Trois bodegas de Lanzarote

Nous poursuivons notre redécouverte des Canaries, entamée la semaine dernière avec La Palma. Cette fois, direction Lanzarote (alias Lancerotte, en français du 15eme siècle). Il s’agit de la plus orientale des îles de l’archipel. Avec son paysage lunaire, elle est magique, notamment pour l’oenophile qui n’en croit pas ses yeux en regardant pour la première fois le vignoble de La Geria.

Proche de l’Afrique, son climat varie peu et la température moyenne y est de 23°C. Il y pleut seulement 13 jours par an, mais cela n’empêche pas d’y cultiver la vigne. Le feu, le vent et la roche y créent des conditions extrêmes d’où naissent des vins au caractère et à la personnalité marqués, avec lesquels on découvre l’âme d’une terre et d’un climat uniques au monde.

Pourtant, certaines bodegas produisent aujourd’hui encore des vins trop technologiques et sans âme que vite « avalés » par les touristes. Aussi beaucoup de vignerons n’envisagent même pas d’élaborer de vins plus complexes et plus coûteux à faire. C’est dommage, car la région a tout le potentiel du monde pour pouvoir élaborer des vins singuliers qui se vendraient plus chers, en se connectant avec un consommateur plus sybarite. Et pour pouvoir les exporter.

Heureusement, il existe aujourd’hui un  groupe de vignerons, «Puro Rofe», qui travaille dans ce sens, pour mettre en valeur des vignobles et des vins très spécifiques. Notamment du fait de l’âge des vignes: beaucoup d’entre elles sont bicentenaires puisque le phylloxéra n’a pas atteint les îles, ses variétés ont donc été préservées.

Les cépages de Lanzarote sont arrivés des autres îles de l’archipel après les éruptions du 18ème siècle, et la majorité de ceux décrits par l’ingénieur Barrioso dans le rapport qu’il a rédigé pour le Congrès national viti-vinicole de 1878 sont encore présents. Certains sont exclusifs aux îles Canaries, comme la Malvasía Volcánica et le Listán Negro; d’autres deviennent endémiques, comme le Vijariego qui a presque disparu de sa région d’origine, l’Andalousie.

L’absence de phylloxéra permet de planter les vignes franches-de-pied, sans porte-greffes, comme cela a toujours été fait. Lanzarote a maintenant près de 3.000 hectares de vignes en activité, qui produisent ensemble une moyenne annuelle de 2 millions de litres de vin, pour une île qui ne fait que 812 km2. L’Europe commence maintenant à s’intéresser aux vins de Lanzarote, mais vous ne les trouverez pas facilement chez vos cavistes.

Les cépages les plus significatifs de l’île:

Le Listán Negro

C’est un cépage exclusif des îles Canaries. Il tire son origine de la mutation ou l’activation d’un allèle dans le génome de la variété Listán Blanco, ce qui lui donne sa couleur.

 Le Vijariego

Cette variété était très abondante en Andalousie d’où elle fut amenée à partir de la fin du XVe siècle, comme le raconte Simón de Roxas Clemente dans son ouvrage de 1807. Avec le phylloxéra, il y a presque disparu, en restant de manière testimoniale dans l’Alpujarra de Grenade. Aux îles Canaries, il a son importance, même si actuellement, plus de 60% de la production de cette variété est récoltée à Lanzarote. Sa peau dure fait que les lapins méprisent cette variété et que pour le même motif, elle résiste aux maladies.

Le Moscatel

Cette variété très répandue est connue sous le nom de Moscatel Romano, d’Alexandrie ou Grano Gordo. Parce qu’il est très exigeant en eau, il se débrouille bien dans les « chabocos », les crevasses de la couche de lave, ou sur ses bords. Les vignes étaient plantées dans les meilleures zones du vignoble, pour faire ce vin liquoreux peu connu à cause de sa consommation locale et pratiquement consommée par le vigneron et ses amis lors d’occasions exceptionnelles.

Le Listán Blanco

Au 18ème siècle, c’était la variété la plus abondante, et son moût était utilisé pour faire du brandy. Tout au long du 19ème siècle, il a été remplacé, mais pas totalement, par la Malvoisie volcanique. Dans le reste des îles Canaries, c’est toujours la variété blanche la plus abondante.

La Malvasía Volcánica

C’est la variété la plus importante et la plus abondante de Lanzarote. On ne le trouve pas ni de manière testimoniale, en dehors des îles Canaries. C’est le cépage avec lequel étaient élaborés les anciens vins des Canaries, le Canary Wine, qui régnèrent en Europe entre le milieu du XVIe et tout le XVIIe siècle, disparaissant au long du XVIIIe siècle par substitution par d’autres variétés blanches plus productives, telles que Listán Blanco. Le paysage exceptionnel montre la difficulté de culture, des vignes du cépage Malvasía, qui après plus de deux cents ans d’adaptation à un sol et un climat caractéristiques s’est transformée, pour acquérir son propre nom de famille  qui donne une idée de ce que le vin exprimera, Malvasía Volcánica, profondément enracinée dans une île si unique. Là, on s’enorgueillit  des vins doux de Malvoisie. Les vignobles les plus importants sont La Geria, Tías-Masdache, San Bartolomé, Tinajo et Ye-Lajares. La grande majorité se concentre dans les zones centrale et méridionale autour du parc naturel de La Geria.

La Geria, le “grand cru” de Lanzarote

La Geria de Lanzarote est un parc naturel (qui englobe plus de 200 volcans), mais surtout, pour nous, le point névralgique de la viticulture sur l’île. Une région viticole unique au monde, dans un paysage époustouflant de cendres volcaniques. Un lieu où les paysans ont réussi à transformer ces cendres en vignoble. Un paysage où est implanté un cépage singulier et unique, la Malvoisie volcanique qui produit les vins incomparables de Lanzarote.

Tout d’abord, un peu d’histoire. Vers 1730, une forte éruption du volcan Timanfaya a laissé une grande partie de l’île de Lanzarote couverte de lave et de sable volcanique; les terres fertiles du centre de l’île, où poussaient les céréales et qui faisaient de Lanzarote «le grenier des îles Canaries», ont été dévastées, provoquant la ruine des familles paysannes. La destruction a été totale et la population locale a dû repartir à zéro. Mais les agriculteurs n’ont pas baissé les bras; devant l’impossibilité d’enlever tout ce «rofe»*qui, à certains endroits, atteignait plusieurs mètres de profondeur, ils ont découvert que ces cendres stockaient très bien l’humidité et contribuaient à la fertilité du sol. L’une des solutions les plus originales qu’ils ont trouvées, et qui subsiste encore, a été de creuser des “chabocos”, des trous profonds dans la lave dans le but d’atteindre la terre fertile pour y planter à nouveau des céréales, d’abord;  mais devant le peu de récolte, il se sont tournés vers la vigne, qui a trouvé son habitat dans ces trous creusés dans  la cendre. Chaque pied de vigne est cultivé individuellement dans un cratère (jusqu’à 3 mètres de profondeur) et peut faire de quatre à cinq mètres de large.

La culture de la vigne n’est possible à cette latitude que grâce à ce rofe, qui recouvre les terres fertiles, il a la particularité d’absorber la rosée du matin sans que l’eau ne s’évapore, ce qui génère une humidité avec laquelle il est possible de faire pousser des cultures dans une île aussi aride que Lanzarote, où la pluviométrie annuelle atteint à peine 100 litres par mètre carré, et avec le Sahara à 90 km; C’est donc une pure magie de la nature. Pour protéger les trous des alizés qui soufflent du nord-ouest, un système de culture a été inventé: des murs de pierre ont été construits, qui permettent à la brise et à l’humidité de passer entre leurs trous, mais protègent la plante des vents violents. Actuellement, on y trouve de vieilles vignes de Muscat d’Alexandrie, certaines datant du 19ème siècle. Les chabocos sont très curieux et montrent la fragilité du sol volcanique lorsqu’il y a des poches d’air en dessous. Ces cavités sont devenues une base parfaite pour ces vignes aux tiges sèches et rugueuses.

*Rofe est le terme spécifique utilisé à Lanzarote pour désigner les cendres volcaniques. El Hierro l’appelle jable, le reste des îles picón.

Ainsi est née La Geria. Une route traverse ce beau paysage flanqué de volcans et parsemé de palmiers solitaires. De part et d’autre, sur le tronçon qui mène de San Bartolomé à Uga, on voit des hectares de vignobles cultivés en gerias.  Bon nombre des 21 bodegas appartenant à la dénomination d’origine Vinos de Lanzarote, créée en 1993, sont situées au bord de cette route, certaines d’entre elles depuis des siècles, bien qu’il existe également de nombreux autres petits domaines dans le reste de l’île. Je vous en présenterai trois, deux qui sont incontournables – Rubicón et El Grifo, et un coup de cœur, Puro Rofe.

Bodegas Rubicón El cortijo de La Geria

La bodega est construite sur l’un des plus anciens bâtiments de La Geria, datant de 1570. Aux Canaries, le « cortijo » est une ferme dédiée à l’élevage et aussi à l’agriculture, ce qu’était la Geria au XVIIe siècle, riche et prospère elle est passée entre les mains de l’archiprêtre Diego de Laguna, qui en 1698 fit construire dans la propriété l’ermitage de La Caridad. Lorsque les éruptions se sont terminées et que ses habitants sont revenus, ils ont déterré la ferme et l’ermitage qui avaient résisté aux mouvements volcaniques.  Germán López Figueras, actuel propriétaire de la cave, est tombé amoureux de ce paysage en face du parc national de Timanfaya. En 1979, il acheta quatre hectares de ce vignoble en déclin ainsi que l’ancien corps de ferme complètement en ruine pour y faire son vin. Dans les premières élaborations, il a utilisé les pressoirs traditionnels en bois, le pressoir en pierre et les cuves en ciment d’origine qui se trouvaient dans la ferme. Il a entrepris en 2009 la restauration des installations, en préservant certaines des pièces d’origine, telles que la salle des barriques, le pressoir ou la cuve. L’ancienne cave, souterraine, abrite actuellement des installations modernes, des barriques neuves pour des crianzas et des vins doux. Le domaine compte aujourd’hui environ 20 hectares . Rubicón propose actuellement une large gamme de vins sous deux marques: Rubicón et Amalia. «Rubicón » est le vin de base (rouge, blanc, rosé, mi-doux) et « Amalia »  le haut de gamme : Amalia Malvasia  seco de vignes de plus de 300 ans, les plus vieilles vignes de la Geria, Amalia Tinto,  rouge avec  huit mois en barrique; une édition limitée Amalia Tinto de Autor, un rouge signature,  issu de raisins Listán Negro, Tinta Conejera (une variété non encore enregistrée), de Tintilla et d’un peu de Syrah ». E tenfin, deux Ediciones Especiales  Rubicon Moscatel et Sweet Gold. J’en ai retenu deux: Amalia, Malvasía Seco 2018 et le Rubicón Moscatel.

DO Lanzarote Amalia Malvasía Seco 2018

Ce Blanc sec 100% Malvasía volcánica est  une sélection  des meilleures malvoisies du domaine, vendangées manuellement. Elles sont élevées en cuves inox et bois sur leurs propres lies, pour un supplément de densité et de finesse en bouche. Amalia est un blanc élégant et structuré, très intense et fruité .. surprenant! Robe jaune pâle à forte intensité aromatique avec des notes de fruits blancs et tropicaux d’ananas et des notes minérales. En bouche, il est frais, sec, équilibré, très persistant, on y retrouve la densité aromatique, beaucoup de finesse, avec une bonne acidité et une finale équilibrée. Un de ces vins avec une âme de La Geria. Sa présentation est très attrayante avec une bouteille conçue et fabriquée pour la cave. 24€

DO Lanzarote  Rubicón Moscatel
Vin doux issu de 100% de raisin Muscat d’Alexandrie, récolte manuelle et sélection des meilleurs raisins. Encore un style de muscat rare à Lanzarote, où la vendange tardive et un mutage à l’alcool sont plus fréquents. Couleur jaune paille aux reflets dorés brillants. Vif et très lumineux. Rubicón moscatel nous montre le côté le plus frais du muscat avec ses arômes caractéristiques et intenses de fleurs blanches et de fruits tropicaux de litchi, d’eau de rose, d’agrumes. En bouche il est frais, vif et persistant, avec du corps et du volume, minéral, il laisse une traînée de douceur très glissante, sans excès. Il est parfumé et fin en même temps. Excellent équilibre entre acidité et sucre, doux et gourmand à la fois. D’une grande persistance en bouche. Il faut absolument le gouter avec un fromage de chèvre de Lanzarote. Un  vin  qui a reçu plusieurs reconnaissances nationales et étrangères (médaille d’or au Concours mondial de Bruxelles, Grand Bacchus de Oro à Madrid et médaille d’argent au Berliner Wine Trophy et Vinalies Internationales de Paris, entre autres).

Bodega El Grifo, la plus ancienne des Canaries

C’est le plus ancien domaine viticole des îles Canaries et parmi les dix plus anciens d’Espagne. Au milieu d’un impressionnant paysage lunaire, dans la zone de Masdache, au sud-est de l’île où il est impossible de penser qu’une culture pousse, il y a une bodega qui produit du vin depuis 1775. El Grifo, emblème de Lanzarote et des îles Canaries, conserve des vignes du XIXème siècle qui mûrissent à flanc de coteau et sont vendangées à la main, une à une. Ses propriétaires actuels, les frères Juan José et Fermín Otamendi Rodríguez-Bethencourt, sont la cinquième génération d’une même famille à la tête de la bodega et les responsables de sa relance à partir de 1982. Leur priorité a été d’accroitre la qualité de leurs vins. Les anciennes installations ont été converties en musée, tandis que la nouvelle cave abrite des cuves en acier inoxydable et dispose d’ un contrôle rigoureux de la température, ainsi qu’une zone de vinification , d’élevage et d’effervescents (ce fut la première cave des Îles Canaries à  produire des effervescents selon la méthode champenoise). L’amélioration de la qualité de ses vins est passée par des élaborations nouvelles, par la collaboration d’une équipe pluridisciplinaire de conseillers (comme Nicolas Bernard du département vin de l’Université de Montpellier, ou l’œnologue Xavier Kamio, gourou authentique des nouveaux vins et coordinateur de la recherche I+D de la cave). Avec l’équipe technique El Grifo a défini différents paramètres pour la récolte des raisins leur traitement au chai: refroidissement des grappes avant de les traiter, analyse de la conductivité des mouts et des éventuels excès de tanins, traitement des lies, utilisation de la micro-oxygénation et protection contre l’oxygène par carbonique dans les dépôts inertes, équipement froid, etc. C’est ce qui a repositionné cette cave et lui a permis de faire figurer ses  vins blancs parmi les meilleurs notés de Lanzarote. Le succès de ce pari s’est traduit par une grande reconnaissance internationale qui, pour la seule année 2014 a permis d’obtenir 12 médailles d’or, 10 d’argent et une de bronze dans neuf des compétitions internationales les plus prestigieuses. Ils produisent entre 400 000 et 600 000 bouteilles par an.

DO Lanzarote El Grifo Malvasía Colección 2019
Blanc  sec de uva malvasía volcánica 100%, « Avec les raisins rigoureusement sélectionnés de Malvasía Volcánica du domaine et des parcelles de nos meilleurs vignerons.  Après refroidissement des grappes dans nos chambres, nous micro-oxygénons le moût pour éliminer les tanins afin d’éviter une future oxydation, et nous maintenons une turbidité prédéterminée pour la fermentation à 16 ° C, afin de renforcer son caractère floral. Une fois terminé, le vin reste sur ses lies pour conserver le fruit, valoriser sa spécificité variétale et ajouter de la complexité. »

Jaune pâle avec des reflets verdâtres, brillant et lumineux. Le caractère variétal dense et profond de la Malvasia Volcanique domine avec des arômes floraux tels que la fleur d’oranger ou le jasmin, qui évoluent vers des arômes de fruits à noyau tels que l’abricot ou la pêche. En bouche, il est frais, vif mais en même temps harmonieux, avec du volume et une large finale marquée par des notes fraiches d’agrumes et d’anis. Il est facile à boire sans être un vin facile.

DO Lanzarote El Grifo Reserva de Familia 2017

J’aurais pu vous parler  de leurs deux rouges de Listan Negro, le Tinto Colección 2019 et le Tinto Ariana 2017 pour rester dans les cépages autochtones, mais je trouve leur Reserva de Familia plus réussi et inattendu. Certes il s’agit d’un mono cépage de syrah, un raisin que l’on n’attend pas dans cette île. Sans compter qu’il s’agit de jeunes vignes de 10 ans tout au plus, plantées à titre expérimental. Pourtant, les résultats sont probants, la Syrah s’est très bien acclimatée au rofe. Bref, il ne faut pas avoir d’apriori et il faut accepter que des cépages internationaux s’implantent aux côtés des cépages indigènes, même si ça en fait hurler plus d’un. Les cépages ont toujours voyagé, c’est une réalité.

“Nous élaborons un vin de longue garde avec des raisins Syrah de notre vignoble familial. Nous récoltons mi-août, éraflage sans pressurage; La macération est réalisée dans des cuves en acier inoxydable avec un pompage continu pour favoriser l’extraction. Une fois la fermentation alcoolique terminée, il est transporté en fûts de chêne neufs de 500 litres pour ne pas marquer le vin en excès, pour subir une fermentation malolactique et mûrir pendant douze mois avant d’être mis en bouteille. Il restera en bouteille pendant un an avant d’être labellisé.”

Sa couleur est intense, sombre et vive. Au nez, des notes boisées qualitatives sont très présentes, avec des fruits noirs mûrs, de la réglisse, des épices  et des notes balsamiques. La bouche est  aimable, une  matière soyeuse envahit le palais, les tanins sont murs et bien policés, l’équilibre y est, le vin est harmonieux. Un rouge élégant qui ne laisse pas indifférent, même si on a du mal à lui donner une origine.  Un vin aux innombrables reconnaissances internationales, il est reconnu par la presse professionnelle comme l’un des grands vins rouges produits dans les îles Canaries. L’engagement de la cave envers la syrah porte ses fruits. 30,00€

Puro Rofe, mon coup de coeur!

J’ai gardé mon coup de cœur pour la fin ! J’ai découvert ces vins grâce à ma fille et à mon beau-fils : ils m’ont fait connaître un des projets les plus enthousiasmants de cette île. Il y manquait  une bodega, un ou des vignerons qui cherchent à protéger le patrimoine viticole de l’île, à favoriser l’élaboration de vins avec les cépages autochtones. L’histoire de Puro Rofe découle d’ailleurs aussi d’un coup de cœur, à l’été 2017.

Après avoir travaillé quelques années chez Niepoort au Portugal et avec Raúl Perez dans le Bierzo et en Ribeira Sacra, Carmelo Peña est retournée sur son île avec l’idée d’y faire son propre vin. Pendant ces années, son ami et distributeur de vins de Las Palmas, Rayco Fernández, avait cherché à Lanzarote un vin qui en exprime le caractère, un projet de terroir à intégrer dans son catalogue de Buena Uva.

C’est le 24 juillet de cette année-là qu’il le trouva, lors d’un coup de téléphone avec un certain Vicente Torres, un architecte d’intérieur reconverti en viticulteur. Un viticulteur engagé dans le vignoble traditionnel de «hoyo (cratère)» à Lanzarote et dans la culture biologique loin des traitements systémiques malheureusement assez répandus dans la région. Ils ont aussi trouvé le lieu idéal pour mener à bien un projet révolutionnaire: la cave Mota, de Chicho González. Le hasard fit croiser leurs chemins et celui de plusieurs autres personnes qui avaient le même rêve celui d’embouteiller le paysage des vignes de Lanzarote.

Parmi elles, il y a Ascensión Robayna, très attachée à l’agriculture durable dans l’île, avec une grande sensibilité à l’environnement naturel qui l’entoure et un engagement fort pour la remise en valeur du vignoble traditionnel. Les autres, Pedro, Olegario, Carlos et Ricardo, sont des vignerons qui cultivent leurs raisins dans un vignoble traditionnel à Hoyo, Chaboco ou Geria. Tous cherchent à maintenir et à protéger ce patrimoine  exclusif de vignobles singuliers au caractère énorme; en même temps, ils ont tout mis en œuvre pour rendre la culture rentable, pour qu’un vigneron puisse en vivre ou au moins obtenir une bonne contribution à l’économie familiale pour ne pas abandonner ce vignoble traditionnel, ou le transformer en palissant les vignes par exemple ou même en plantant des variétés étrangères présentes dans presque toutes les zones connues. C’est ce qui s’est passé ces dernières années. «Puro Rofe est presque comme une coopérative privée à laquelle nous participons tous; nous sommes vraiment une équipe. Ensuite, il y a les investisseurs du monde du vin comme Armando Guerra, que je représente, mais ils n’interviennent pas dans la prise de décision de Carmelo ou des vignerons», explique Rayco. «Nous voulons des vins qui soient le reflet fidèle du terroir de Lanzarote, d’où notre nom, Puro Rofe. Nous élaborons de manière traditionnelle dans un pressoir typique insulaire, et nous intervenons juste ce qu’il faut, on utilise le froid pour se stabiliser un peu et du soufre si on le juge nécessaire; en d’autres termes, nous utilisons la logique parce que nous ne sommes pas fous et n’aimons pas les vins sales, tous nos vins sont élaborés sans hâte et quittent la cave quand on considère qu’ils sont prêts à être appréciés. Nous avons la chance d’avoir des vignerons qui travaillent la vigne comme des jardins dans des zones telles que Masdache, La Geria, Montaña la Vieja, Tisalaya, El Grifo, Juan Bello … La bodega de Chicho Mota est notre repaire, il l’entretient comme un musée dédié à l’agriculture de Lanzarote ». Chicho a été le premier à parier sur ce projet, sans hésitation, y mettant non seulement ses installations, son temps et son dévouement absolu, c’est pourquoi il est l’un des partenaires et l’âme de Puro Rofe. Carmelo Peña et Vicente Torres en sont les œnologues.  Ils veulent mettre sur le marché des vins spéciaux, uniques. « Notre idée est de faire des vins frais et buvables qui représentent leur origine, un reflet fidèle de la terre de Lanzarote elle-même et un hommage absolu aux vignerons, qui sont derrière chaque gorgée de leurs vins.»

Puro Rofe représente « une révolution » dans l’environnement viticole de Lanzarote. Une référence pour les artisans vignerons, il leur rappelle qu’ils ne pourront pas rivaliser avec les grands bodegas  du marché, mais que leur production artisanale s’adresse à un type de public spécifique qui valorise les vins à forte identité. À l’avenir, les partenaires de Puro Rofe sont ouverts à l’intégration de plus de vignerons dans le projet tant qu’ils travaillent selon ces principes.

Pour le premier millésime 2017, une année de sécheresse extrême, ils ont élaboré un seul vin blanc, Puro Rofe blanco un assemblage de malvoisie volcanique, de diego et de listán blanco de différents endroits qui s’est vendu entièrement aux États-Unis.

Pour le millésime 2018, avec environ 8000 bouteilles la gamme s’est étendue à une demi-douzaine de références qui, en plus de ceux de La Geria, incluent des raisins (payés à 2,5 € / kg ou plus) d’autres régions de Lanzarote. Dans ce second millésime, Carmelo perçoit les différences entre les différentes exploitations: «A Masdache, avec des vignes plus anciennes, le caractère citronné et vertical est évident. La Geria est la plus aromatique et peut-être la plus reconnaissable, avec des vignes de plus de 120 ans qui apportent sagesse et structure, Montaña La Vieja est vibration, tandis qu’à Tinajo la salinité et un peu plus de gras ressortent ».

 Le résultat a été un franc succès en moins de 4 ans. Je n’ai gouté que trois vins, mais j’ai été sous le charme :

  • Puro Rofe blanco 2019

C’est, tout simplement, ce paysage et cet effort mis en bouteille; un coupage de Malvasía volcanique, Vijariego Blanco (également connu sous le nom de Diego) et Listán Blanco issus de vignobles traditionnels. Ils récoltent tôt pour maintenir l’acidité de la Malvasia et éviter un excès d’arômes exubérants. Les raisins sont foulés dans un pressoir traditionnel avant d’être pressés et fermentés spontanément avec des levures indigènes. Le vin est mis en bouteille sans filtrage ni clarification et avec un apport minimal de soufre pour résister au voyage jusqu’à sa destination. Son nez a beaucoup de personnalité qui nous fait sentir immédiatement que nous allons gouter un vin différent, c’est un nez plein de caractère : minéral, sulfureux, qui ne cache pas son origine volcanique, mais  qui offre aussi des arômes de fruits et des notes épicées. En bouche il est frais, salin, savoureux avec une acidité apportée par son caractère atlantique absolument délicieuse qui fait saliver, un vin qui vous transporte dans l’île si vous fermez les yeux. Avec ce vin, ils ont voulu mettre Lanzarote en bouteille, c’est réussi. J’ai aimé ce profil de vin tellement peu technologique, presque sauvage.

  • Rofe Tinto 2019

Ce rouge est  un 100%  listán noir de différentes parcelles. Ils l’ont récolté plus tôt que d’habitude sur l’île et ont macéré une partie en amphore avec des grappes entières, une autre partie en fût et deux autres en acier inoxydable. «Entre les différentes parcelles et les vinifications, chacun apporte sa couche», explique Vicente. C’est une réussite bien qu’à Lanzarote beaucoup de gens pensent que de bons rouges ne peuvent pas être faits avec du listán negra. « C’est vrai si vous voulez faire des vins comme ceux de Ribera del Duero », ajoute Carmelo. « Mais vous pouvez faire de bons rouges avec le sceau des Canaries, qui représente l’endroit où ils sont nés. »C’est un vin avec une belle couleur juvénile, vive qui dénote une forte acidité, au nez il a des notes de poivre noir et de pierre ponce, il  sent le fruit et le volcan. Il a une fraîcheur croquante en bouche, il est épicé avec une grande acidité et une perception alcoolique modérée. Il a un pointe saline en finale. Il  fait penser à un rouge de Ribeira Sacra, avec une touche de nerf et d’épices.

Tilama 2019  Je n’ai pas gouté non plus ce monocépage de Malvasia volcanique issu de vignobles rectangulaires avec le rofe au milieu situé près de la mer et appartenant aux frères Ricardo et Olegario Cabrera. 34,50

Viennent ensuite les vins de zones : Carmelo, s’était toujours demandé pourquoi personne n’avait eu la curiosité de faire des vins de zones et des parcellaires à Lanzarote, le défi était énorme. Il existe 3 principales zones viticoles sur Lanzarote : La Geria, Masdache avec deux sous-zones Tinajo et Masdache, Ye-Lajares : situé entre Haria et Teguise, c’est la plus petite région. Sentant les différences entre les parcelles, l’équipe a décidé d’élaborer deux blancs de parcelles d’environ 600 bouteilles chacun. Chibusque et Masdache c’est celui que j’ai gouté.

Masdache 2019 Masdache est un vin blanc en barrique élaboré à partir d’un assemblage de Listán Blanco, de  Malvasía Volcánica et de Vijariego Blanco (Diego).Il est issu de vieilles vignes situées dans le « Morro de la Virgen », appartenant à Ascensión Robayna, plantées de manière traditionnelle dans des cratères de 3 mètres de profondeur. Dans les chais, la vinification débute par un pressurage de la moitié du volume avec une fermentation spontanée et sans ajout de produits œnologiques. Le reste est macéré pendant une journée avec les raisins égrappés mais non pressés. Ensuite, il fermente en barrique et y reste 7 mois. Enfin le vin est mis en bouteille sans filtrage et sans clarification. C’est un vin blanc fascinant  aux arômes complexes de fruits blancs et aux notes épicées. En bouche, il est sauvage, intense et profond. Un vin avec une acidité vive, une minéralité très marquée et une finale délicieusement saline. Avec son profil salin et vertical et une acidité prononcée, Rayco définit Masdache comme «un trocken de Lanzarote». 34,50 €

Chibusque 2019 Cépage Diego produit dans les cratères traditionnels du vignoble de Lanzarote situé à Finca Mota, par Vicente Torres. Il est élaboré à partir de grappes entières avec un pressurage doux, pour fermenter dans des fûts ayant contenu de la manzanilla, un vin qui parait aussi unique que surprenant. Mais que je n’ai pas gouté.

Puro Rofe Masdache El Mentidero 2019 Puro Rofe Masdache El Mentidero est un vin rosé élaboré avec les variétés listán blanco, listán negro, malvasía et vijariego blanco. Mentidero est une parcelle dans la zone de Masdache. Dans celle-ci, Juan le viticulteur a vendangé en même temps le Listán blanc et la Malvasía et le Listán negro. Le vin est élaboré en plusieurs parties. D’une part, la moitié du volume est vinifiée en blanc en fûts de 228 litres et l’autre moitié comme un rouge en cuves inox. Enfin le vin reste 6 mois en cuves inox. Enfin, il est mis en bouteille non filtré et non stabilisé et reste en cave jusqu’à ce qu’il soit bien affiné. Comme le dit Rayco, « Le résultat est ce  mélange de ceps  que nous appellerons rosé pour le mettre dans une catégorie. Il est hyper sexy, cet assemblage surprenant allie la séduction du blanc avec le punch du rouge. Le tout donne une acidité spectaculaire, c’est un  vinazo ». Comme je ne l’ai pas gouté, je n’ai pas pu vérifier.  35,25 €

Les vins que j’ai pu déguster sont frais, avec une excellente acidité, un caractère atlantique marqué;  ils sont aussi surtout plein de passion et de belles histoires qui renvoient à leur paysage, des vins qui remplissent l’âme quand on découvre tout derrière eux. Je vous invite à visiter leur site: http://purorofe.es/vinedos

Laissons passer un peu de temps avant d’aller à la rencontre des vins de Tenerife et des Baléares. J’ai encore de nombreux domaines dont j’ai très envie de vous parler.

Hasta pronto,

Marie-Louise Banyols

13 réflexions sur “Trois bodegas de Lanzarote

  1. Joseph LE NIR

    Quel formidable article !
    Merci madame Banyols pour ces descriptions du vignoble de Lanzarote et de ses vins avec tant de précision.
    Nul besoin de prendre l’avion, avec vous nous y sommes sur cette île.

    Aimé par 1 personne

  2. agnesgo

    Quelle viticulture surprenante ! Planter un cep de vigne au fond d’un trou de 3 m, voilà qui n’est pas ordinaire…
    Je serais bien curieuse de goûter quelques uns de ces vins. C’est une destination viti-vinicole dépaysante ! Merci pour ce long article sur ces vignes peu connues.

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  3. Michel Smith

    Ton voyage par épisode dans ces îles se déguste ‘avé’ plaisir et délectation !
    J’attends la suite avec impatience.

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  4. Cyril

    Merci pour ces lignes passionnantes…
    Vous avez piqué notre curiosité avec ces “puro rofe” …. je suis sur l’île en ce moment et je ne sais pas vraiment où les trouver !
    leur site est under construction…

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