C’est une spécialité suisse, rare et précieuse qui, paraît-il, s’exporte un peu aux Etats-Unis et en Asie. D’abord, c’est du chasselas. Ensuite de Neuchâtel, qui n’en cultive que 150 hectares. Enfin, il est trouble, sans cette manie du «propre en ordre» que l’œnologie moderne a imposée aux vins blancs, qui se doivent d’être limpides pour ne pas dire transparents…
C’était aussi, avec ses flocons sous verre, le premier «vin de neige» !

Cette année, on a mis le paquet sur… l’emballage. Non filtré est écrit à l’envers (c’est tendance !), le collage de l’étiquette est aussi à l’envers sur la bouteille ; un présentoir, flacon cul par-dessus col, rend le label lisible. Sa spécificité, le non filtré doit l’afficher: c’est sa grande turbidité, son trouble donc, dû à des lies en suspension, qui ajoute à son charme de premier vin suisse de l’année.
Un chasselas «normal»
En principe, pas d’astuce œnologique derrière le chasselas non filtré – c’est son nom, donc —. Et ça n’a donc rien à voir avec le beaujolais nouveau… «C’est un chasselas vinifié tout-à-fait normalement, donc qu’on débourbe au préalable pour le débarrasser de ses grosses lies, mais qui garde ses fines lies parce qu’il ne subit pas de pré-filtration à la mise en bouteille», précise l’œnologue de l’Etat de Neuchâtel, Yves Dothaux.
La plupart des vignerons ne choisissent pas un raisin particulier à la vigne, parce que leur domaine n’est pas bien grand, mais une cuve en cave. «Je déguste et je prends le vin le plus frais de la cave au moment où la vinification est terminée», explique Alain Gerber, l’ambassadeur des vins de Neuchâtel pour 2023. Il écoule la moitié de son chasselas sous cette forme. Cette année (le riche millésime 2022), il a même ajouté un peu de lies congelées au préalable, pour augmenter la turbidité, sur le conseil de son œnologue. Et pour ses 5000 cols, il ne fait qu’une seule mise en bouteilles. «Pour moi, le non filtré reste ce blanc d’apéritif qu’on propose depuis plus de 40 ans à nos clients : à deux, on doit pouvoir finir la bouteille !»

Plus vite, mais plus longtemps
Ce vin blanc primesautier cultive son «paradoxe neuchâtelois»: «Le premier sur le marché est aussi le chasselas qui vieillit le mieux», rappelle Henry Grosjean, quinzième génération, qui vient de reprendre l’un des plus grands domaines neuchâtelois, le Château d’Auvernier. Grâce à un phénomène bien étudié sur le champagne, qui gagne à être laissé longtemps «sur lattes» pour favoriser «l’autolyse des lies». Celles-ci donnent le trouble du vin, puis se fondent avec le temps dans le liquide, qu’elles nourrissent d’arômes qu’une filtration rigoureuse éliminerait. Ainsi, un «vieux» chasselas non filtré peut révéler bien des surprises !
En lever de rideau de la présentation publique des vins à Neuchâtel, ce 18 janvier, j’ai fait le tour d’une trentaine de vins. Il y a (presque) autant de différences entre les vins qu’entre les domaines. Sur un millésime précoce (qui n’influence pas la sortie du vin, fixée immuablement depuis 1995 à ce troisième mercredi de janvier, pour éviter la course au premier vin hors de cave…), mais surtout chaud, le chasselas a tendance à se terminer sur une note d’amertume, révélatrice d’un stress hydrique à la vigne.
L’amer à boire
La plupart des vins n’y échappent pas. Mais cette amertume peut-être plus ou moins équilibrée, voire emballée et est même très tendance. Quel sommelier ne vante pas de «nobles amers» ?
J’ai apprécié la belle richesse aromatique du non filtré de la Cave des Lauriers, Jungo et Fehlmann, à Cressier, des orfèvres reconnus du chasselas, et de domaines plus inattendus, comme Quentin Divernois, à Cornaux et les Vouga père et fils à Cortaillod, mais aussi de l’Etat de Neuchâtel, à Auvernier, sur une dominante de mangue, au contraire de celui de la Cave des Coteaux, à Cortaillod, plus citronné, comme le sont les non filtrés des années climatiquement plus fraîches…

L’amande amère se retrouve en finale, mais en filigrane, chez Alain Gerber, à Hauterive, au Domaine Saint-Sébaste, chez Elodie Kuntzer, à Saint-Blaise, au Domaine de Chambleau, et aux Caves du Prieuré, à Cormondrèche, qui ont renoncé aux «sulfites ajoutés». Le Domaine de Montmollin, à Auvernier, plus vaste cultivé en bio de Suisse, distingue son non filtré «classique» de son «A poil !», certes non filtré, mais sans SO2 ajouté, au bon volume. Et le jeune Martin Porret, du Domaine des Cédres à Cortaillod, a incorporé 10% de chasselas macéré avec ses peaux (du «vin orange») dans le non filtré, une manière d’ajouter un peu d’ingénue complexité à la matière première initiale…
C’est la bonne nouvelle de ce début d’année: il n’y a pas une «recette» pour élaborer le non filtré, reflet de la tradition et de l’évolution de chaque domaine, que les Neuchâtelois nomment «encavage».
*«Neuch’» le diminutif de Neuchâtelois, ké!
C est un tradition , mais c est tres bon , et j ai bu meme des flacons qui avait deux ans et plus , et le vin etais toujours tres bon
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A la lecture de cette excellente chronique, quelques questions me taraudent.
1- Au moment du service, comment les Neuchâtelois arrivent-ils à retirer le bouchon avec la bouteille à l’envers?
2- Le sommelier, avant de carafer le vin, doit-il fortement agiter la bouteille pour être certain de ne perdre aucune lie?
3- Question subsidiaire, est-il vrai qu’une consommation soutenue de « non filtré » peut avoir un effet laxatif conséquent ?
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Cher Marc,
1) évidemment qu’il s’agit de retourner la bouteille juste avant le service… Comme il est préjudiciable de l’ouvrir avant de la secouer…
2) Inutile de carafer ce vin: les lies se déposeraient au fond du récipient, cela annihilerait la mise en suspension voulue!
3) Enfin, je suis pour la modération en toute chose, donc je n’ai pas de réponse sur une consommation «soutenue». A partir de combien de litres ou de dizaines de litres?
Santé!
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Merci pour cette chronique exotique pour une française! Encore un peu de curiosité :
Y a-t-il nécessité de servir les lies? On peut servir un vin non filtré assez limpide alors que l’élevage sur lies fines aura fait son effet.
Les lies augmentent-elles l’amertume?
En mettant la bouteille à l’envers, y a-t-il une référence aux bouteilles de Champagne avant le dégorgement?
Ils sont bien libres ces Suisses 😉
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Mettre en suspension les lies, pour un léger trouble, fait son effet… Sinon elles stagnent au fond du flacon quand on le stocke. Et personne n’est obligé de secouer la bouteille avant de servir! Et bien sûr, comme je l’écris, il y a une référence à l’autolyse des lies, mise en lumière en Champagne…
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Très beau souvenir d’une visite au Château d’Auvernier, et des bords du lac de Neufchâtel. Quant à la capitale du Canton, quelle beau centre-ville!
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