Intronisé à coups de bâton

À coups de bâton, puis du plat de l’épée.
Me voici intronisé commandeur d’honneur dans la Commanderie du Babau1.

C’était le 17 mai2. Le chapitre (rituel) est bien réglé et symbolique. Les dix-huit coups de bâton de garde-vignes3 frappés sur le sol représentent la somme des chiffres de 1296, année où fut vaincu le monstre, le Babau. Ce dragon du fleuve côtier Agly, entré par un trou dans la muraille de Rivesaltes4 avait emporté six enfants dans sa gueule.

Coïncidence, ma lecture de la semaine, une ode de Du Bellay (1550) raconte le combat des Muses contre le monstre Ignorance (guerre qui n’est pas, on en conviendra, arrivée à son terme) :
« Et vous les scadrons vaillans,
Pour les Muses bataillans,
Hurtez le depiteux Monstre,
Qui frissonne à la rencontre
De votre superbe effort »

Une côte du Babau, à moins qu’il ne s’agisse de celle d’une innocente baleine, trône à côté du comptoir de l’Office de Tourisme.
Revenons au rituel. La salve de coups de bâtons est suivie du cri fort et grave « Babau ! ». L’impétrant, suite à un aimable discours empli de ses hauts faits et agrémenté d’amabilités puis à la dégustation d’un verre de muscat de Rivesaltes, est adoubé à l’épée et se voit remettre une médaille, son brevet, le serment par lequel il a prêté fidélité au vin de Rivesaltes – Muscat, Grenache ou Malvoisie. D’ailleurs, chaque photo de groupe donne lieu à la prononciation de ce mot Malvoisie, qui remplace un cheese qui serait malsonnant.

Tradition et terroir

C’est le Grand Maître Patrick Chaumin, qui a entraîné la Commanderie (re-créée en 1996 en mémoire de la confrérie de Saint Blaise, autre saint des vignerons honoré jusqu’à la Révolution) à m’accueillir avec mes états de service œnotouristiques pour cette joyeuse journée.

Le Grand Maître Patrick Chaumin dans le caveau rivesaltais du XIVe siècle

Ce n’est pas un petit travail qu’il a accompli depuis une dizaine d’années, tout à la valorisation de l’histoire et de la culture vitivinicole5, et à la promotion d’un œnotourisme culturel. Une visite du vieux village de Rivesaltes au cœur de son vignoble onze fois centenaire (923) permet de découvrir la vieille enceinte, un platane biséculaire, une cave du XIVe siècle, la plus grande du Roussillon à l’époque.

Continuité des héritages vinicoles : la cave médiévale abrite des cuves de vinification en carreaux de faïence ; celles6 du domaine de Rombeau sont revêtues de carreaux de verre.

La Commanderie, dont sont membres certains conseillers municipaux et vignerons, remplit à merveille son objet social et philosophique : mise en lumière de la jouissance gourmande, des mets et boissons du Rivesaltais, de leur valeur artistique et de leurs traditions. Le Muscat de Rivesaltes a fêté en 2022 ses six cents ans7 même si son ancienneté remonte à l’Antiquité, tant il était apte à voyager loin pour aboutir sur les tables les plus illustres, par exemple celles des papes d’Avignon, ou celle de Pierre-Paul Riquet, le maître d’œuvre du Canal du Midi.

Patrimoines culinaires vivants

Avec la Commanderie, c’est toute une synergie gourmande qui est en œuvre avec les bonnes adresses rivesaltaises. La cave Arnaud de Villeneuve (d’après le nom du héros de la distillation) existe depuis 1909, mais l’élan coopérateur avait été précédé dès 1861 par une société de propriétaires vignerons, La Roussillonnaise, dont le magnifique portail a été conservé.

L’auberge du domaine du Rombeau (domaine viticole plusieurs fois séculaire) est l’adresse par excellence de la tradition culinaire et des festivités rivesaltaises. Je me suis régalé avec la cargolade et la lotte au muscat.

Un vitrail du restaurant du domaine de Rombeau

La boutique du lycée agricole animée par Stéphanie Pigouche8 propose les produits et légumes frais du lycée et d’autres établissements d’enseignement agricole. L’abricot est une production locale et a sa fête (le 5 juillet cette année) ; j’hésite encore à m’inscrire pour le concours du plus gros mangeur d’abricot.

Le Muscat de Noël a été remis au goût du jour en 1996. Dès 1451, il était livré à la reine d’Aragon pour les fêtes de la Nativité. La sortie de ce muscat est possible pour la Saint-André9 ; ça tombe bien, l’église de Rivesaltes lui est consacrée. Sinon, le muscat de Rivesaltes est commercialisable à partir du 1er février de l’année suivante.

Une boisson de guerrier indien

En 1827, une délégation de six amérindiens, des Osages de l’Oklahoma, menée par Chef Big Soldier, vint rencontrer le roi Charles X. Ils déploraient le départ des trappeurs français. Accueillis par des festivités au Havre, on sait qu’ils burent du muscat de Rivesaltes.10

Aussi, la Commanderie invita (en 2015) un député de la tribu osage, l’intronisa et l’initia à la danse catalane, la fameuse sardane !

Il existe en France des orangers des Osages, introduits en 1812 pour compléter les plantations de mûriers fournissant des feuilles pour les vers à soie. Cette tentative a été abandonnée. L’autre nom de cet arbre est Bois d’Arc. Les Osages s’en servaient pour fabriquer leurs arcs, leurs long bows. Ils utilisaient le latex du fruit pour se peindre la peau et teindre leurs vêtements en jaune. Comme j’en ai un dans mon chemin11 je vous en offre deux inflorescences.

Prochaine fête du Babau ? Le 1er août. Soyons-y !

André Deyrieux

  1. Prononcez Babaou. ↩︎
  2. Mais dans le cadre de la journée mondiale du muscat du 9 mai. ↩︎
  3. Arme attestée depuis le XIVe siècle. ↩︎
  4. Rivesaltes vient de ribas altas, rives hautes . ↩︎
  5. Il a réalisé une formidable exposition visible à la médiathèque. ↩︎
  6. Aujourd’hui inutilisées. ↩︎
  7. La date de 1422 est celle d’une redevance fiscale sur le vin muscat fixée par l’Abbaye de Lagrasse. ↩︎
  8. Stéphanie anime aussi avec son frère le domaine viticole et oléicole Château Vespeille Les Pins – qui se transforme l’été en en club de plage au pied des Corbières. ↩︎
  9. Pensez à moi le 30 novembre. ↩︎
  10. Certains d’entre eux allèrent à Montauban et des liens ont été conservés entre cette ville et les Osages. ↩︎
  11. Coïncidence ? Non je ne crois pas, non. ↩︎

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