Carignan chilien

BICICLETAS  (27)

Petit à petit le Carignan fait son nid… ou le refait. Fortement planté dans le monde il y a encore quelques dizaines d’années, le cépage s’est vu déprécier, puis arracher.

Depuis quelques années…

Mis à l’index faute de qualité suffisante, le Carignan retrouve grâce aux yeux de quelques vignerons. Guère différent en cela de ses pairs, il ne supporte pas les rendements excessifs et demande une maturité suffisante pour dans la bouteille brillé d’épices et de fruits.

Ce doit être en Languedoc qu’il a dû virer sa cuti. D’une ou deux cuvées 100% éditées à tirage limité il y a encore une vingtaine d’années, ce sont aujourd’hui plus de deux-cents Carignan qui voient le jour à chaque millésime. Mais d’autres régions du monde sont sur les rangs…

La surprise

On croyait le Carignan endémique de notre pourtour méditerranéen et voilà qu’on le croise au Chili. Il y a même-là une association de 12 domaines qui se revendiquent du cépage. Ils se nomment Vignadores de Carignan (le gn à la place du ñ pour rappeler le gn du cépage) et désirent offrir à leur pays la première appellation d’origine.

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Origine et épicentre du Carignan au Chili

Le cépage apparut après le tremblement de terre qui ravagea en 1939 tout le sud du pays. On le planta principalement dans la vallée du Maule dédiée au cépage País. Sa fonction, améliorer la couleur, la texture et l’acidité les vins issus du cépage traditionnel.

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Un terroir rêvé

Le Carignan maulino (= du Maule) pousse sur un sol granitique décomposé en sable en surface et mélangé d’argile rouge, un terrain faible en matière organique mais riche de débris de quartz. Conduits en gobelet, les ceps épousent les lentes ondulations du relief. L’orientation des parcelles varient, les nordiques n’offrant que peu de répit à la chaleur et sécheresse ambiante, dénommée à juste titre « secano ». Les vins sortent bien colorés, intenses en arômes fruités, structurés et tanniques, bref, des cuvées de caractère, cela malgré la non-irrigation. L’âge des vignes jouent son rôle, elles dépassent en moyenne les 60 ans, quoique l’association autorise des ceps d’au moins 30 ans, et les vins commercialisables 2 années après la vendange. Deuxième acteur, pourvoyeur cette fois de fraîcheur, le sol granitique, roche acide elle fait baisser le pH des vins et leur confère un équilibre inattendu. L’interdiction d’emploi de produits chimiques renforce encore l’identité de ces Carignan « pacifiques ».

www.vigno.org/carignan

 

Deux cuvées disponibles par chez nous (du moins en Belgique…)

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Carignan 2010 Garage Wine & Co

Grenat noir, il évolue velouté dans le verre. Y plonger le nez, c’est s’immerger dans un océan fruité, évocation de mures écrasées, de myrtilles croquées, libération de parfums musqués d’airelles. Viennent quelques baies rouges, fraises et groseilles, compléter la corbeille. Réglisse, poivre noir et impressions de sauge offrent leur atmosphère épicée. Légèrement salin, la bouche rappelle les embruns et balance bien la richesse aromatique presque sucrée. Une fraîcheur citronnée renforce l’équilibre. Les tanins itou par leur tendre rusticité. Le côté gourmand est certes soutenu par la rondeur des 9% de Grenache assemblés.

 I am Chile

Les vignes ont plus de 80 ans.

Le vin est élevé pendant 14 mois en barriques de chêne français. http://indievintner.com/

Garage ? Parce que ce Canadien, Derek Mossman Knapp, installé au Chili a débuté son activité dans son garage avec une double philosophie familiale et bio.  

COR CARIG

Cordillera Carignan 2008 Miguel Torres Chile

Grenat pourpre aux reflets encore violacés, ce Carignan ne fait pas son âge. Le nez le confirme, les fruits rouges et noirs semblent tout frais cueillis, écrasés dans l’assiette et saupoudrés de poivre. Des traces de cacao soulignent la rondeur des baies. L’élevage se fait à peine remarquer par quelques effluves de café légèrement torréfié. La bouche ample montre d’emblée sa structure importante, architecture tannique encore bien affirmée, mais arrondie de chair fruitée, rafraîchie du jus acidulé des baies senties, accentué par le relief minéral qui comme autant de petits grains titillent la langue. La longueur se révèle riche et offre un supplément savoureux de tabac blond un rien vanillé qui macère dans une liqueur d’herbes aromatiques.

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Bodega Miguel Torres Chile

 

Les Carignan ont de 50  à 80 ans. Le vin est élevé pendant 12 mois en barriques de chêne français dont 30% de neuves et 70% de 1 vin.

VIGNO Club de Vignadores de Carignan rassemble à la fois de toutes petites entités et de plus importantes. Miguel Torres n’a pas hésité à rejoindre le club et tenter l’aventure Carignan. Ce millésime est le premier et fait depuis partie de la gamme Cordillera.

www.torreschile.com

 Copie de Cordillera Fundo 2

Chaque matin, dans la vallée du Maule, les Andes initient le rituel de l’union entre la terre et la vigne…

 

Ciao et merci Michel de m’avoir laissé pour un jour « ton » cher Carignan!

 CORDILLERA102010©MARINMT (8)

 

Marc

 

11 réflexions sur “Carignan chilien

  1. Faudrait que j’aille voir ça sur place. Les deux fois que j’ai été au Chili, j’ai eu ma dose de Cabernets, de Carménère, de Merlot, un soupçon du pinot noir, une larme de malbec, mais de Carignan, nenni.

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  2. georgestruc

    Bel article, Marc, qui donne envie d’aller déguster sur place. Connaît-on les conditions climatique de ces lieux ? En particulier la pluviosité ? Et le régime hivernal (neige…). En plus, des carignans sur granite altéré, c’est très excitant !!

    A bientôt. Je te ferai part prochainement d’un voyage dans la Bekaa, à la découverte de vignobles intéressants. Et de vinificateurs aussi.

    Georges

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    1. Et de Carignan, Georges Truc, car je sais qu’il y en a au Liban. Et même en Israël. Et aussi en Égypte.
      @Marc, merci pour cet éclairage chilien. L’association existe depuis longtemps alors que chez nous, où le Carignan est le plus répandu, une association Carignan Renaissance est en voie de création. Je te ferai parvenir un bulletin d’adhésion !

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  3. Très intéressant article, Marc, merci.
    Une petite question : on lit souvent, et tu y sacrifies aussi, qu’un sol acide fait baisser le pH du vin. Moi, je n’en crois RIEN !
    Est-ce que cela a été montré de manière évidente ?
    Même si je n’en comprends pas la raison – le vin n’est pas un ultrafiltrat du sol mais bien le résultat de processus microbiologiques et biochimiques complexes – j’accepterais de bonne grâce cette évidence si elle était statistiquement démontrée.
    Il me semble que les deux sols qui se ressemblent le plus – très perméables, se réchauffant vite, favorisant l’enracinement profond, pauvres etc …. – sont au contraire très dissemblables au niveau de leur acidité. Il s’agit des schistes quasiment purs comme chez nous dans le Fenouillèdes, ou dans le Cima Corgo, ou en Moselle, ou au Kastelberg d’Andlau d’une part, et des calcaires très peu mélangés comme par exemple à Minerve ou dans une moindre mesure à Meursault et sur le plateau de St Emilion.
    Qu’en penses-tu ?
    Attention, je ne nie pas que le pH du sol a une influence sur la plante : plus il est proche de 7, plus la nature est contente. Mais je ne vois pas comment des sols acides donneraient des vins à pH bas, et des sols plus alcalins des vins à pH plus élevés.
    Bien sûr, si c’était le cas, je m’inclinerais et demanderais qu’on m’explique pourquoi.
    Par contre, moi qui aime les vins plutôt « acides », je reconnais qu’on les rencontre souvent sur schiste … mais aussi sur les beaux calcaires. Qu’est-ce qui rend un vin « acide » ?
    En gros, c’est sa teneur en acide tartrique. Tout le reste est non pas insignifiant mais accessoire. Je parle malo faite bien sûr. Donc, un vin acide est un vin contenant beaucoup d’acide tartrique, c’est à dire concentré.
    Les oenologues purs et durs m’objecteront que c’est une simplification – faut bien qu’ils montrent qu’ils ont quelques notions de chimie, pas tant que cela d’ailleurs – mais je n’oublie que j’ai été, peu ou prou, journaliste spécialisé pendant 20 ans et que leur fonction, aux plumitifs, est de simplifier pour mieux expliquer. Donc, l’acidité volatile on s’en balance (moins de 0.6 g/l dans la majorité des cas) et la fraction non gazeuse du CO2 et du SO2, on s’en balance aussi (carbonates et sulfites fixes).
    Bref, ce qui abaisse le pH d’un vin, c’est sa concentration !

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    1. Peut-être Luc, mais s’il est vrai que je n’ai jamais vu d’études scientifiques parler d’une corrélation entre pH du sol et pH du vin, il n’y a pas que la concentration du vin qui le fait baisser, mais par exemple aussi le fait de passer en bio, nombre de vignerons me l’on affirmé.

      Marc

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  4. Denis Boireau

    @Luc, heureusement que ta conclusion « ce qui abaisse le pH d’un vin c’est sa concentration » ne concerne que les vins avec malo faite. Parceque j’ai connu des Gros Plants dont l’acidite petait l’email des dents, et on ne pouvait assurement pas attribuer ca a de la concentration!
    Note a l’attention des Bob Parker et assimiles: c’est pas parce que vous n’aimez pas l’acidite qu’il faut en degouter les autres. Moi j’adore le Gros Plant bien acide a l’ancienne.

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  5. Les remarques de Luc m’intéressent bien. Je n’ai jamais compris non plus le mécanisme réel derrière cette formule répétée comme une litote: sol acide = pH bas. Est-ce que quelqu’un peut nous expliquer la chose?

    Mais bravo à Marc d’avoir déniché ce sujet et ces perles. J’ai aussi rencontré du carignan en Californie (souvent appelé carignane), y compris en cépage unique. Au Liban, je l’ai toujours vu assemblé avec autre chose, comme chez Musar par exemple.

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  6. @ Marc : En fait, j’espérais qu’on me contredirait en apportant un papier bien fait montrant que, à conditions égales (ce qui n’est pas facile), un sol acide donne des vins à pH plus bas. En outre, pour que cela ait un sens, il faut vraiment que le pH soit plus bas (pas passer de 3,786 à 3,785 p.e., même si c’est une échelle logarithmique).
    Pour le passage en bio, Marc, il y a deux commentaires.
    1) Beaucoup voient le rendement baisser, parfois de 30 % dans les premières années. Cela va dans le sens que je propose. On peut admettre sans trop de problèmes qu’une baisse de rendement importante entraîne une concentration supérieure. C’est facile à vérifier, il suffit de déterminer l’extrait sec.
    2) Et le sceptique réapparaît : « beaucoup me l’ont confirmé » ne veut aboslument rien dire, Marc. Le témoignage humain est dépourvu de toute fiabilité, même de bonne foi.
    @Denis : oui, Denis, si tu as un ac. malique à 1,5 g/l (cela se voit fréquemment dans certains vignobles), bien sûr le pH sera bas, d’autant que le Pka de l’acide malique est bas (3,46). Il est évident qu’un acide – relativement – fort abaissera plus le pH, à acidité totale égale, qu’un acide plus faible. D’ailleurs, la fermentation malo-lactique ne fait que remplacer un acide « fort » (malique) par un acide plus faible, mais en concentration identique, (presque) sans diminution de l’acidité totale. CQFD.
    Mais attention, Denis, il ne faut pas confondre pH bas et SENSATION d’acidité. Cette dernière dépend aussi de nombreux facteurs : température, sucre résiduel, acidité volatile, degré alcoolométrique, taux de glycérol, CO2 …
    Il existe bon nombre de petits vins dilués qui ont l’air très acides, même malo faite. En fait, leur pH n’est pas si bas que cela mais les tannins sont verts, le taux d’alcool est bas, le glycérol est famélique etc ….
    J’aime ton exemple avec le Gros Plant. Sur les huîtres, ou le tourteau, ou les clams, j’adore cela. Mais essaie la même bouteille avec du turbot poché et une mousseline et tu verras la cata que c’est !
    @David : tu es un aussi indécrottable « anti-avaleur de bobards » que moi, David. Et à Musar, ils doivent bien s’amuser avec du carignan dans leur musette !

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  7. Merci de rappeler cela, Hervé. Mais en gros, cela montre, comme je l’indique, que plus on est près de pH = 7, mieux la plante se porte. Et encore, cela dépend aussi du porte-greffe et du cultivar retenu. En règle générale, les vignerons apportent ce qu’il faut de chaux pour amender les sols acides, et ce qu’il faut de terre plus ou moins acide dans le cas contraire. Mais tout ceci, même si cela peut entraîner des carences (chlorose etc ….) et notamment en ions métalliques divalents et trivalents, ne modifiera pas largement la quantité d’acide tartrique que le raisin est capable de produire. Je vous rappelle que notre végétal préféré est le meilleur élaborateur de cet acide carboxylique dans la nature. Ce sont les parties jeunes (feuilles et baies) qui le synthétisent au départ du glucose, en scindant cet hexose entre l’atome N° 4 et l’atome N° 5. Voilà pourquoi votre fille est muette, à Portici comme ailleurs.

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  8. Louis Barruol

    La baisse des ph en bio ou en bio-dynamie…. Hum. On compare quoi avec quoi et de quelle manière ? J’aimerais bien comparer des moyennes de ph dans une cave sur une décennie entière, comparées à une autre décennie en chimie.. Parce qu’en la matière, le millésime est un paramètre qui vous fait changer de planète chaque année.. Alors c’est sur, on l’entend partout et c’est un discours très plaisant à entendre mais je me demande s’il n’y pas un léger effet « perroquet » d’un domaine à l’autre.. Mon expérience de cette chose-là que j’ai tendance à regarder de près, c’est que…… je ne peux pas affirmer grand chose !
    A quand une étude bien faite permettant de valider ça ?..

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