Frankentraube. Dans ce pays, il représente quelque 4.600 hectares de vignes.
Les ampélographes se sont longtemps mélangés les pinceaux à son sujet, le rattachant tantôt au riesling (sous le nom de grüner riesling ou de gros riesling), à l’elbling ou même au gamay (gamay blanc). On a aussi cru un temps qu’il était issu d’une vigne sauvage (type lambrusque), à cause de son nom qui évoque la forêt (sylva). Mais des études ADN ont montré qu’il avait pour parents le Traminer et des innombrables fils du gouais, l’Oesterreichischer Weiss. A noter qu’en Suisse, où il représente quelque 280 hectares, il porte souvent le nom de Johannisberg.
En Alsace, où il s’est implanté à la fin du 18ème siècle, le sylvaner a d’abord été assez discret – il faut dire qu’on le désignait alors sous différents synonymes. Ainsi, chez Victor Rendu, l’ampélographe du Second Empire, il n’est pas cité une seule fois sous son nom actuel (et il est difficile de s’y retrouver entre gentil blanc, gentil Vert, gros rhin ou encore vert riesling…). Cependant, un peu plus tard, en 1880, Chrétien/Christian Oberlin le mentionne dans son ouvrage «Der Weinbau in Elsass-Lothringen» (l’Alsace est alors allemande) mais le range dans les cépages dits «communs», de second rang. Même s’il concède que son vin, bien que léger, peut être fin et plaisant.
Son aptitude aux gros rendements explique son développement en Alsace (comme en Allemagne) après la deuxième guerre mondiale et jusque dans les années 1970. La chute de la consommation de masse de vin boisson, et l’essor d’une demande pour des produits plus fins a amorcé son déclin dans les deux pays.
Aujourd’hui, les spécialistes insistent d’ailleurs toujours sur sa vigueur, qui doit être maîtrisée pour produire des vins intéressants.
Mais venons-en à notre sélection
Pour ce premier volet, je me suis chargé des vins du millésime 2021. Tous les vins qui suivent nous ont séduits à des titres divers (complexité ou glou-glou, pour reprendre un terme à la mode). Pour certains d’entre eux, cependant, j’ai cru utile d’ajouter un coup de ❤️ personnel.
Jean Geiler Alsace Sylvaner 2021
Premier vin dégusté, premier coup de cœur. Dites-le avec des fleurs : des roses, notamment, en pétales et en gelée. Mais ce sylvaner nous offre aussi de la rhubarbe et un soupçon de poire ; retour de la rhubarbe en bouche, enrobant une belle acidité – c’est vif, mais pas mordant, avec pour finir un peu d’acacia
Bel équilibre. 1,4 g sucre. 12,5° d’alcool.
Jean Geiler est la marque des Vignerons Réunis d’Ingersheim (185 vignerons pour un total de 470 hectares, comprenant notamment 10 grands crus). La cave est située à la sortie ouest de Colmar. Son site internet est trop modeste au sujet de ce sylvaner qu’il décrit comme « frais et léger » – frais et léger, il l’est, certes. Mais pas seulement ! Excellent rapport qualité-prix.
Coup de ❤️
4,5 euros sur la boutique en ligne de la cave
Camille Braun Alsace Sylvaner Vieilles vignes 2021
Si ce sont la poire, le citron et la frangipane qui dominent au nez, la bouche, assez dense, part plutôt vers les fruits secs (amandes, noix) et le poivre. Le vin est bien sec (1 gramme de sucre), et ne manque pas de vivacité, mais présente pourtant une certaine rondeur fruitée, avec, en finale, quelques jolies notes fumées. «Joli» est d’ailleurs le terme qui revient le plus dans les commentaires de cette cuvée. «Equilibré», aussi.
Le domaine Camille Braun se situe à Orschwihr. Il est exploité en biodynamie. Le sylvaner n’y représente que 5% de l’encépagement (dominé par le Riesling et le Pinot Gris). Levures indigènes (on n’écrira pas « alsaciennes », car ça, c’est plutôt pour la pâtisserie ;-)…)
13,5 euros
https://www.camille-braun.com/
Agathe Bursin Alsace Sylvaner Éminence 2021
Belle robe pâle aux éclats émeraude. Au nez, de la pomme (rainette et granny) et un peu de miel, qui témoigne d’une bonne maturité; en bouche l’acidité se combine bine au sucre (17 grammes), mais ce qui séduit le plus, c’est une sorte de relief tannique, et la finale entre rhubarbe et gentiane, qui prouve à nouveau que à quel point on peut apprécier l’amer… à boire.
Agathe Bursin, œnologue et digne rejeton d’une grande famille de vignerons, exploite un petit domaine de 7 hectares en bio à Westhalen, près de Rouffach. Elle produit deux cuvées de sylvaner dont celle-ci, Eminence, issue de vignes plantées voici 90 ans sur les sols calcaires du Grand Cru Zinnkoepflé (mais qui ne peuvent revendiquer ce cru, réservé aux cépages dits nobles).
19 euros
Justin Boxler Alsace Sylvaner 2021
Dans la famille sylvaner, il y a des vins complexes et ambitieux, qui flirtent souvent avec le riesling. Mais il y a aussi, et heureusement, des vins de soif, avec lesquels on ne se prend pas la tête. Comme celui-ci – et ce n’est pas le déprécier que de dire qu’on le verrait bien sur une choucroute.
Nous lui avons trouvé beaucoup de franchise ; de la mélisse, de la pomme verte et de la groseille à maquereau au nez, beaucoup de vivacité en bouche, et l’épicé des baies de genièvre qui craquent sous la langue.
Héritiers d’une famille de vignerons de Niedermorschwihr remontant au 17eme siècle, Anne, Pierre et leurs enfants Charlotte et Florent exploitent un domaine de 12 hectares en bio, répartis sur 5 communes. Le sylvaner présenté ici est issu de vieilles vignes de Niedermorchwihr.
Weinbach Famille Faller Alsace Sylvaner 2021
Il faut aérer ce vin qui mérite un peu de votre patience ; une fois sorti de sa bouteille, un grand génie alsacien vous régale en exauçant trois vœux : le vœu de vous emplir le nez de tilleul et de camomille, puis de poire et d’agrumes bien mûrs ; le vœu de vous dépayser les papilles en bouche, avec une attaque saline, puis un atterrissage en douceur sur un matelas acidulé – l’acidité bien marquée et le sucre (4 grammes) qui arrondit les angles – mais pas dissociés, intégrés, au contraire. Et puis, troisième et dernier vœu : celui de vous verser une nouvelle lampée, désir né d’une sensation d’harmonie, de plénitude en finale. Si un vin peut inciter à une forme de poésie, c’est celui-là. Et pour conclure, car il le faut bien : re-dégusté quatre heures après son ouverture, et conservé au frais, il n’avait rien perdu de sa superbe, au contraire, il semblait encore plus ouvert et plus fringant.
Catherine Faller, épaulée par ses fils Eddy et Théo, exploite les XX hectares d’un domaine historique de Kaysersberg (il a été fondé par les Capucins au début du 17ème siècle). Leur sylvaner est issu de vignes d’une quinzaine d’années (Les Faller ont cru assez dans le potentiel de ce cépage pour en replanter, ce qui n’est pas ci-courant). Sols d’arènes granitiques (graves, limons, sables sur galets), au Clos des Cupucins. Fermentation et élevage de 8 mois sur lies fines en vieux foudres, sans bâtonnage.
Coup de ❤️
25 euros.
Mittnacht Frères Alsace Sylvaner Vieilles Vignes 2021
Au nez – très expressif, nous avons trouvé du tilleul, des fleurs blanches et du zeste d’agrumes dont l’amertume plaisante revient en bouche. Mais un peu de miel d’acacia vient arrondir l’ensemble, donnant au vin un toucher soyeux. La finale saline et le très léger perlant ont fini de séduire nos dégustateurs. Capsule à vis.
Pas besoin d’attendre minuit pour déguster ce vin de Mittnacht. Établi à Hunawihr depuis 1963, ce domaine familial de 11 hectares exploité en biodynamie est aujourd’hui dans les mains de Marc et Paule Mittnacht, assisté de leur fils Pierre.
Coup de ❤️
https://www.mittnachtfreres.fr
Ginglinger Alsace Sylvaner 2021
Rose au nez, pomme en bouche, une sylvaner toute en délicatesse, tout en nuances, avec un début d’évolution (plaisante) vers des notes de miel.
Ce domaine bio s’étend sur 15 hectares (dans 4 en grands crus) entre Herrlisheim, Wuenheim et Eguisheim (où se trouve la cave, qui date de 1684). Il est géré par Mathieu Ginglinger et son épouse Stéphanie.
Le sylvaner présenté ici est issu d’une seule parcelle, au lieu-dit « Sundgass » (la rue du Sud). Après une longue fermentation en cave, il est élevé sur lies fines jusqu’à sa mise en bouteille.
8,50 euros sur le site du domaine
https://shop.vins-ginglinger.com/
Armand Gigl Alsace Sylvaner Vieilles Vignes 2021
De la reinette étoilée, mais aussi de la rose au nez ; et puis, en bouche, un petit côté suret très plaisant, comme si la sucrosité du fruit mûr venait équilibrer l’acidité. Et puis, cerise sur le kouglhof : une belle amertume minérale et des épices douces pour terminer.
Ce domaine familial de Mittelbergheim exploite 29 hectares de vignes ; dont 6 en Grand Cru, y compris le Zotzenberg, réputé pour son sylvaner. A noter que le domaine ne propose d’ailleurs pas moins de trois cuvées de Sylvaner, un dont un Grand Cru Zotzenberg. La cuvée présentée ici est issue de vignes de 35 ans sur argiles et calcaire. Elevage en fûts.
8,75 euros
Vincent Spannagel Alsace Sylvaner 2021
Poire, mirabelle, citron, poivré, kumquats, le nez à lui seule est déjà est une gourmandise ; la bouche confirme et même accentue cette impression, on marche sur le fil ténu de l’équilibre entre un peu de tannin, une pointe de sucre et une superbe salinité, la gourmandise se fait croquante, slurp.
Plus d’un vigneron porte le nom de Spannagel à Katzenthal ; ici, c’est Vincent, dans la cave se situe rue du Vignoble. Vincent vinifie 10 hectares de vignes, dont une partie sur les Grands Crus Schlossberg et Wineck. Le sylvaner n’est pas son cépage le plus important, mais quelle belle réussite que celui-ci.
Coup de ❤️
Loew Alsace Sylvaner Cuvée Vérité 2021
Ananas flambé au nez, assez puissant et légèrement fumé en bouche, «c’est très bien fichu», nous dit l’ami Marc.
La belle densité de ce vin est sans doute en partie due à l’âge de ses vignes (80 ans), plantées sur des marnes vertes et rouges. Et sa vivacité, à son exposition nord, en terrasses.
Etienne Loew est l’héritier d’une famille vigneronne implantée à Westhoffen (dans la fameuse Couronne d’Or qui coiffe Strasbourg) depuis le 18ème siècle.
Alsace Sylvaner Edmond Rentz Vieilles Vignes 2021
Citron et poire au nez, une acidité légèrement mordante et des notes fumées en finale.
« Un joli vin de soif, une sorte de muscadet d’Alsace» a dit notre ami Daniel.
Le domaine familial Edmond Rentz est situé à Zellenberg, à l’est de Riquewihr. Depuis 1995, Catherine Rentz et son frère Patrick sont aux manettes sur 25 hectares de vignes répartis en une centaine de parcelles.
Alsace Sylvaner Henry Fuchs Vieilles Vignes 2021
Non, ce sylvaner ne renarde pas! Mais il nous offre un beau panier d’agrumes confits, mêlés de miel ; en bouche, l’acidité est bien marquée, mais la texture est veloutée, avec un joli retour du fruit. Finale saline.
La famille Fuchs exploite une dizaine d’hectares de vignes aux abords de Ribeauvillé (dont une parcelle sur le grand Cru Kirchberg). Ce sylvaner est issu de vignes de 65 ans sur des terres lourdes et froides exposées à l’est.
Rémi Gresser Duttenberg
Si le nez, sensuel, se pare de mirabelle et de verveine, la bouche élancée nous parle plutôt d’agrumes ; aucune lourdeur, dans cette cuvée pleine de grâces, et qui finit sur une pirouette saline. Le vin, tout autant que le grand G sur l’étiquette, nous a fait penser au fameux point.
Ce domaine familial de 11 hectares est situé à Andlau, au pied de l’abbaye. Ce sylvaner est issu de vignes de 30 ans, plantées sur marnes, au lieu-dit Duttenberg.
Coup de ❤️
Wolfberger Vieilles Vignes 2021
Tilleul, pomme et poire bien mûres au nez ; en bouche, une acidité croquante mais pas mordante, car enrobée d’un peu de soie, et un soupçon de perlant. Le sylvaner bien vif qui appelle la truite meunière ou la Flammekueche.
Avec 420 adhérents et plus de 1.200 hectares de vignes, Wolberger (alias cave coopérative d’Eguisheim) est un des plus gros opérateurs d’Alsace, en Crémant comme en vins tranquilles.
7,11 euros sur la boutique en ligne de la cave
En résumé
Beaucoup de plaisir avec les jeunes vins de cépage qui mérite décidément mieux que sa réputation. On en aura encore d’autres preuves avec les prochains volets de ce dossier, qui seront consacrés à des millésimes plus anciens.
Chronique libre de toute publicité.
Les 5 du Vin 
Excellent article
Moi j’ai toujours aimé le Sylvaner surtout
avec les huîtres..c’est comme ça
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