Voir plus clair dans la roche : deuxième chapitre

Suite à mon article de la semaine dernière, je poursuis une sorte d’investigation de ce qui m’apparaît, nécessairement sceptique et sûrement ignorant que je suis, comme une zone d’ombre dans le monde du vin : je veux parler, une fois de plus, des sols et sous-sols. Cette partie invisible du grand ensemble qu’on appelle « terroir » et dont l’influence sur une vigne et le vin qu’il produit est si souvent vantée par certains. Je souligne aussi que, dans ces deux articles, je n’ai fait qu’adapter les pensées d’un géologue, le Professeur Maltman, car je serais incapable d’expliquer cela tout seul. Et je ne doute pas que mes errements (ou les différences d’opinion avec les avis de Maltman) seront corrigés en commentaires par Georges Truc.

Sol, sous-sol et minéraux et leurs effets sur un vin : mais de quoi parle-t-on ? (2/2)

La dureté des minéraux est très variable. Deux exemples: le gypse et le quartz. Le premier est un minéral tendre, car son composant calcium partage des électrons d’une manière assez lâche avec du soufre et de l’oxygène. On peut marquer le gypse avec ses ongles et on le trouve dans certains vignobles comme la Ribera del Duero. D’un autre côté, le quartz est très dur. Une lame de couteau ne le marque même pas. Silice et oxygène s’y trouvent fermement liés, et cette stabilité chimique fait que ces éléments sont pratiquement insolubles. Le quartz est très commun dans des vignobles, et bon nombre de cuvées  de vin utilisent son nom, mais il faut savoir qu’il n’a ni odeur, ni saveur.

sols

 

Une des difficultés en géologie est de distinguer la roche qui forme la croûte terrestre des morceaux de rocher détachés qui font partie de ce qu’on appelle généralement les sédiments. Ces morceaux peuvent être petits et on les appelle alors des cailloux, ou bien très grands et on les appelle toujours des roches. Quand ils sont encore plus fins, on les appelle, selon leur nature et origine, sables, ou bien argiles. Ces sédiments, qui ont diverses origines et tailles, sont presque toujours mélangés à de la matière organique pour former ce que nous appelons « terre ». Sans cette matière organique, rien, ou pas grand chose, ne pousse (regardez une plage, par exemple). Même si on y apportait de l’eau, il n’y aurait même pas de la vigne sur la lune car sa surface est composée uniquement de minéraux.

La plupart des sédiments bougent, par action du vent, des glaciers, de la pluie, des cours d’eau, de la gravité, et sans parler des actions de l’homme. Un sol n’est donc jamais un reflet exact de la roche sur laquelle il repose. Il peut même être assez différent, comme à Bordeaux, dans le sud de la vallée du Rhône, à Marlborough (en NZ) ou dans les vallées du Chili, car ces alluvions sont venus d’assez loin. On appelle loess les sols qui sont arrivés, il y a longtemps, par voie aérienne. On en trouve, par exemple, sur des parties de la rive droite du bordelais, en Autriche ou dans l’Etat de Washington. Il est évident que ces types de sols sont souvent assez différents de la base rocheuse sur laquelle ils reposent.

Maintenant, il faut parler de la nutrition de la vigne. Elle se fait principalement par voie aérienne, c’est à dire par le mécanisme que nous appelons photosynthèse et qui utilise de l’oxygène, du carbone et de l’hydrogène. Mais, pour faire fonctionner cette machine, il faut aussi des traces d’autres éléments qui viennent essentiellement du sol et qui sont des métaux: fer, zinc, calcium, magnésium. Ce sont effectivement des nutriments minéraux, mais la plante se fiche pas mal de leur origine: celle-ci peut se trouver dans le sédiment (la terre), dans la dégradation de certaines roches (un processus qui n’est pas systématique et qui nécessite beaucoup de temps et des conditions particulières) ou dans des apports faits par l’homme. La nature minérale d’une roche « mère » ne produit donc pas, nécessairement, un lien avec les minéraux qui se trouvent dans le sol. D’autre part, l’essentiel de ces nutriments se trouve près de la surface des sols. Les racines qui peuvent, parfois, descendre loin et même pénétrer dans des failles dans la roche, n’y vont que pour chercher de l’eau.

types de sol

 

Et puis une vigne n’absorbe pas tout ce qui se trouve dans un sol non plus. Ses racines n’agissent pas comme un papier buvard. D’abord il faut que la substance en question soit soluble dans l’eau. Puis il fait la présence de micro-organismes, d’humus et d’argiles d’un certain type, autrement dit un sol qu’on appelle « vivant ». Enfin, il faut que le porte-greffe soit capable de détecter et de laisser passer les nutriments minéraux. Et il y a d’autres facteurs qui rendent ce processus plus aléatoire encore. On parle beaucoup de types de sols qui sont favorables à certains cépages. Par exemple, on va dire que le chardonnay « aime » les sols calcaires, ou le riesling les sols schisteux. En réalité on ne fait que citer les types de sols ou chacun de ces cultivars est devenu célèbre (Bourgogne et Mosel, pour ces deux exemples). Mais une telle approche « historique » ignore la grande adaptabilité des cépages et, surtout, le rôle essentiel du porte-greffe qui, après tout, porte les racines.

Nous savons que les propriétés physiques d’un sol, et en particulier tout ce qui implique l’eau et sa circulation, affectent les vignes et, certainement, aussi les vins qui en sont issus après culture, récolte, fermentation et autres modifications apportées par l’homme. Mais le rôle d’une composition chimique spécifique d’un sous-sol dans le goût d’un vin, étant donné tout ce que je viens de dire, et sans parler en détail de la transformation chimique radicale produite par la fermentation et le vieillissement de chaque vin, me paraît plus qu’incertain, en tout cas impossible à prouver au delà d’un vague soupçon. Nous savons que les anecdotes sur ce sujet sont totalement variables et que les dégustations à l’aveugle n’ont jamais été capables de prouver ce type de lien.

Quant à dire que certains sols sont « riches en minéraux », il faudrait savoir ce que l’on veut dire par là. Tous les types de rochers sont riches en minéraux géologiques, et pas un plus qu’un autre. Veut-on dire que le sol en question est riche en minéraux nutritionnels ? Cela voudrait dire que ce sol est très fertile alors. Et un sol très fertile produit beaucoup de vigueur dans la vigne, mais n’est pas vraiment adapté à une viticulture de qualité. On se trompe donc aussi bien sur le fond que sur la forme.

Mais tout cela ne signifie pas que le mot « terroir » n’a pas de sens. Il a juste le sens qu’il doit avoir: c’est à dire qu’il désigne l’ensemble du milieu d’une vigne, et pas seulement le sol et le sous-sol. C’est plus complexe et moins facile à exploiter en communication que de dire que le terroir c’est la nature de la roche en dessous du sol. Mais c’est la réalité et non pas une fantasme romantico-mystérieux !

David Cobbold

 

12 réflexions sur “Voir plus clair dans la roche : deuxième chapitre

  1. Guyot JF

    Bel article, la notion de terroir a été définie par l’OIV comme suit: « Le « terroir » vitivinicole est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui conférent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace. le « terroir » inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la bio diversité », fin de citation. Il serait sage de ne plus utiliser le terme terroir prêtant trop à tentative de justification à la qualité du vin. La demande de classement en premier cru de certaines parcelles à Marsannay étant un bel exemple, les recherches géologiques montrent que les meilleurs vins ne sont pas forcément issus de ce que l’on peut qualifier de bons « terroirs » lire parcelles.

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    1. Cher Mr Guyot, l’idée de terroir ne me semble pas être : « être meilleur que… »
      mais c’est d’être différent, reconnaissable et surtout non duplicable/réplicable ailleurs.

      Par ailleurs, personne ne conteste que l’approche descriptive purement géochimique et toute la physiologie végétale qui en découle est bien insuffisante pour caractériser un goût de terroir, étant donné nos limites neurosensorielles en matière de goût et d’odorat.

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  2. Oui, je suis bien d’accord. Le terroir est une condition de production, mais pas un argument qualitatif. Tous les vins ont un (ou plusieurs) « terroirs ». Après, ce qu’on en fait est ce qui fait la différence, même si certains sont clairement plus propices à produire des vins de grande qualité que d’autres. Mais, sans le bon travail de l’homme, aucun terroir ne fera du bon vin.

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  3. Outre le combat de l’image d’Epinal de la petite plante qui aspire des minéraux et les restitue dans le vin et pour lequel nous sommes globalement d’accord, sauf preuve du contraire, j’ai l’impression tenace qu’il y a une faille dans votre raisonnement.

    Vous reconnaissez que l’eau et sa circulation affecte les vignes, vous reconnaissez que les roches se décomposent de façon différentes selon leur nature géologique (Sables, altérite, argiles, limons (ou terre comme vous l’appelez)) mais vous ne faîtes pas le lien entre les deux.

    L’agronomie française a tendance à reconnaître que les différences de terroirs s’expliquent par les différents modes d’accès de la plante à l’eau… la composition du sol (lié à la décomposition du sous-sol) en est un des éléments (avec la pente, sa force, sa déclivité, son exposition ; et bien sûr avec le climat… et l’intervention de l’homme bien sûr qui peut modifier les éléments naturels mis à sa disposition en arrosant, en labourant, en palissant… etc)

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    1. Oui Jocelyn, je crois bien que c’est une histoire d’eau, pour l’essentiel de ce qui se passe sur terre. Je n’ai peut-être pas suffisamment appuyé sur ce point, et puis je n’ai pas ce certitudes, juste de présomptions. David

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  4. georgestruc

    OK, David, bien noté votre deuxième contribution. Ce début de semaine, je suis surchargé de travail et vous apporterai un commentaire seulement Mercredi ou Jeudi. Désolé de ne pouvoir le faire avant.

    Bonne journée,
    Georges

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  5. Luc Charlier

    Bon d’accord, j’suis un « fouteur de merde »: on attendra le Messie. Quand j’étais petit, je croyais aussi que j’avais de l’importance. La vie m’a détrompé. Freud et Jung ont écrit pas mal sur la « pensée magique ». Ah oui, c’est vrai: ils n’étaient pas français.

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  6. Cher david
    Je sais que nous n’allons pas être d’accord….mais si vous voulez aller au bout des choses. Il faudrait que vous goutiez le même terroir; le même cépage, le même millésime, l’un en vinification indigène et l’autre en levure de laboratoire….Juste étonnant…..l’un a plus de rétro olfaction que l’autre
    Jean-Charles Botte http://www.vinpur.com

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