Tout chancelle, tout bascule, tout vire au gris. Pas le cœur à l’ouvrage. Non, vraiment pas.
Qui m’aurait dit que tu t’arrêterais un jour comme ça, net, en bout de rang. Sur ta terre. Un jour de printemps…
Et à chaque fois, se repose en moi cette question qui ne devrait pas avoir lieu d’être : peut-on pleurer en public ? Un journaliste est-il dans son rôle quand il se lamente de la perte d’un ami ? Questions vraiment cons, n’est-ce pas ? Enfin, bon dieu de merde, non seulement j’estime que l’on peut, mais que l’on doit dire sa peine fut-ce dans un blog même modeste, comme le nôtre. La peine ressentie par la mort embusquée qui guettait dans ses vignes un gars que je considérais comme un ami. Un vigneron de plus ou de moins, c’est pas ça qui va changer la face du vin, hein ? Eh bien si. Rien ne sera plus pareil. Non vraiment, je n’ai aucune de raison de me retrancher derrière une quelconque pudeur. Un vigneron comme lui qui part, c’est un peu de joie qui fout le camp.
Moi, ça me fait mal, ça m’étrangle de perdre pareil vigneron. Tiens, je lui colle un « V » majuscule à ce Vigneron. Surtout que ce n’est pas n’importe qui. Et la mort ? Ça ne me gène pas moi, l’idée de mourir. Alors pourquoi en faire un plat quand il s’agit de quelqu’un d’autre ? Eh bien moi, cette mort, je ne l’aime pas. Je la déteste quand elle vous prend en traître, quand elle se dissimule dans un tracteur et qu’elle vous écrabouille de tout son poids un copain, qu’elle vous le zigouille là, dans sa terre, sans sommation d’usage, sans avertissement par lettre recommandée avec accusé de réception, quand elle vient le faucher entre une belle rangée de mourvèdre et un bout de ciel bleu alors que la vie autour pète la forme, que les oiseaux sifflent d’arbre en arbre. Saloperie de mort.
Jean-François de Béziers, Jean-François l’adorable, le charmeur, le lutin, le peintre, le poète, le musicien, le cuisinier, Jean-François le photographe, le voyageur, celui que les gars du coin appelaient Jef, celui que j’étais tenté de surnommer « Jefy », Jean-François si petit de taille, si grand, si plein d’amour, Jean-François Izarn, bonhomme que je croyais inébranlable et qui avait tant de choses encore à me dire, tant de rires à m’offrir, tant de bouteilles à m’ouvrir, oui, le Jean-François de Saint-Chinian, ce mec entier, compagnon de Cathy depuis toujours, Jean-François le Languedocien, un Vigneron, un vrai, libre comme le vent de son Midi, libre comme la musique qu’il aimait et la fumée du cigare qui était sa récompense, le soir venu.
Laurent Meynadier, autre ami cher, vigneron à Fitou, m’apprend que Jean-François Izarn, du Domaine Borie La Vitarèle, qui a son siège à Causses-et-Veyran, dans l’Hérault, en plein aire d’appellation Saint-Chinian, vient de mourir dans un accident de tracteur, chose hélas presque courante en viticulture. Cathy ma Belle, toi que je n’ose appeler, toi qui le supportais, toi qui le soutenais aussi certainement dans ses périodes de doutes, toi qui l’inspirais à coup sûr, toi qui l’accompagnais et qui l’aimais au point que cela se voyait comme une syrah en Mai sur une terre de schiste, Cathy Izarn, je t’embrasse de toute mon affection.
Michel
PS Les obsèques du Vigneron Izarn, Jean-François, dit Jef, auront lieu demain, Vendredi matin à Saint-Nazaire-de-Ladarez. Pour les curieux qui aiment le vin et qui se demandent encore qui est ce Jean-François Izarn, je conseille de lire ce que j’ai pu ressentir et transcrire l’an dernier dans ce blog en l’ayant côtoyé un peu, trop peu, pas assez à mon goût. Je n’ai que ça à offrir en plus de la belle bouteille que je vais ouvrir pour l’accompagner un bout de chemin Samedi.
Sans commentaire. Merci pour tes mots Michel, ils nous soulagent un peu de cette lourde peine . Lourde comme l’injustice qui nous laisse impuissants.
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Réconfortant ces quelques mots… Beaucoup d estime aussi pour ce bon mec!
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Merci pour ces mots. Putain d’avril.
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Le vigneron, maitre du vin, est un être déprécié. C’est pourtant lui qui apporte la joie et l’oubli de la souffrance. Le vin délivre l’âme de la servitude et du mensonge. Que Bacchos, le dieu des fruits murs, fasse bouillonner les cuves du collègue Izarn et trinquons à sa vie.
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