Une barrique à la mer, pourquoi faire ?

J’ai assisté très récemment à une très intéressante dégustation qui a permis d’explorer les effets du vieillissement partiel d’un vin sous l’eau. Quelle eau ? Le bassin d’Archachon, bras de mer (le bon terme géographique est lagune mésotidale) plus calme de l’océan Atlantique. Quel vin ? Le Château Larrivet Haut-Brion rouge 2009, un très bon Pessac-Léognan. Quelle quantité ? 55 litres dans une barrique adaptée (on appelle ces petits tonneaux des barricots, ou des quarts). Combien de temps? 6 mois après la fin de l’élevage normal de ce vin, qui était, dans ce cas, de  16 mois en barriques bordelaises dont un tiers étaient neuves. Et le tout avec un protocole de contrôle qui me semble suffisant: c’est à dire la présence deux vins témoins, dont un était le vin « normal » mis en bouteille à la fin de son élevage, et l’autre un deuxième lot de 55 litres, tiré du même vin « de base » et vieilli aussi 6 mois de plus dans un deuxième barricot, cette fois-ci dans le chai climatisé du château.

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Le chai à barrique à Larrivet Haut-Brion 

Vous me direz peut-être que tout cela n’est qu’un « coup de pub », destiné à attirer de l’attention sur ce château. Je vous répondrai ceci :

(a) et pourquoi pas ?

(b) en tout cas pas seulement, car tout ce qui fait avancer la connaissance sur les mystères du vin est à prendre, et là nous avançons en terra incognita, même si d’autres choses dans ce registre ont été tentées, volontairement ou involontairement, avec des bouteilles à l’eau. Mais je ne vous parlerai ici que de cette seule expérience car les résultats, aussi bien gustatifs qu’analytiques, contiennent leur lot de surprises, et, peut-être, des pistes à explorer plus loin.

D’abord la dégustation. On nous a présenté trois vins : en vin témoin, le Château Larrivet Haut-Brion rouge 2009, avec son élevage normal, puis le même vin ayant séjourné 6 mois de plus dans une barrique de 55 litres en bois neuf (échantillon appelé Tellus 2009), et enfin le même vin ayant aussi séjourné 6 mois de plus dans une barrique de 55 litres en bois neuf, ancré dans une gueuze dans la zone d’étiage du bassin d’Arcachon (échantillon appelé Neptune 2009).

Barriques

Les deux quarts de barrique, ou barricots, dont celle de gauche après immersion. Ils sont l’oeuvre de maîtres tonneliers de chez Radoux, partenaire de cette opération

Mes commentaires sur ces trois vins.

Vin témoin (Larrivet 2009) :

Assez arrondi et chaleureux comme souvent pour ce millésime. Signes d’évolution (robe et nez). Ferme et charpenté en bouche avec des tanins pas encore totalement assouplis. Un beau fruité conserve une part de jeunesse à ce vin qui montre aussi le caractère solaire du millésime (alcool 14,15 à l’analyse).

Tellus 2009

Robe plus jeune, m’a-t-il semblé, bien que cela ne soit contredit par les analyses d’anthocyanes. Le nez est plus puissant et concentré, mais il m’a semblé que ce n’est pas seulement du à un effet du boisage supplémentaire, car le fruité est toujours bien présent et n’a pas été écrasé par le bois. Mais il aura besoin d’un peu plus de temps en bouteille pour trouver une posture parfaitement harmonieuse. (alcool 14,2)

Neptune 2009

Ce vin semblait plus frais en général, au point même de révéler des arômes de type poivron au nez, chose qu’on ne trouve que rarement dans les 2009 bordelais, et pas du tout dans les deux vins précédents. Mais c’est par sa texture que ce vin marque sa différence intéressante pour moi. Bien que semblant plus jeune et un peu plus intense dans l’ensemble, ses tanins sont bien plus souples et le vin est plus long, terminant sur une note de fraîcheur que je n’ai pas remarquée dans les deux autres. (alcool 13,37)

Château Larrivet Haut-Brion immersion de la barrique_52

Le barricot de Neptune en cours d’immersion dans sa « gueuze » (je croyais que cela signifiait une bière Belge, mais….) 

Quelques explications de ces différences, via les analyses

En ce qui concerne le vin « Neptune », j’étais surpris de voir sur les fiches analytiques, après la dégustation, que son degré d’alcool avait baissé de 0,8 en l’espace de 6 mois. D’où l’impression de fraîcheur qu’il m’a donnée? Une partie de l’alcool serait donc partie dans le Bassin? En ce qui concerne l’assouplissement des tanins, l’explication semble être donnée par un cheminement inverse, car ce Neptune affiche la présence de 86 mg/litre de sodium, substance totalement absente des deux autres vins. Quand on sait à quel point le sel peut modifier, en le diminuant, l’impression de dureté des tanins en dégustation…..

Peut-on tirer des conclusions de cette expérience ?

D’abord que ces deux chemins  d’élevage produisent des effets différents et palpables à la dégustation. D’autres plus savants que moi (j’attends nos chers lecteurs au tournant, maintenant) pourront sans doute nous fournir des explications pour les deux phénomènes que j’ai pu pointer par la dégustation.

Quant à la perte d’alcool, qui atteint 5,5% en 6 mois (est-ce une forme d’osmose inverse ?), cette approche de l’élevage me donne des idées pour la masse croissante des vins dont les niveaux d’alcool frisent ou dépassent les 14,5%. Faut-il suggérer aux producteurs de Châteauneuf-du-Pape, par exemple, de mettre leur barriques dans le Rhône pendant un an ? Cela va créer un sacré bazaar sous le Pont d’Avignon !

Quant à la perception des tanins plus souples, je conseille de manger un peu plus salé avec vos rouges jeunes. Cela serait peut-être plus efficace que des les passer en carafe.

Dernier point intéressant que j’ai relevé des fiches analytiques : l’élevage sous l’eau constitue donc un milieu anaérobique dans lequel bactéries et autre choses indésirables, comme les brettanomyces, ne peuvent se développer. Zero pointé pour ces trucs-là dans l’échantillon Neptune, alors qu’ils étaient présents dans l’échantillon Tellus.

 

La semaine prochaine je vais vous parler d’une expérience qui a démarré cette année et qui tente, enfin, de mesurer et quantifier les effets réels de l’agriculture biodynamique sur une parcelle de vignes, comparés à une autre moitié de la même parcelle en agriculture biologique.

 

David Cobbold

18 réflexions sur “Une barrique à la mer, pourquoi faire ?

  1. georgestruc

    Intéressant, mais il serait utile de disposer des fiches analytiques ou de savoir qui peut les procurer. Une remarque : le milieu d’eau salée dans lequel a été immergé ce tonneau n’est en rien anaérobique ; l’eau de mer contient de l’oxygène dissous susceptible d’échanges avec le contenu du tonneau. Une sonde redox plongée dans une eau de mer normalement agitée donne un potentiel toujours très positif (plusieurs centaines de mV). En revanche, un milieu salin doit éliminer des microorganismes qui ne supportent pas une teneur de 35 g/litre de sel, tout simplement. Les phénomènes observés doivent être liés à la pression osmotique qui s’établit entre les deux fluides et qui favorise des échanges particuliers.
    Il ne manque plus que la résine, la poix, et autres additifs utilisés dans l’Antiquité, pour réaliser des expériences d’immersion de plus en plus complexes… qui n’apporteront que des questions et feront jaser, ce qui doit représenter le but normal de ce genre de démarche.

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  2. Bonne remarque Georges.

    Un autre aspect: il est amusant de constater que les modes d’élevage alternatifs (appelons-les ainsi), que ce soit sous la mer, au fond d’un lac, en altitude ou même demain dans l’espace, qui sait, ne sont en rien encadrés par les décrets d’appellation, alors que manifestement, ils peuvent avoir un effet important sur le produit.
    5% de carignan en trop, et vous perdez l’AOC; élevage sous la mer, aucune incidence.

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  3. Denis Boireau

    La comparaison entre vieillissement sous l’eau, tout comme la soi-disant comparaison entre biody et bio, melange tellement de parametres incontroles, voir inconnus, qu’il serait illusoire d’essayer d’en tirer des conclusions techniques ou scientifiques.
    Quid de la profondeur d’immersion? de l’etancheite du fut? de la bonde? taux de salinite du bassin d’arcachon? et un millier d’autres parametres du meme genre dont nous ne saurons jamais rien.
    Seul le resultat compte, donc merci pour les commentaites de degustation.
    Mais de grace n’en tirons pas de conclusion sur les effets du vieillissement sous-marins. Sauf sur la communication du Chateau ou il faut bien constater un effet extrement positif.

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  4. Denis Boireau

    Et excellente remarque d’Herve sur les AOC/AOP qui sont si strictes sur tant de choses mais si tolerantes sur l’elevage.
    Souvenons-nous du gars de Pommard a qui l’ODG a voulu enlever l’appellation parcequ’il avait mis en bouteille quelques jours trop tot; Ne lui aurait-on rien reproche s’il avait mis ses barriques dans la Saone?

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  5. De toutes façon, à quoi servent les appellations, in fine ? Et pourquoi doivent-ils contrôler quoi que ce soit, sauf l »origine géographique des raisins ? Là je sens que je risque de prendre quelques volées de bois vert !

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  6. Luc Charlier

    Pourquoi ne pas essayer le glutamate de sodium, plutôt que le chlorure de sodium du bassin d’Arcachon? Cela devrait plaire aux Chinois.
    Quant à David, avec qui je partage beaucoup de préférences en matière de vin et le scepticisme quant aux « légendes » qui courent à son sujet, je voudrais insister sur un de ses PREJUGES détestables : il milite pour les vins à faible degré alcoolique. Je ne discute pas du tout son DROIT à trouver ceux-ci plus harmonieux – ce n’est pas mon avis toutefois – mais il érige cette particularité en QUALITE presque indispensable. Devinez pour qui il roule! Ces foutus Anglais n’ont pas encore digéré la perte de l’Aquitaine et la place de Bordeaux, qui compte beaucoup des leurs ou de leurs descendants dans ses rangs, reste une amie de coeur.
    Attention, ce n’est pas un plaidoyer pro domo. Mes rouges perso sont certes plutôt élevés en alcool car, comme je ne pratique pas d’élevage dans le bois (par choix) et que je souhaite des tannins feutrés (par goût), je me force à vendanger à la pleine maturité phénolique, et celle-ci arrive tard, entraînant des taux de sucre élevés. A contrario, lorsque (pressurage direct) les peaux m’importent peu (blanc et rosé), mes vins sont bas en alcool,pour une question d’équilibre, pas d’hygiénisme. En effet, plus d’acidité et beaucoup moins de tannins apportent un système gustatif très différent.
    Enfin, ce n’est pas un élevage sous l’eau qui a été pratiqué, mais une saumûre! Les Bordelais traitent leur cabernet comme des picholines. Si encore ils avaient choisi des LUCques !

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    1. georgestruc

      Le professeur Razungle avait résolu la question attachée aux degrés élevés lors du premier symposium Grenache au Crestet, chez Nicole Rollet, domaine du Chêne bleu. À une question : professeur, connaissez-vous un moyen d’abaisser le degré d’alcool dans les vins sans altérer leurs autres constituants ? il répondit : oui (d’où silence dans la salle, un gars qui avait trouvé la solution suscitait un grand intérêt) ; lorsque vous servez un verre de vin, versez-en un doigt de moins et vous aurez consommé un degré de moins d’alcool que s’il avait été à un niveau normal !! Il avait mis les rieurs de son côté et a été chaleureusement applaudi.

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  7. Encore un commentaire riche en saveurs Luc ! Je suis d’accord que tes vins sont parfaitement équilibrés et je n’ai pas d’à priori contre les vins ayant des degrés supérieurs à, disons, 14%. Mais le juge de paix reste le palais et je trouve que bon nombre de vins, y compris du bordelais, paraissent bien trop chaleureux en finale. Tu vois, je ne roule pour personne ! Merlot et grenache sont souvent coupables dans ce sens. Le cabernet sauve le premier, et le carignan sauve le second, si l’un et l’autre sont mûrs et ni végétal ni animal. Il y a toujours des exceptions à tout, et heureusement.
    Enfin il est totalement vrai que nous n’avons pas digéré la perte de l’Aquitaine. Je rêve encore d’Aliénor (quelle femme !)

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  8. Quid de la marée ? Vous y avez pensé à la marée ??? Et la température de l’eau, son éventuelle variation ? Tout cela a-t-il été pris en compte ?
    Enfin, il eut été intéressant de comparer le vin immergé sous bois avec un vin immergé sous inox, ou pourquoi pas sous ciment.
    Bon après, pour le reste, vous faîtes comme vous voulez !

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  9. Luc Charlier

    Michel, du vin immergé sous inox n’aurait montré AUCUNE différence avec le même vin dans une cuve similaire, sur terre. Ce n’est même pas la peine de faire l’expérience. Ou alors peut-être eût-il fallu le consacrer? Bernadette Chirac, ou la Soubirou, ou une autre Bernadette pieuse, ça ça marche ! Tu as entendu parler de Cana-la-Gaffelière, non? Le fait d’entendre constamment la cloche sonner l’Angélus semble arrondir le vin, ce qui plaît particulièrement aux acheteurs de Smolensk, de la Bélarusse et de l’Ukraine (la « von Dnieperg connection »).

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    1. Luc Charlier

      Justement, Michel, interroge des ingénieurs (il y en a parmi vos lecteurs): une cuve en inox (étanche et de paroi suffisante pour être indéformable) ne subira pas de pression différente (à l’intérieur, s’entend). Il existera peut-être une petite différence liée à la température par contre (le poids spécifique du vin varie en fonction de celle-ci). Quand Alain Brumont (millésime 1987) stockait du vin à Barèges, dans des barriques de merrain, bien sûr que la pression atmosphérique était beaucoup plus basse là-haut qu’à Monmusson. Tes descriptions concernant les manzanillas montrent qu’il faut prendre les conditions climatiques en compte, mais c’est au travers de matériaux poreux ou semi-poreux.
      Cette histoire d’Arcachon me rappelle mon ancien métier: l’eau utilisée par les appareils de dialyse provient d’osmoseurs très performants et les « reins artificiels »eux-mêmes sont des cartouches à fibres creuses qui fonctionnent sur le principe de la semi-perméabilité. Plonge du vin dans une solution d’électrolytes (ou d’autres solutés diffusables) et tu verras des modif. apparaître, de nature physique et gustative. Pas besoin des marées, de l’attraction universelle ou de la chronique d’Akasha.

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    1. C’est vrai que s’il faut une gueuze… Comme ce truc de barriques sous la mer, sous la glace, dans un lac ou au sommet d’une montagne fascine les journalistes depuis 30 ans au moins sans intéresser les scientifiques (à moins que…), je pense qu’une cuve test de 30 litres faîte spécialement pourrait nous réserver des surprises en dégustation comparative. Mais bon, puisque vous n’en voulez pas, revenons au bois. Tenez, ça devrait intéresser les Bordelais (et autres) amateurs d’expériences… http://www.alliances-du-monde.com/fr/

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  10. Au delà du fait que le truc est rigolo et de surcroît intellectuellement intéressant, j’avoue être assez dubitatif sur les résultats analytiques donnés :
    – je conçois mal comment du sodium – et seulement du sodium – passerait dans le vin via les parois de la barrique,
    – même remarque pour la perte d’alcool qui n’est pas à la marge, c’est rien de le dire !
    En outre, sur les arômes de poivrons sur l’un et l’autre lot : sont ils corrélés à une quantification de l’IBMP sur chaque lot ? (la 3-isobutyl-2-méthoxypyrazine est la molécule classiquement associée à l’arôme de poivron vert des vins de Cabernet).

    Par ailleurs, je serai bien moins formel que vous sur : « l’élevage sous l’eau constitue donc un milieu anaérobique dans lequel bactéries et autre choses indésirables, comme les brettanomyces, ne peuvent se développer ».
    Là aussi il eut été intéressant de faire une PCR quantitative sur chaque lot homogénéisé au départ de l’essai, puis de la refaire à l’arrivée afin de juger de l’éventuelle évolution des populations dans chaque lot. Pour autant Brett est un microorganisme tellement capricieux … (il est vrai que Brettanomyces est, littéralement, le champignon du goût britannique – des bières – : ceci explique sûrement celà …).

    Pour finir : si l’enrichissement en sodium est avéré, je suis curieux de savoir comment réagiront les services officiels … (l’annexe C de la Convention internationale pour l’unification des méthodes d’analyse fixe en effet à 60 mg/l le sodium excédentaire, sur le même point, voir aussi l’annexe VI du règlement 822/87)

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