Chrétien Oberlin a bien mérité de l’Europe!

La route des Vins d’Alsace vient de fêter ses 60 ans. Il me semble donc tout indiqué de rappeler le nom et l’oeuvre d’un enfant du pays sans lequel la viticulture alsacienne ne serait sans doute pas ce qu’elle est aujourd’hui – et que serait une route des vins sans de beaux vignobles et de beaux vins à montrer?

En plus, à sa manière, son histoire plaide pour une autre Europe. Pas celle de Bruxelles ou de Strasbourg, qui nous semble si loin. Pas celle de la bureaucratie. Pas celle des douaniers. Pas celle des élections européennes où vous ne pouvez voter que pour vos propres nationaux (et bien souvent, paradoxalement, pour des gens qui ne croient pas à la construction européenne). Non, je veux parler de l’Europe des gens, celle de l’action, celle de l’amitié entre les peuples. Celle du vin. Parce que le vignoble n’est pas plus vert de l’autre côté de la frontière…

Tiens, saviez-vous que l’on peut faire du vin luxembourgeois avec des raisins français, en toute légalité?  Et du vin italien avec des raisins slovènes? Certains domaines sont coupés en deux par la frontière. Ce sont ces petites exceptions à la règle qui nous montrent à quel point, souvent, nos règles ne tiennent pas debout. L’Europe est pleine de bons vins qui ne demandent qu’à être découverts ou redécouverts.

Mais revenons à ce cher Oberlin…

Enfant de Beblenheim, fils de viticulteur, Chrétien Oberlin naît français en 1831. Il fait des études d’ingénieur et à ce titre, participe à la construction de la ligne de chemin de fer Sélestat-Sainte Marie aux Mines.

Mais c’est à l’agriculture qu’il consacre l’essentiel de sa vie, et notamment à la vigne.

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Chrétien/Christian Oberlin (Image: Oenophil)

1875. L’Alsace-Lorraine est allemande. Mais quelque soit la nationalité de l’occupant, comme toute l’Europe viticole, la région est atteinte par le phylloxéra. Oberlin est un des premiers à s’intéresser scientifiquement au phénomène.

En 1881, il édite un mémoire à Colmar, présentant des solutions à la question phylloxérique.

Ayant remarqué que les vignes sauvages ne sont pas affectées, il sélectionne des plants résistants, notamment par hybridation. Il contribue grandement à sauver le vignoble alsacien en généralisant la greffe sur plants américains. On lui doit aussi l’Oberlin, un croisement entre riparia et gamay, toujours autorisé aujourd’hui dans l’Est de la France… et qu’on retrouve jusqu’au Paraguay!

Puis, en 1897, il fonde l’Institut du Vin d’Alsace, à Colmar. Infatigable chercheur, il sélectionne les plants utilisés aujourd’hui en Alsace, à partir d’un nombre beaucoup plus grand. C’est à lui qu’on doit notamment le pinot blanc d’Alsace, tel qu’on le connaît aujourd’hui.

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Lointaine héritière d’Oberlin, la jolie gamme du Domaine de la Ville de Colmar

Par ailleurs, Oberlin généralise les vignes palissées. C’était l’époque où on ne discutait pas l’avis des savants.

Le tout, sous administration allemande. Oberlin meurt en 1916 et ne verra donc jamais le retour de l’Alsace à la France.

Ne jetons donc pas le bébé alsacien avec l’eau du bain allemand: c’est à l’ombre des casques à pointes, en effet, que renaît le vignoble alsacien. Que l’ampélographie connaît une des ses plus fastes périodes. Et qu’est fondée (en 1895) la première coopérative viticole de France, la “Rappoltsweiler Winzerverein » (Union des Vignerons de Ribeauvillé)…

Bilingue, Oberlin a servi les deux pays, mais il a surtout bien mérité de la viticulture.

A l’heure européenne, voila un bel exemple!

Hervé Lalau

PS. Les vignes de l’Institut du Vin de Colmar ont été reprises par la ville, qui a fondé une société d’économie mixte. Le plus gros des parts de cette société a été racheté en 2011 par Arthur Metz. Celui-ci vient de donner un solide coup de jeune à la gamme. L’unité reste indépendante au plan de la vinification comme des apports. Je vous recommande tout particulièrement son pinot blanc (qui a dit que ce cépage manquait de complexité!?), son muscat (un des plus jolis muscats secs qu’il m’a été donné de déguster cette année) et son pinot gris.

5 réflexions sur “Chrétien Oberlin a bien mérité de l’Europe!

  1. Quelques précisions supplémentaires apportées par Philippe Bon:

    « Bonjour Monsieur LALAU, Je me suis intéressé il y a peu à la crise phylloxérique en Alsace et à la reconstruction du vignoble. J’ai consulté nombre de documents d’époque et interrogé quelques mémoires du vignoble, afin de rassembler le plus d’informations possibles sur ce sujet. Deux documents importants ont été rédigés par OBERLIN, vous citez le premier, le second a été publié dans les bulletins d’octobre et novembre 1913 de la société des sciences arts et agriculture de la Basse Alsace. On considère que c’est le testament viticole de Chrétien OBERLIN. On peut en résumer le contenu en rapportant que son auteur était un opposant farouche au greffage. Seule l’hybridation l’intéressait car elle représentait selon lui l’unique alternative en réponse au Phylloxéra. Pierre LARUE a également publié en 1914 un état des recherches de l’Institut viticole de la ville de Colmar. On y trouve de nombreuses informations sur les moyens modestes de l’institut. Charles KOENIG confirmera également. Je n’ai trouvé aucune information qui tendrait à confirmer que le Pinot Blanc et le Gewurztraminer aient été sélectionnés par OBERLIN. La reconstruction du vignoble s’est faite avec des hybrides qui provenaient de l’institut et des portes greffe issus en partie du même endroit mais également de Laquenexy et de la production des pépiniéristes locaux. Jusqu’au début des années 1970, les vignerons achetaient les portes greffe et greffaient eux même les bois qu’ils avaient récupérés sur les bans alentours. En ce qui concerne le palissage, s’il est exact qu’OBERLIN en avait encouragé l’usage, il ne faut pas oublier que d’autres avant lui (SIGRIST, SCHATTEMANN) l’avaient déjà promu. Le mode de conduite proposé par OBERLIN n’est pas comparable à celui qui est utilisé de nos jours. OBERLIN fait partie du paradoxe alsacien. Ainsi jusqu’en 1963, Joseph DREYER, Receveur de la Confrérie Saint-Etienne, dans un texte publié par la revue Saisons d’Alsace, fustige les hybrides « gros producteurs de qualité douteuse » tout en soulignant l’œuvre d’OBERLIN qui fût comme nous l’avons vu, l’un de leurs plus grands défenseurs. Philippe BON « 

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  2. Denis Boireau

    Sait-on pourquoi le cepage Oberlin n’a pas ete frappe d’interdiction par la loi de 1934 comme les autres hybrides?
    Est-on sur que c’est un hybride de V. Riparia?

    J’en ai une bouture en cours de reprise dans mon jardin. Si tout va bien je pourrais donner des bois d’ici 3-4 ans.

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  3. Merci Denis de votre intérêt

    L’Oberlin Noir n’est pas un hybride au sens vrai mais un croisement

    Voila ce que j’ai:
    Identification/Origine : croisement interspécifique entre le riparia Millardet et le gamay obtenu par Philip(pe) Christian (Chrétien) Oberlin (1831-1915) qui créa également en 1897 l’Institut viticole Oberlin à Colmar (haut Rhin)… Aujourd’hui, l’Oberlin noir n’est pratiquement plus cultivé, quelques vignes existent ici et là fournissant des vins très agréables bien qu’atypiques, inscrit toutefois au Catalogue officiel des variétés de vigne liste A1.

    Source: les cépages

    C’est donc bien un croisement entre deux riparias (comme notre bon vieux Gamay, d’ailleurs, qui n’est qu’un croisement entre guais et pinot)

    A part ça, Denis, permettez moi de faire remarquer (c’est ma réflexion personnelle) qu’il est plus important qu’un cépage existe dans la réalité, que sur un catalogue. Nous autres Français sommes les champions du classement, de l’étiquette et du catalogue, mais pendant ce temps là, les Canadiens, les Danois, les Belges, les Finlandais, les Paraguayains plantent toutes sortes d’hybrides ou croisements pour leur résistance au froid, à l’humidité, que sais-je? Et vous savez quoi, un jour, il nous reviennent dans la figure (cf le Gamaret que le Beaujolais a mis à l’étude).
    La forteresse du catalogue me fait bien rigoler.

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  4. Bonjour Hervé

    Pour avoir relu le livre d’Oberlin suite d’ailleurs au papier de Philippe Bon , je pense qu’il s’agit d’un travail historique fondamental sur le sens donné à la viticulture, exhumé par Philippe

    la dégénérescence de la vigne cultivée

    est en ligne sur la bibliothèque numérique Gallica

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5685893m.r=oberlin%2C+chr%C3%A9tien.langFR

    Je comprends surtout qu’Oberlin observe que ce n’est pas tant l’approche pasteurienne de la problématique du phylloxera qui est en cause dans son expression de dégénérescence, mais c’est surtout la modification des modes de conduite de la vigne.

    En clair plus la vigne du genre Vitis Vinifera est rabougrie, plus elle exprime le phylloxera

    Alors vous écrivez : « Ayant remarqué que les vignes sauvages ne sont pas affectées, il sélectionne des plants résistants par hybridation.  »

    Il faut comprendre que lorsqu’il parle de vigne sauvage, observée par exemple dans la forêt fluviale du Rhin, il s’agit de vigne à l’état de liane, mais pas du tout de souche hybride ou même américaine pure.

    Et on peut encore aujourd’hui observer que des Vitis vinifera en franc de pied, mais à l’état de liane n’expriment pas le phylloxera au point d’y avoir dégénérescence. Seules quelques feuilles ont des galles.

    C’est un message pour qui veut revenir aux francs de pied sans risquer une expression trop forte du phylloxera.
    David Lefebvre

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  5. ANDRE Daniel Vittel

    Bonsoir, pour info il existe une petite coopérative viticole dans l’ouest des Vosges à La Neuveville sous Montfort dont les vignerons cultivent l’Oberlin à 50/50 avec du Kuhlmann (Léon Milot). Et 2 vins typiques Vin Bleu et Gris Fruité se vendent fort bien (15 à 20 000 bout/an). En aucun cas on ne se séparerait de l’un ou de l’autre cépage.

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