Terroir : un éclairage différent

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Les racines de la vigne ne touchent pas toujours la roche qui se trouve à des distances très variables en dessous du sol, mais celle-ci est constamment évoquée pour expliquer des facteurs du goût d’un vin. Mais est-ce que cette hypothèse est justifiable ?

J’ai déjà parlé, à plusieurs reprises, de mon scepticisme quant au rôle déterminant, tangible et perceptible par le palais humain, du sous-sol dans le goût d’un vin. Une des raisons pour mon questionnement face à ce qui semble être devenu un argument massif de communication et une idée reçue distillée un peu partout est que je n’arrive pas à comprendre comment des molécules issues de la roche peuvent migrer à travers l’écorce des racines de la vigne, puis le long de ces racines et la partie hors-sol de la plante, contournant la greffe et arrivant jusqu’au fruit.

Pourquoi ? Parce que ces molécules semblent être trop grosses, mais il y a bien d’autres raisons. Une deuxième est que la transformation du jus de raisin en vin modifie radicalement la chimie de celui-ci.

Une troisième est que le palais humain n’est pas capable de détecter le goût des ces «minéraux» censés provenir directement de la nature chimiques des roches qui se trouvent, de surcroît, à des distances très variables sous le sol, du moins dans les quantités recensées dans un vin. Il y a des minéraux dans un vin, mais je ne pense pas que leur source soit nécessairement la nature rocheuse du sous-sol des vignobles.  

Une quatrième est qu’il y a tellement d’autres facteurs qui jouent un rôle avéré dans les différences de goût entre deux vins comparables que cela me paraît relever de l’entêtement à vouloir tout (ou presque) attribuer à des natures de roches parfois (et pas toujours) présentes à proximité d’une partie des racines.

Je sais que le diable est dans le détail, mais il faut aussi mettre les détails à leur place. Or auteurs, vignerons, et communicants de tous bords insistent pour restreindre l’acception du mot terroir à cette nature du sol, et particulièrement au sous-sol. On entend parler à longueur de journée de « terroir calcaire », par exemple. On devrait au moins dire « sous-sol calcaire », cela prêterait moins à confusion !

ExpoVignobles

typique de l’actuelle doxa de communication sur le vin 

Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ma position, j’accepte totalement l’influence du terroir sur le goût d’un vin. Mais c’est la définition restrictive et trop souvent utilisée de ce concept qui me semble erronée. Une récente étude menée aux Etats-Unis (voir note 1) apporte une nouvelle lumière sur un ingrédient qui pourrait expliquer, en partie, des différences entre les goûts de raisins d’une même variété, mais issus de lieux différents. Et cet ingrédient du concept de terroir, qui est, faut-il le rappeler, l’ensemble de l’environnement d’une vigne, comportant sol, sous-sol, climat et méso-climat, topographie et autre facteurs du milieu plus ou moins « naturel », semble enfin être quantifiable.

De qui s’agit-il ? Des bactéries et des champignons qui se trouvent sur la surface des raisins. Ces microbes ont de toute façon une influence sur la santé des raisins, parfois d’une manière négative d’ailleurs. Mais ils sont aussi incorporés dans le moût de raisin, au moment du foulage, de pressurage, ou de la mise en cuve dans le cas de vinification par grappes entières. Quelques-uns de ces organismes ont des propriétés semblables eux levures et peuvent donc jouer un rôle dans le processus fermentaire. Les bactéries qui causent la dégradation d’acide malique en acide lactique en sont un exemple.

acetobacter

Il faut espérer que cet individu ne soit pas trop présent sur vos raisins : l’acetobacter. Heureusement tous ne sont pas aussi méchants !

La question posée par les scientifiques américains était de savoir si ces populations, transmises d’un vignoble à un autre par le vent, les insectes, les hommes ou les machines, étaient identifiables, mesurables et différentes d’un endroit à un autre. Leur population varie aussi en fonction de méthodes de culture. Une autre question est: sont-ils suffisamment stables pour affecter le goût d’un vin et donc faire partie de concept de terroir ?

Deux évolutions techniques récentes ont rendu possible cette recherche : le codage génétique et la disponibilité de machines capables d’analyser des grandes masses d’information sur les séquences ADN pour une coût raisonnable. Les professeurs Mills et Bokulich, de l’Université de Davis, California, ont prélevé des échantillons de moûts de raisins destinés à la vinification dans différentes parties de l’Etat. Leurs conclusions, après analyses, sont que ces populations diffèrent d’une manière significative d’une région à une autre.

Par exemple, la gamme de microbes présentes sur des moûts de chardonnay de la Napa Valley est différente de celle trouvés dans la Central Valley ou de Sonoma. Pareil pour le cabernet sauvignon, entre les régions de San Joaquim, Central Coast, Sonoma et Napa. En plus d’être un marqueur de territoire, les chercheurs considèrent aussi qu’il pourrait y avoir une corrélation entre variété de vigne et espèces de microbes.

Potentiellement, tout cela pourrait signifier (au conditionnel, car l’expérience se poursuit) qu’on peut attribuer une partie de la différence entre les goûts de vins, d’un même cépage mais différentes régions, voire parcelles, à ces populations de microbes et pas seulement au méso-climats. Nous savons déjà que les variétés de levures actives en fermentation ont une influence sur les arômes et saveurs d’un vin. Pourquoi pas les microbes aussi ?

Mais j’attends toujours une étude sérieuse qui prouverait que la nature géologique du sous-sol fasse partie des facteurs significatifs du concept de terroir, outre son rôle (essentiel) dans la régulation de l’hygrométrie de la vigne. En attendant, j’ai bien peur de ne pas avoir fini d’entendre parler, comme seul facteur explicatif d’un goût singulier, de sous-sols de granite, de schiste, de calcaire ou autre. Ni de « tension minérale » d’ailleurs.

David

(1) Bokulich, N. A., J. H. Thorngate, P. M. Richardson and D. A. Mills. 2013. Microbial biogeography of wine grapes is conditioned by cultivar, vintage, and climate.  Proceedings of the National Academy of Sciences (Early Edition).

99 réflexions sur “Terroir : un éclairage différent

  1. Je dois tout d’abord préciser que je suis un inconditionnel du Carignan (noir, gris ou blanc).
    Avec l’évolution du climat c’est certainement le cépage le mieux adapté au climat méditerranéen présent et à venir. Il dispose des caractéristiques essentielles pour produire des vins exceptionnels (de garde de préférence) c-a-d : richesse en acides organiques (sucres et surtout acidité remarquable).
    Ce cépage dans cet environnement est capable d’atteindre un « équilibre biochimique magique » comme la plus part des cépages qui participent aux vins les plus expressifs (Chardonnay : Montrachets ou Corton Charlemagne ou autres de Bourgognes, Viognier à Condrieu, Sauvignon à Sancerre ou Pouilly, Rolle en Corse ou encore Manseng et Courbu en Irouléguy.
    Pour revenir à la notion de terroir, je voulais préciser mon point de vue, en effet, beaucoup de facteurs naturels entrent dans la « définition » du Terroir (l’exposition des parcelles, l’altitude, la profondeur du sol et son drainage et biensûr le climat, micro-climat et méso-climat… Mais ce sont là des facteurs qui contribuent plus au bien être du cépage, à son épanouissement, bref à sa capacité à atteindre ce que j’appelle « l’équilibre biochimique magique » indispenseble pour produire des moûts capables d’être expressifs.
    Dans ce contexte l’homme va aussi jouer un rôle important dans cet notion de Terroir en choisissant le cépage, la parcelle, la conduite de ses parcelles (taille, rendement, soins en général…) et les itinéraires techniques de vinification et d’élevage.
    Plus le cépage sera adapté, plus il y aura d’accompagnements et moins il y aura d’interventions.
    Mais le sol et le sous-sol alors dans tout ça ?!
    Au fil de 30 années d’expérience de suivi et d’accompagnement de parcelles et de Vignerons, j’ai isolé un point commun entre les moûts des vins les plus expressifs :
    Sauvignon en Touraine à Sancerre à Pouilly , même « équilibre magique », mais arômes et saveurs différentes (M de Marionnet, cuvée Edmond ou cuvée Silex). le plus intéressant c’est que le même équilibre biochimique des moûts qui caractérise l’Irouléguy Blanc du domaine Brana, le Corton Charlemagne du domaine Michel Malard à Aloxe, les Montrachets de Ramonet, le Carignan Blanc sec d’Emile et Rose ou encore la cuvée Haute Tradition de Jo Landron en Muscadet … pour en citer que quelques uns.

    Définition de « bon cépage » : adapté à son environnement général et qui produira un moût d’une composition biochimique en relation avec le vin que l’on souhaite produire.

    Définition de l’environnement : ensembles des éléments qui permettrons à un cépage de s’épanouir affin qu’il produise le moût équilibré qui permettra de produire le vin souhaité.

    Définition du bon Vigneron : celui qui a compris que chaque environnement induisait un cépage et un itinéraire technique approprié.

    Définition du bon Terroir : un bon cépage, un bon environnement, un bon vigneron.

    Définition d’un Terroir Exceptionnel : Un bon Terroir qui grâce à sa lithologie et à sa géologie (sol, sous-sol) et aux substances organique combinées, issus de cet environnement minéral et organique, permet à la vigne d’absorber une quantité et une qualité de sels minéraux et organiques spécifiques (présents dans cette configuration là et pas ailleurs), qui vont participer à la création des noyaux des cellules primaires, qui à leur tour vont donner naissance à des nucléo-protéines spécifiques chacune responsable de phénols spécifiques à la couleur, aux arômes, et à des essences multiples et différentes.
    Plus la composition de l’environnement sera variée, plus grande sera la richesse des phénols en quantité ou en qualité.
    Le bon Terroir permettant d’exprimer ces caractères exceptionnels ou pas ! Mais le caractère exceptionnel ne fait pas partie du bon Terroir uniquement.

    Pour en revenir à vos bactéries ou vos champignons, dont je ne conteste pas l’existence évidente, elles ne pourront exprimer au final que ce qu’il y a déjà dans le raisin, comme le Vigneron par ailleurs lors de la vinification.

    J’accepte de les considérer comme un élément de Terroir au même titre que le cépage, l’environnement ou le Vigneron.

    Ceci dit je suis souvent aussi très agacé de voir réduire cette notion à quelques cailloux !

    Rappel agronomique : les roches se dissolvent sous l’influence de l’acidité des pluies, de l’activité des micro-organismes du sol et des sécrétions acides des racines. L’ensemble des éléments dissous (sol ou sous-sol), se retrouve en suspension dans la solution du sol (eau du sol) et peut être absorbé par les racines ou rétrogradé dans le sol en attendant un niveau hydrique satisfaisant.
    Par capillarité la solution du sol a tendance à remonter en surface si la partie superficielle du sol se déshydrate…
    Il est donc normal que les éléments de la roche mère en sous-sol puisse être absorber par les racines de la vigne.
    Ces éléments migrent dans la sève brute, se combinent et se complexifient, pour migrer plus tard dans les raisins dans les flux de sève élaborée.

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  2. Alain Leygnier

    Au-dela de cette discussion passionnante, je souhaite rappeler que des effets de mode affectent le vocabulaire de la dégustation des vins. La « minéralité » et la « tension » en sont les derniers avatars en date, repérables, notamment, dans le langage des sommeliers et de confrères journalistes, qui ne précisent jamais (et pour cause) de quel minéral il s’agit. Même chose avec la « tension » d’un vin, notion vaguement poétique, qui ne signifie pas grand chose, non plus. Un vin « tendu » se distingue-t-il d’un vin « détendu », « distendu », « hypertendu » ?
    Ces deux idées me semblent surtout des arguments de marketing, une facilité d’écriture à la recherche de la variété d’expression, une manière flatteuse de dire les choses à un client ou à un lecteur qui n’en peu mais, ébloui par une science aussi impressionnante qu’invérifiable. La nouveauté sémantique ne marche pas à tout les coups. Dans certaines notules de dégustation, Michel Bettane faisait état d’une « digestibilité » des vins, idée baroque, dont la mode ne s’est hélas pas emparée. Dommage, car, elle aurait pu donner lieu à des interrogations du genre : faut-il attendre d’avoir digéré pour rédiger ses commentaires de dégustations, faut-il préférer un mauvais vin digeste à un bon vin indigeste, ou le contraire ?

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    1. Bien d’accord avec toi, Alain. Cela étant, je revendique le droit – le moins souvent possible il est vrai, et à bon escient – de pouvoir utiliser le terme « minéral », voire même « salin » quand il s’applique à certains vins, de Montlouis ou de Vouvray, par exemple, mais aussi quelques rares rouges. Laissons le pouvoir des mots s’interposer dans la dégustation car il déclenche l’imaginaire et ouvre les portes de la curiosité. Sinon, que dira-t-on à l’avenir d’un vin : qu’il est bon ? moyen ? dégueulasse ?

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