Les liégeux se moquent ouvertement de nous

Comme d’autres dans cette profession, j’ai reçu cette semaine un communiqué de presse qui m’a étonné par son ineptie totale. Voici son titre : 

« Bouchon de liège VS capsule à vis, les neurosciences mettent fin au débat ! »

En substance (pour autant qu’il y en ait, ce qui est loin d’être prouvé), ce communiqué prétend que le bruit du « pop » qui accompagne la sortie du goulot d’un morceau de liège conditionnerait les êtres humains à préférer un vin ainsi fermé à un autre qui aurait eu l’outrecuidance à adopter un type de fermeture différent. Pour résumer, c’est un peu la découverte de Pavlov sur la salivation des chiens appliquée aux humains et au pinard !

Les producteurs de liège (qui n’ont évidemment aucun intérêt à défendre dans cette affaire) annoncent ceci, sans modestie ni précaution :

« Les neurosciences mettent aujourd’hui en lumière l’influence positive du bouchon de liège sur la perception sensorielle du dégustateur et donc, au-delà de ses performances pour le bouchage, sa contribution à la valeur perçue du vin. À travers plusieurs démarches inédites menées cette année au Royaume-Uni et en France, les neurosciences entérinent la supériorité incontestable du bouchon de liège et sa plus-value sans équivalent pour les vins et spiritueux. »

Regardons d’un peu plus près les deux axes de cet argumentaire qui me semble plus que léger.

1) La supériorité incontestable du bouchon de liège

Incontestable pour qui et pourquoi ?

De ma connaissance, beaucoup (la plupart ?) de professionnels du vin ne seront pas du tout d’accord avec une telle affirmation. Ils acceptent cependant, pour certains marchés, la nécessité subie de continuer à mettre leurs vins sous un produit (le bouchon de liège) qui relève d’une technique surannée à cause des préjugés des consommateurs, voir de certains revendeurs peureux ou ignorants. En Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Scandinavie, en Autriche, en Suisse et dans bien d’autres pays ou régions encore, la capsule à vis soit domine le marché du vin, soit est considérée comme une fermeture plus qu’acceptable et qui ne préjuge nullement de la qualité du vin en question. Et il en va de même pour le bouchon en verre, encore trop rare malheureusement.

De mes propres expériences, répétées sur 35 ans, je n’ai jamais trouvé que le bouchon en liège démontrait autre chose qu’une longue série d’inconvénients quand je le compare à des flacons fermés par une capsule à vis. Tout récemment j’ai bu et partagé un 2007 d’un Côtes de Roussillon, Coume Majou, que j’avais acheté à son producteur (Luc Charlier, et qu’il en soit félicité !), cet été. Fermé par une capsule à vis, ce vin exprimait un fruité et une vivacité d’une jeunesse impeccable, sans aucun faux goût, réduction ni coup de fatigue par un début d’oxydation. On aurait dit un vin de 3 ans ! Il aurait été intéressant de comparer cette bouteille avec une autre du même vin fermé par un morceau de liège.

Les défauts du liège comme matière pour fermer des bouteilles de vin sont nombreux, et le « goût de bouchon », qui en fait quand-même partie, n’est pas le plus important de nos jours, même s’il crée encore trop de dégâts (entre 1 et 2% des bouteilles dans mon expérience avec des vins jeunes, mais bien plus avec des vins plus anciens). L’oxydation très variable dans un lot et la friabilité de cette substance dans le temps constituent deux autres inconvénients largement aussi importants qu’inacceptables. Combien de bouchons un peu vieux se cassent dans le col ? Combien de flacons semblent passés et fatigués alors qu’il devraient être en plein vie ? Je ne les compte plus, dans les deux cas.

Et pourquoi les défenseurs de vins sans soufre ne se jettent pas sur la capsule à vis ? Car elle permettrait une bien meilleure conservation de ce type de vin et autoriserait à tous les vins d’être moins dosés en soufre à la mise. Mais, bien sur, l’alu n’est pas « nature » alors que le liège et tous les traitements qu’il subit le sont!

Alors sur quoi se base le lobby du liège pour défendre son absurde proclamation ? Un tout petit échantillon de 140 habitants de Londres ! Et dans quelles conditions? Et avec quel protocole ? Silence radio.

Selon le professeur Charles Spence « Nos sens sont intrinsèquement liés. Ce que nous entendons, voyons et ressentons a un effet énorme sur ce que nous goutons et dégustons. Le son et la vue de l’extraction d’un bouchon de liège mettent en place nos attentes avant même que le vin n’ait même touché nos lèvres, ce qui influence ensuite notre expérience de dégustation. Ces résultats soulignent l’importance du mode de bouchage pour le vin et l’association claire, dans notre subconscient, entre le liège et la qualité du vin « .

On ne peut qu’être d’accord avec les deux premières phrases. Pour le reste, est-on obligé d’être conditionné au point ou nos sens organoleptiques soient totalement déviés de leur autonomie par le bruit d’un bouchon qui quitte un col ? Apparemment, c’est le cas pour une majorité des sondés de cette étude commandée dont on se garde bien de donner des détails. Il me semble évident qu’une population peu au courant des réalités complexes du vin à laquelle on a dit pendant deux ou trois générations que le vin de qualité doit être bouché liège va réagir ainsi. Mais cela ne prouve rien en ce qui concerne la qualité organoleptique du vin. Cela prouve juste que cette population est conditionnée par un effet parasite !

Le communiqué est très clair sur le seul effet positif du bouchon sur l’esprit des consommateurs sondés.

« Le son et la vue de l’extraction d’un bouchon de liège influencent de manière significative la perception du dégustateur sur le vin débouché. »

Ce n’est ni le goût, ni la capacité de garde valable et constant du vin bouché par du liège qui est considéré comme étant meilleur, mais juste la perception du buveur qui est altéré au point ou il ne se rend plus compte de rien ! Et j’avoue que ce constat semble bien correspondre avec ce que j’entends de la bouche de bon nombre de consommateurs. Mais constater cet effet illusoire induit ne vous autorise pas, chers liégeux, à dire que le bouchon en liège est une forme de fermeture « supérieure ».

Je parie qu’on aurait pu obtenir un résultat équivalent en jouant avec les étiquettes des bouteilles. Vous collez une étiquette d’un cru classé prestigieux sur un flacon de Bordeaux « de base », et je vous mets mon billet que les appréciations vont grimper d’une manière sensible. Cela ne prouve rien d’autre que le fait, indéniable, qui nous somme souvent influencés par autre chose que nos perceptions organoleptiques.

2) Sa plus-value sans équivalent pour les vins et spiritueux

Je cite le communiqué sur ce point :

« Une étude* conduite sur les 50 premières marques de vins tranquilles vendues au Royaume-Uni révèle que l’écart de prix entre les différents modes de bouchage n’a fait que progresser ces dernières années. Ainsi, depuis 2015, le prix des vins bouchés liège a augmenté de 11% contre seulement 6% pour les autres obturateurs sur cette même période. Le prix moyen s’établissant à 1,52£ en faveur du liège**.

*CGA Strategy
**Nielsen MAT – Juillet 2017

50 marques de vin dans un marché si atomisé ne représente pas grand chose, mais passons…

Nous voyons ici que l’argument massif en faveur du liège n’est pas que le goût du vin est meilleur ou plus régulier d’un flacon à un autre, mais qu’il permettrait de vendre votre vin plus cher. Vous avez dit cynique ?

J’avais assisté, lors du dernier Vinexpo, à une étrange conférence organisée par les professionnels du liège, avec Amorim en chef de file. Deux conférenciers, Philippe Faure-
Brac, Meilleur Sommelier du Monde, et Gabriel Lepousez, Docteur en 
neurosciences, ont proposé une curieuse (voire gênante) apologie du liège en louant le doux bruit du bouchon qui quitte le col d’une bouteille de vin. Il va sans dire que je n’ai pas été convaincu !

Enfin, dire, comme ose le faire ce pauvre communiqué, que le bouchon de liège est plébiscité dans le monde entier en présentant comme seuls arguments à l’appui que « 95% des vins les plus vendus en Chine sont bouchés liège » et que « 95% des Espagnols affirment leur préférence pour le liège » est faire fi de tous les pays et exemples qui indiquent autre chose. En tout cas, de telles statistiques prouvent uniquement l’étendue de l’ignorance de certains buveurs de vin.

Oui, les liégeux continuent à se moquer de vous, et de nous.

David Cobbold

 

 

 

17 réflexions sur “Les liégeux se moquent ouvertement de nous

  1. Oui, bien sûr, tout dans cet article n’est pas faux, et tout n’est pas juste ! Mais reconnaissons que dans nos pays, CERTAINS consommateurs (souvent les plus âgés) sont persuadés que le bouchon à vis est réservé aux « petits » vins sympas sans prétention !
    Dans la phrase :
    «  »Le son et la vue de l’extraction d’un bouchon de liège mettent en place nos attentes avant même que le vin n’ait même touché nos lèvres, ce qui influence ensuite notre expérience de dégustation. «  » ils avaient ajouté :
    «  »Le son et la vue de l’extraction d’un bouchon de liège – ainsi que tout le cérémonial entourant l’ouverture d’une bouteille – mettent en place nos attentes avant même que le vin n’ait même touché nos lèvres, ce qui influence ensuite notre expérience de dégustation. » » Cela m’aurait paru plus juste, plus cohérent !
    Mais toujours pour une certaine catégorie de dégustateurs….
    On juge tellement plus avec la vue qu’avec nos autres sens, que certains points sont bien exacts dans cette « étude ». D’ailleurs, dans mon expérience, 100% des dégustateurs en face de moi, préfère nettement le vin que je viens de servir (à l’aveugle) à gauche dans un beau verre que le vin servit à droite dans un gobelet en plastic……! ( le vin étant le même bien sûr !!) 😊😉

    Aimé par 1 personne

  2. N’a-t-on jamais pensé à l’inertie thermique et son influence sur l’évolution du vin en bouteille. Le liège est un isolent naturel, tandis que le métal de la capsule est un conducteur, donc réchauffe ou refroidit le vin selon la T° ambiante, mais en plus conduit l’électricité qui augmente en fonction de la proximité d’une ligne électrique ou par temps d’orage, voire avant une scène de ménage (quand il y a de l’électricité dans l’air). Alors? Quel est le meilleur agent boucheur pour le vin la capsule ou le liège?
    Marco

    Aimé par 1 personne

    1. Belle piste.
      J’ajouterai, pour aller dans le sens des bouchonniers, que le plops du débouchage provoque des ondes sonores et une différence subite de pression qui ne sont certainement pas sans effet sur la conservation du vin dans les secondes qui suivent et jusqu’au service, donc… Cela mériterait une étude plus poussée, dans des conditions de température, d’hygrométrie et de pression contrôlées.

      J’aime

      1. Cela s’appelle une détente adiabatique Hervé et c’est se qui se fait condenser et refroidir le gaz carbonique quand tu débouches ou décapsules une bouteille de boisson effervescente = vapeur. Alors, oui, la brusque changement de pression agit-il selon le bouchage sur la dégustation !?
        Marco

        Aimé par 1 personne

      2. Grazie a Lei, Dottor Marco. Chassez le chimiste, il revient au galop. Est-ce qu’Ancône n’est pas sur la mer Adiabatique, d’ailleurs? Ce qui expliquerait que les Verdicchio aient souvent un peu de gaz…

        Aimé par 1 personne

  3. Jim Budd

    I am very happy buying wine closed with a screwcap. In my limited experience of tasting/drinking older wines closed with a screwcap, the wines have always been fresh and remaining attractive to drink. On the even rarer occasions when I have tasted the same wine closed with a cork and one with a screwcap, the screwcap has again always been better and fresher. One particular striking experience was tasting an Australian Rielsing from Yalumba from the mid-1970s (sadly I forget the vintage) in 1999 and finding that not only did it have all the characteristics of an aged Riesling – petrol etc. – but it also had extraordinary freshness. I do find that the instance of corked bottles has declined recently, which is just as well as it used to be remarkably high. However, the problem hasn’t of cork hasn’t gone away as 3000 cases of ‘ruined’ Washington wine indicates: https://www.thedrinksbusiness.com/2017/10/faulty-corks-ruin-3000-cases-of-top-washington-wine/

    Aimé par 1 personne

  4. C’était mieux lorsque je ne faisais plus AUCUN commentaire, penseront la plupart de vos lecteurs. Mais tu as raison, Hérvé: « Moi qui ne suis qu’un amer diabétique, quand je vais aux p’tites chiottes, j’y laisse souvent un peu de gaz. » Dehors … ? OK.

    Aimé par 1 personne

  5. ARME-HP

    Je représente l’Association régionale des Mal-Entendants de Haute-Picardie, qui lutte contre les discriminations de tout genre dont sont victimes les personnes à audition réduite. Et je trouve particulièrement malvenu de la part des fabricants de bouchons de liège de mettre en avant le bruit supposé de l’ouverture de la bouteille. Je demande donc solennellement aux bouchonniers d’arrêter immédiatement cette campagne de communication.

    Aimé par 2 personnes

  6. Personnellement, je serais plutôt old school dans ce domaine, même si je veux bien croire en l’innovation technique. Mais que vais-je donc apprendre à mes clients en savoir-vivre à la française, s’il n’y a plus de vin bouchonné??? LOL

    Aimé par 1 personne

  7. à Anne
    Il est temps qu’il y ait un peu d’innovation technique dans ce domaine depuis 300 ans quand-même !
    Qui accepterait de circuler à cheval tout le temps de nos jours. Labourer quelques vignes pour faire de la comme, passe encore, mais faire Paris-Toulouse à cheval ou en carrosse….? Pourtant c’est ce qu’on demande à nos pauvres vins bouchés avec du liège.

    Aimé par 3 personnes

  8. Bonjour David,
    Je suis entièrement d’accord avec vos propos au sujet de cette étude. Affirmer que le liège a une image positive dans l’univers du vin est un peu comme enfoncer une porte ouverte. La tradition est très prégnante dans toute la filière du vin, et tout le monde n’avance jamais à la même vitesse vers le changement. Cette étude ne traduit-elle pas une certaine angoisse sur les changements à venir et la possible fragilité du socle « liège » ?
    Enfin, j’aimerais ajouter que dans le monde du liège, il y a une entreprise qui n’a pas eu peur d’investir et d’innover pour rendre le liège performant comme la capsule à vis. C’est DIAM, un bouchon en liège technologique. Certes il ne s’agit pas d’un bouchon issu d’un tubage traditionnel d’une planche découpée de liège mais sa composition structurée et propre du liège font que les témoignages des vignerons qui ont adopté DIAM, ressemblent énormément à ceux de Jim Budd.

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.