Comment survivre à un concours de vin ?

Il y a des gens qui dénigrent, un peu trop facilement, les concours de vins, mais sans nécessairement comprendre leur utilité dans un marché de plus en plus encombré par une production qui s’élargit et se diversifie chaque année, tant au niveau des origines géographiques que par d’autres désignations. J’ai déjà évoqué ici mes sentiments sur les concours. A condition qu’il s’agisse de concours sérieusement menés, dans de bonnes conditions et avec des dégustateurs expérimentés (ce qui n’est pas toujours le cas, on le sait bien), je dirai que leur utilité tient à trois facteurs.

D’abord à guider, puis à accélérer la vente de vins médaillés dans des lieux ou le consommateur doit choisir par lui-même, ce qui constitue, malheureusement, la grande majorité de cas dans presque tous les marchés du monde. Puis, à faire connaître des vins de producteurs, régions ou pays qui ne sont pas ou peu connus. Enfin, à créer une forme d’émulation parmi des producteurs susceptibles à soumettre leurs vins à ces concours. Mais tout cela suppose évidemment une parfaite organisation, avec températures de service des vins, environnement et verrerie adaptés, règles claires de silence et d’anonymat, contrôle des résultats par une système statistique fiable, et, enfin, une charge de travail raisonnable pour les dégustateurs.

CMB

J’écris ces lignes du lieu où vient de s’achever un de ces concours, le 22ème édition du Concours Mondial de Bruxelles qui, comme son titre ne l’indique pas, ne s’est produit que deux fois à Bruxelles depuis ses débuts. L’édition 2015 a eu lieu dans la ville balnéaire italienne de Jesolo, qui se trouve sur la côte adriatique, près de Venise. Avec environ 300 dégustateurs, plus de 8000 vins à tester sur trois jours (on ne déguste que le matin et avec un maximum de 50 vins par séance, subdivisés en séries homogènes qui peuvent comporter entre 7 et 16 vins), le choix d’un lieu pose quelques problèmes aux organisateurs. Le parti-pris de ce concours est de se tenir toujours, sauf exception, dans une région viticole, ce qui limite encore les options. Il faut transporter, loger et nourrir tout ce beau monde, assurer un lieu adéquat pour les séances et le stockage, préparation et mise à température des vins, puis organiser des excursions dans les vignobles aux alentours les trois après-midis.

 testata-home-jesoloDes vacances à Jesolo ? Pas exactement ma tasse de thé

J’avoue, bien que je comprenne parfaitement les contraintes mentionnées, que Jesolo n’est pas un lieu que j’aurai choisi personnellement. Si vous ne le connaissez pas, et si vous n’aimez ni Deauville ni Palavas-les-Flots, je vous le déconseille formellement. Il y a de beaux endroits dans le Veneto, mais Jesolo n’en fait pas partie. Imaginez Palavas-les-Flots  (par exemple) x 5 ou x 6, avec une dose de Deauville pour la frime et le clinquant dans certaines parties de ce long ruban de béton triste, hôtels et appartements confondus. Des milliers de boutiques vendent des tonnes de choses inutiles, la plupart moche. La plage, longue d’une bonne dizaine de kilomètres, est l’atout principal qui attire des foules d’hommes et de femmes sardines, ainsi que le fait d’être, justement, en foule. Elle est propre mais souvent encombrée par des rangs serrés de chaises-longues et de parasols, sans parler des crottes de toutous que les italiens rechignent à ramasser. Oui, il vaut mieux mettre ses aspirations esthétiques dans un sac bien ficelé pendant son séjour, mais, après tout, on est là pour travailler pour la cause du vin, à sa modeste manière. Et un après-midi à Venise, et deux sorties dans les vignobles de Prosecco et de Soave étaient là aussi pour ceux qui voulaient ou pouvaient y participer.

Revenons à ce concours, à son modèle économique et à la question des médailles. Je ne connais pas les détails du bilan de ce concours en particulier. Il s’agit évidemment d’une entreprise qui ne peut survivre qu’en gagnant suffisamment d’argent pour payer ses salariés et les frais conséquents d’une telle organisation annuelle. Rien de répréhensible là-dedans. Les sources de revenus sont connus dans les grandes lignes : les sponsors, locaux ou internationaux, permanents ou ponctuels ; les sommes cumulées de ce qui est payé par les producteurs des échantillons soumis ; enfin la vente de médailles autocollants pour les vins ayant obtenus cette récompense. Et quand on voit de près l’organisation impliqué par cette logistique, on peut dire que la somme par échantillon n’est pas déraisonnable. Les dégustateurs ne sont pas payés au Concours Mondial de Bruxelles, et cela je le regrette. Très peu de concours semblent être assez bien dotés pour rémunérer les professionnels qui y dégustent. Les grands concours anglais, Decanter ou IWSC, font partie de ceux-là. Les montants versés ne sont pas énormes (de l’ordre de 100 ou 150 d’euros par jour je crois), mais cette somme symbolique me semble une forme de justice pour le travail rendu, car il est ardu de rester concentré et de tenter d’être juste dans ses jugements pendant 4 heures par jour. Et on donne largement 4 jours de son temps pour y participer, déplacements compris.

Les concours reconnus internationalement n’ont pas le droit d’attribuer des médailles à plus d’un tiers des échantillons soumis. Ensuite, les bons concours doivent œuvrer toute l’année pour tenter de contrôler les vins mis en marché avec leurs médailles affichés afin de s’assurer qu’il s’agit bien de la même cuvée. Ce n’est pas si évident quand on connait la dispersion géographique des marchés. Pour revenir à mon cas personnel et à ce concours en particulier, je constate que j’étais, sur les trois jours, un peu plus généreux que cela en attribuant des notes qui pouvaient, prises seules, donner des médailles à 36% des 150 vins dégustés. Mais il n’y a aucune chance que le résultat final pour ces séries de vins coïncide avec mes jugements personnels. D’abord parce que je faisais partie d’un jury de 6 membres et que j’ignore quelles étaient leurs notations, sauf de temps en temps pour voir à quel point nous étions d’accord (ou pas) sur un vin. Puis parce que l’organisation prévoit des contrôles, à la fois par analyse statistique sur des notations parfois aberrantes (une fatigue momentanée arrive à tous), et aussi en présentant, parfois, la même série de vins à deux jurés différents sans que ceux-ci ne soient au courant. Il faut rajouter que la composition de chaque jury est pensé afin d’assurer une bonne diversité des origines, comme des métiers des dégustateurs. Dans le mien, on comptait une française (journaliste/formatrice), un brésilien (oenologue), un italien (oenologue), une bulgare (acheteuse), un suédois (journaliste) et votre serviteur (britannique). Cette diversité peut causer des visions différentes sur certains types de vins, mais je pense que c’est aussi une source de contrôle des excès de jugements personnels.

Quels sont les vins que mon jury a dû juger ? Parmi les provenances, cette année figuraient le Chili (sauvignon blanc), la vallée du Rhône, la Champagne, la Rioja, le Chianti, le Veneto,  la Sicile (grillo) et Rueda (verdejo). On ne sait jamais l’origine (ni cépage, ni région/appellation, ni pays) des séries dégustés : juste le type (blanc sec, rouge sec, effervescent, etc. Evidemment les bouteilles sont masquées et identifié par des numéros de série qui doivent être vérifié par le responsable de chaque table, qui doit également contrôler que l’échantillon n’est pas bouchonné. J’avais cette charge cette année, comme depuis trois ans. J’ai tenu des statistiques sur la proportion de vins bouchonnés ou altérés par un bouchon ne remplissant pas sa fonction (oxydation prématurée d’un flacon), cette année, et le chiffre frise 3%, un peu plus si je soustrais les vins fermés par une capsule à vis du total. Pour le TCA du au bouchon seul mon chiffre est de 1,7%. C’est toujours inacceptable selon moi. Je signale qu’Amorim est un des sponsors de ce concours.

Comment étaient les vins? Forcément très variables, comme dans n’importe presque quelle série. Il est bon de rappeler qu’une médaille d’argent doit, dans son esprit, correspondre à un vin libre de défauts, bien équilibré et agréable, tandis qu’un vin ne mérite une médaille d’or que s’il possède, en plus, finesse et une bonne intensité d’expression. Le catégorie suprême est celle de « Grand Gold » qui doit être réservée à des vins considérés comme exceptionnels. Je n’ai accordé ce niveau qu’à 2 vins sur les trois jours (sur un ensemble de 150 vins).

plovdiv-bulgarije-maartPlovdiv, en Bulgarie, sera le siège de la prochaine édition du CMB. Ouf !

Alors comment survivre dans tout cela ? J’avais du mal me première année à m’adapter aux grilles de notation que je trouvais trop rigides and limitants, étant habitué à étendre ma prose descriptive mais certainement trop personnelle et inapplicable dans une telle situation. Mais je m’y suis fait et, pour finir, je trouve que c’est assez bien fait. Cela permet bien de relativiser un vin par rapport à un autre du même type. Et la dernière ligne de notation, dotée d’un coefficient élevé, autorise l’injection d’une appréciation plus individuelle quant à la qualité globale du vin. Notre jury avait des écarts de notation que je peux qualifier de sains (entre 80 et 87/100 par exemple) sur un même vin lorsque j’en ai effectué des contrôles. Mais rien n’indique que ce fut toujours le cas et je suis contre une volonté de faire converger les avis de toute façon. Cela tombe bien, car cela ne fait pas partie des consignes de ce concours. On survit en faisant simplement le travail demandé. C’est fatigant par moment, bien entendu. Mais il y a un bel état d’esprit, en tout cas dans les groupes que j’ai eu à conduire. Et on peut aussi éviter les longues sorties en car ou des promenades à Palavas-les-Flots et lire un bon livre dans sa chambre ou travailler à d’autres projets si on le veut les après-midi et soirs. Puis j’ai trouvé un bar à vins agréable aussi.

Enfin nous venons d’apprendre que l’édition 2016 de ce concours aura lieu dans la ville bulgare de Plovdiv, une vrai ville historique avec une architecture plein d’intérêt, entouré de montagnes et, je l’espère, de vignobles. L’espoir et l’anticipation fait vivre. La vie n’est pas si compliquée pour finir.

 David 

 

4 réflexions sur “Comment survivre à un concours de vin ?

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  2. Comment survivre à un concours de vin ? C’est une vraie question, M. Cobbold.
    Elle se pose prioritairement aux vignerons, qui dépensent des sommes conséquentes – 150€ pour inscrire un vin aux LIGERS – pour faire participer leurs vins à des évènements de plus en plus coûteux, dont la multiplication réduit dramatiquement l’impact.
    Si un concours est boudé par les vignerons, il s’effondre; je pense que ces derniers devraient avoir conscience de leur pouvoir collectif pour mettre un peu d’ordre dans l’environnement des concours et demander à baisser leur coût d’accès.
    Et puis, qui empêcherait un organisateur d’inverser les rôles en acceptant gratuitement les bouteilles à déguster et en demandant une contribution aux dégustateurs ? Étre dégustateur est une expérience inoubliable qui a une vraie valeur !

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  3. La vie n’est pas si compliquée, comme tu le dis, mais certains concours, comme tu le dis aussi, prennent la chose par dessus la jambe. D’autres poussent chaque table à une forme de compromission, que tu déplores aussi. D’autres sont justement trop compliqués pour moi. Pour finir, les concours n’ont d’intérêt que s’il y a une contrepartie : l’occasion de visiter une ville intéressante avec un hôtel de luxe comme port d’attache. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, je suis partant ! Mais je ne garantie nullement ma qualité de juré et je me fiche de la médaille d’or ! 😉 Même si je sais que ça fait vendre…

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    1. Monsieur Raffard, je ne sais pas si vos remarques sont sérieuses ou pas. Investir 150 euros pour aider à vendre mieux son vin ne me semble pas une grosse somme. Si vous êtes vigneron, combien vous coûte un voyage de prospection ? Ou la participation à un salon ? Ensuite tous les concours ne se valent pas, c’est certain. Celui auquel je participe est des très bons et personne n’y pousse un dégustateur à une compromission quelconque. Quant à votre idée de faire payer les dégustateurs pour leur travail, elle est très étonnante. Voulez-vous me donner une somme chaque fois que je vous prends une bouteille de vin ? Déjà faire ce travail sans être payé est un peu limite je trouve. Vous n’aurez que quelques dégustateurs riches et retraités, pas nécessairement très compétents non plus !

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