Un siècle de VDN en dégustation

La mardi 10 octobre à Perpignan dans le cadre de Grenaches du Monde, le Conseil Interprofessionel des Vins du Roussillon (CIVR) organisait une master class intitulée « À la découverte des Vins doux naturels, trésors du Roussillon. Vertigineuse remontée dans le temps. »

Une préparation et une animation d’Éric Aracil,
directeur adjoint et responsable du service export au CIVR.

Petit mémo des vins doux naturels (VDN) du Roussillon :
Les VDN peuvent être en monocépage ou en assemblage.
Pour les rouges et les rosés : grenache noir et carignan noir, aujourd’hui le carignan, moins de 10% de l’encépagement, est gardé pour apporter de la couleur.
Pour les blancs : grenache blanc, grenache gris, macabeu, malvoisie du Roussillon ou tourbat, muscat d’Alexandrie, muscat petits grains.

Pour l’élaboration de VDN, un maximum de sucres dans le raisin puis le mutage :
Il faut d’abord obtenir un moût titrant au moins 14,5% TAVP (Titre Alcool potentiel, soit minimum 252 g ; de sucres/L). Ensuite on ajoute l’alcool pour mutage qui peut intervenir sur le moût en phase liquide (raisin pressé) ou sur le moût en phase solide (mutage sur raisin entier avec ou sans rafle) et toujours pendant la fermentation alcoolique.
Le mutage consiste en une addition d’alcool neutre d’origine vinique à 96% vol., à raison de 5 à 10% du volume de moût (alors que cette proportion va jusqu’à 20% pour les vins de liqueur). Une partie des raisins reste non fermentée pour un TAV final de 16 à 17%.
Vous noterez que c’est très différent des Carthagènes et des mistelles, élaborées sans fermentation alcoolique, ou des vins de liqueur de Porto qui ont plus d’alcool et potentiellement plus de sucres.

Deux conduites pour l’élevage :
La voie réductrice (depuis les années 80), qui protège le VDN de l’oxygène, en cuve pleine ou en bouteille. Elle permet de garder le goût du fruit frais.
La voie oxydative (traditionnelle et ancestrale), avec un élevage minimum de 24 mois et jusqu’à plus de 20 ans (ce qu’on va voir plus bas). Stocké dans des contenants en vidange (pas totalement rempli) à l’intérieur ou à l’extérieur des chais. Dans des cuves diverses et dans le bois : foudres, demi-muids, barriques (anciennes pour transmettre « la mémoire du bois »). Parfois en bonbonnes de verre pendant 9 à 12 mois. (ça fait aussi de très belles photos !)

Les appellations : AOC/AOP
Muscat de Rivesaltes (57% des VDN)

Rivesaltes
-Grenat (pour les mutages sur marc, voie réductrice)
-Tuilé (base de rouge) ou ambré en Hors d’âge < 5 ans, Rancio (typicité aromatique)

Maury, terroir singulier, même types de VDN que Rivesaltes plus le blanc

Banyuls, autre terroir, même types que Maury, le grenat s’appelle Rimage

Banyuls Grand Cru, sélection parmi les tuilés.

Et chaque appellation a ses règles particulières.

Les VDN se consomment avant ou après le repas selon les pays, à des températures différentes, conseillées à moins de 10°C. pour les blancs et rosés et entre 12° et 14°C. pour les rouges.

Dégustation

2022

AOP Maury grenat récolte, Les vignerons de Maury
100% grenache noir sur schistes noir, vignoble de 1100 ha de garrigue. Pas d’oxydation.
Couleur violette, nez de « schiste noir », laurier sec, cerise, romarin, après aération, agrume, orange sanguine. Un bon équilibre, très fondu, pas de sensation dominante un légère acidité d’agrume.
TAV16,5%, 96g. de sucres.  25 à 30 €, bouteille spéciale de la coopérative.

2009

AOP Banyuls Grand Cru, cuvée André Magnères, Domaine Vial Magnères
Vignoble en coteau sur schiste gris du Cambrien, en terrasses face à la mer. Vielles vignes (70 ans) 100% grenache noir. Élevage oxydatif pendant 10 ans dans de vieux muids à l’intérieur des chais.
Robe cuivré, brune, terre brulée. Très aromatique, iodé, algue, sauce soja, caramel brûlé, moka, garrigue, les notes se succèdent et reviennent. Un moelleux dominant l’alcool, c’est très doux, goût pruneau, caramel brulé, épices douces.
TAV 18,9%, 112 g. de sucres. 44 €

1993

AOC Muscat de Rivesaltes, Château Les Pins, Dom Brial
50% muscat d’Alexandrie et petits grains. Hautes terrasse de galets roulés et d’argile rouge.
Pressurage direct du petits grains, début de fermentation avec macération pelliculaire de 24 h pour une partie. Pressurage, mutage en phase liquide au milieu de la FA (fermentation alcoolique), débourbage, FA à 18°C.

Couleur vieux cuivre. Très aromatique, fruit cuit, fruit confit, cédrat, mangue, cassonade… Bon équilibre, on ne sent pas l’alcool, la viscosité est fruitée, on goûte l’ananas. Final mentholé
TAV 16%, 140 g. de sucres. 60€

1986

AOC Rivesaltes ambré, cuvée Haute coutume, Vignerons catalans
Grenache blanc et grenache gris. Plaine du Roussillon entre coteaux et littoral, sols pauvres.
Couleur noisette. Très grillé chicorée, noisette, fruits secs, alcool perceptible (pas sur les précédents). Fondu en bouche, acidité de citron jeune, praliné, grillé, amertume de chicorée. Long final aromatique
TAV 15,5%, 135 g. de sucres. 40 €.

1974

AOC Rivesaltes ambré, Vignobles terrassous
Terroir des Aspres, berceau des VDN, alluvions caillouteuses et schisteuse du Quaternaire.
Couleur ambre clair qui se prélasse sur les parois du verre. Timide au début puis généreux. Premières notes rancio, boite à cigare, café, caramel, alcool et pistache, poivres.
Beaucoup de sucrosité en bouche mais aussi l’amertume légère de la camomille, citron et fruits confits.
TAV 18%, 150 g. de sucres. 66€.

1969

AOC Maury tuilé, Mas Amiel
Bouteille forme Porto. Peu de millésimes restants dans la dizaine des 60, ils se sont bien vendus. Sur schistes décomposés et marnes noirs, exposition au sud.
90% grenache noir, 5% macabeu, 5% carignan.
Élevage d’un an en bonbonne de verre à l’extérieur, suivi de 33 ans en foudres de 350hl.
Couleur acajou. nez de poivres et autres épices, tomates sèches, cuir tanné. Équilibre très fondu, à la fois, grillé marron confit, toujours épicé, umami, genévrier, une note animale. Bel équilibre entre fraicheur, acidulé et une touche tannique.
TAV 16%, 103 g. de sucres. 170€

1961

AOC Rivesaltes ambré, cuvée Héritage du temps, Domaine Singla
Terre argilo-calcaire rouge et galets. Élevage de 40 ans en vieux foudre de chêne puis affinage en dame Jeanne (bonbonne) à l’intérieur des chais.
Acidité volatile très présente, le vin ne semble pas encore fondu. Notes de châtaigne et brou de noix. Astringent en bouche, commence à fondre. Fermé et rancio.
Ça arrive. Soit il a mal vieilli, soit je suis passée à côté du vin.
140 €

1945

AOC Banyuls, L’Étoile
Sols détritiques schistes de l’ère primaire et micaschistes granités. L’image de ce qui se faisait par le passé. En vente mais en collection.
Élevage oxydatif de 30 ans en vieux foudre, 40 ans dans de vieux demi-muids, plus de 90% du volume aurait disparu.
85% grenache noir, 15% grenache gris.
Brun foncé. Nez de goudron, grillé, iodé, piment, s’ouvre doucement comme un vieil armagnac. En bouche c’est un concentré de tout, épicé, minéral. On sent l’épaisseur du vin plutôt que la viscosité.
19% vol., 160 g. sucres. 880 €

1936

AOC Rivesaltes ambré, cuvée collection, Arnaud de Villeneuve
Macabeu, grenache blanc, grenache gris.
Élevage oxydatif en partie cuve béton, foudres et barriques. Mis en bouteille le 18 avril 2014

Reflet vert dans le brun clair. Nez puissant d’épices, cardamome, noix de muscade, iode, huitre, fraicheur camphrée, pomme au four, gourmand, miel, piment… Beaucoup de sucrosité et très net, fruit confit mais pas seulement, c’est frais, c’est…jeune !
TAV 19%, 150 g. de sucres. 220 €/50 cl

1932

AOC Maury ambré, Louanges 1932, Sarl. Infiniment
Schistes et marnes noires. Grenache noir.
18 mois en cuve à l’extérieur puis en foudre jusqu’en 2018.

Une robe étonnement claire, ambre au reflet vert, le grenache noir a perdu sa couleur avec le temps.
Un peu timide à l’ouverture. Pate d’amande, cerise, noix fraiche, noisette grillée. La complexité d’un vieil Armagnac malté comme un vieux wisky. Tout en équilibre, fondant, note d’orange confite, résineux, miel, garrigue. Il faut prendre son temps pour en apprécier toute la complexité.
Plus de 400 euros le flacon.

Remarque, il vaut mieux garder la bouteille debout sinon, l’alcool peut manger le bouchon. Dégustation réalisée en bonne compagnie.

Un siècle de Vins dont certains ont signé un pacte avec Méphistophélès pour garder une jeunesse éternelle quand d’autres développent toute la complexité infinie des rancios. Une dégustation rare et appréciée en bonne compagnie.

Nadine Franjus

5 réflexions sur “Un siècle de VDN en dégustation

  1. Merci Nadine et bravo Eric. Important de rappeler la différence entre VDN, mistelle et vins de liqueur type Porto, même si pour l’Europe, je crois me rappeler que les VDN sont considérés comme un type de vin de liqueur.

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  2. Dans le règlement CE du 10/11/1993, on lit que le Porto est un vin de liqueur, de même que le Marsala, le Madère, le Moscatel de Valencia ou le Xérès. Mais aussi le Pineau des Charentes, le Macvin du Jura et le Floc de Gascogne, qui sont plutôt des mistelles au sens français.

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  3. Jean Régis Cogranne

    Ha quelle chance ! J’espère que tu nous en auras gardé quelques fonds de verres…
    Merci pour ces notes qu nous font venir l’eau à la bouche !
    R

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    1. nfranjus

      Je n’ai pas pu emporter les fonds de bouteilles, j’en suis désolée et j’espère qu’ils auront réjoui quelques palais. Je te ferai goûter des jeunes VDN, à l’occasion.

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