On voudrait nous faire croire que le Chenin est un grand cépage !

Il me fait penser à ces acteurs qui sont capables de jouer n’importe quel rôle au lieu de se cantonner à l’excellence de la tragédie ou du drame psychologique.
Le Chenin, c’est pareil, il accepte tout, comme l’a souligné David, ici, ce lundi. Il veut exceller en moelleux, en liquoreux, nous faire croire qu’en se parant de bulles il nous communiquera son esprit fêtard. J’en ai même connu un qui avait pris le voile et se croyait spirituel, quelle pitié!
Heureusement, la troupe des chenins émigrés qui abondent en Afrique du Sud a compris depuis longtemps où était sa place, celles des grandes sagas qui se distillent chaque semaine pour le grand bonheur des aficionados de séries à grand rendement bien menées, comme Derrick ou Dallas. Ou encore les soaps colorés d’artifices qui expriment avec délice le jeu des saveurs fruitées aux accents de pamplemousse qui ne cache pas ses thiols. Quelques Ligériens l’ont compris et en proposent, on s’en félicite!

Alors arrêtons avec le style soi-disant sec qui, certains l’affirment, correspondrait à la typicité du décor! Prenons les Anjou du Sieur Baudoin, c’est du gratiné ! Avec le même Chenin, il lui suffit de changer de théâtre pour d’un coup nous livrer des interprétations différentes, on croit rêver.

Chenin_blanc_grapes         La tronche de l’acteur

Ainsi, Effusion, un Anjou blanc 2014

Le nom doit plaire aux lectrices fleur bleue…
Mais que le titre. Jaune pâle un peu mièvre, plus qu’à une intrigue amoureuse, il ressemble à une recette de cuisine. Une de celles qui se veut gourmande, avec des fruits blancs et jaunes qui se rafraîchissent d’écorces de citron puis tente d’enchanter le naïf avec le vieux truc proustien des tisanes qui rappellent celles de leurs grands-mères. Les ficelles sont grosses, mais paraît que ça plaît, on se demande à qui ?

L’auteur confie dans l’intro que 2014 était un bon millésime, alors que le précédent avait fait peur, une peur du végétal augmenté par la tension, ça aurait pu le faire, le style angoisse dans la jungle. D’autant plus qu’il paraît que le Chenin supporte sans broncher les climats tropicaux.

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Suit Le Cornillard 2013

À l’intitulé tout aussi tentant, évoquant à coup sûr le vaudeville, une histoire de cocu et de corbillard. Et bien non, nous voilà partis dans un guide touristique qui nous fait part des impressions solaires du concepteur, le grillé des foins qui sèchent au soleil, la maturité des fruits, la chaleur fraîche (je sais, c’est curieux) du minéral – comme les vapeurs qui tourbillonnent dans les rayons de l’astre après une pluie d’orage. Faut reconnaître qu’il y a là une certaine poésie.

Les Saulaies 2011

N’est pas un roman social qui parle d’une bande de vieux SDF ivrognes qui ont trouvé refuge dans un bois de saules. C’est un grimoire plein de potions à base de plantes. Du fenouil au raifort aromatisés de cumin et de cardamome pour les emplâtres à appliquer avec du miel d’acacias et puis pour se ragaillardir quelques recettes de gelées de coin et de groseille à la mélisse à étendre en onguent. Le citron s’emploie ici comme un agent stabilisant.

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Enfin, Les Gâts 2012

On lit de loin l’étiquette et tout de go on s’emballe en chantonnant « Debout les gars, réveillez-vous, il va falloir y mettre un coup ». On s’est toujours demandé: un coup à quoi? Ici, c’est à la pâte pour ce recueil de pâtisserie, la tarte au citron en tête. Suivi d’une flopée de préparations faussement douces, ce sont les purées de panais et les jus de fruits qui donnent l’impression du sucre, mais c’est écrit, il n’y a pas de sucre. Sauf tout à la fin, quand on glace l’agrume au chocolat blanc.

IMG_0989Patrick Baudouin

Et pour parler sucre, c’est quoi cette disparité totale qui mélange tout? On nous propose par exemple de l’Anjou blanc ou du Savennières ou encore du Vouvray (qui n’est pas du Chenin, mais du Vouvray, on nous prend vraiment pour des cons !) comme vin de repas.

On s’attend à déguster un verre de blanc sec et certes, si le premier, malo non faite sur des raisins juste mûrs l’est, c’est vif, voire très vif, le suivant, de meilleure maturité emballe la vivacité, nos dents en sont reconnaissantes; suit un vin malo faite avec un peu de sucre résiduel et un semblant d’oxydation, encore un autre avec plus de sucre, et ainsi de suite. Le gars du fond, avec son sourire énervant, nous affirme que c’est légal et qu’on a droit à huit grammes maxi. Un autre, derrière nous rabâche que c’est la typicité du Chenin. Déjà qu’on avait du mal avec les changements de terroirs qui initient des structures et des grains différents…
Pas étonnant qu’avec tout ça, le Chenin, ça prend pas. C’est trop compliqué, un véritable arlequin ce bâtard de cépage qui s’adapte à toutes les situations et qui – comble de tout- ne supporte pas les rendements un peu hauts. Qu’ils imitent donc le Sauvignon, c’est bon et simple, asperge ou buis, point, pas de casse-tête, on est toujours content, ça nous rassure (quoiqu’il y ait quelques Sauvignon non variétaux sur le marché, mais ces conneries-là, c’est pour ceux qui se la pètent).
En conclusion, je reprendrai la pertinente phrase de Jean François Broctois, un inconnu qui gagne à l’être : « Chenin, passe ton chemin ! »

Ciao

Loire Anjou blanc 2015 010

Marco

18 réflexions sur “On voudrait nous faire croire que le Chenin est un grand cépage !

  1. Ouh la la, Marc, j’espère que tout le monde va saisir ton second degré!
    Un article où l’on écrit le contraire de ce qu’on pense, à l’heure des Ch’tis à Mykonos (où serait-ce les à Nuls à Dékonos?), c’est risqué.

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    1. Je sais Hervé, mais il me semble que c’est suffisamment gros pour que l’on comprenne rapidement que j’adore le Chenin et que ce texte écrit à contre-pied n’est qu’une façon de mettre en évidence ses qualités.
      Marco

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  2. Monsieur,

    Président du cercle des amateurs de vin de Chassey-les-Oiseaux, en marge des étangs de la Berne, Compagnon de la Libération et régulièrement de passage à Cajarc, je ne peux que m’insurger contre la manière frivole dont vous traitez le chenin.
    Votre plume, certes alerte, ne fait aucun cas de la sueur des vignerons capables d’ajouter tantôt une bonne levure bien lyophilisée favorisant la palette armomatique, tantôt des tonnes de sucre, ou encore à même de cryo-extraire la quintessence de ces baies encore bien vertes.
    Vous mentionnez à peine la possibilité de faire rouler des galets pour réussir une prise de mousse comparable à celle des plus grands génies champenois, les boues de ville en moins.
    Il est inadmissible, alors que le « club des 5 » possède en son saint (sic) de bons Français pure souche, que ce soit à un quelconque Belgien qu’on ait laissé le soin d’écrire le panégyrique du « gentil pineau », fleur de notre territoire ligérien si souvent dominé par l’Anglois.
    Après les divagations d’un triste Britannique lundi, et après le texte dans une langue incompréhensible mardi, nous avions eu une accalmie avec l’interrogation justifiée du chanoine Hervé, un migrant heureusement arrivé sain et sauf dans le joli royaume des Saalfeld, et ensuite les judicieux conseils de dégustation de M. Smith. Bien que je n’apprécie pas les israélites – avec un nom pareil, il ne peut qu’être de cette confession – ses chapeaux bien de chez nous, rappelant le bon temps de l’A.O.F, me le rendent éminemment sympathique, de même que son absence de peyots.

    Je résilie sur l’heure mon abonnement à WordPress et vous prie de me restituer le montant de ma cotisation.

    Signé : Léon Ducon

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    1. Merci Monsieur pour votre réponse franche et sans détour, je comprends votre émoi quoique je le trouvasse injustifié. J’espère toutefois vous voir renoncer à nous quitter, car votre éclairage (im)pertinent venu souvent éclairer d’une autre lumière l’obscurité de certains de nos propos (ouf), nous est cher. Ce serait une perte sans lendemain, peut-être le début d’un obscurantisme qui déjà lattant guette nos rubriques. Restez, je vous en prie.
      Marx

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  3. Denis Boireau

    Ca deconne dur ce matin sur le blog des 5. J’ai bien rigole, et du coup j’ai reussi a gober le style etrange de Marc.
    Le chenin, comme le riesling, benefierait certainement de la communication sur les taux de sucre, au moins sur la contre-etiquette.

    Un petit point de culture pour Luc: le territoire ligerien fut tres peu domine par l’Anglois, a la difference de l’Aquitaine et de la Charente.

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  4. Je suis séduite. Je me pâme devant ce Marc(x) grand défenseur du chenin et de l’humour (belge).
    J’avoue mon péché mignon pour le Savennières bien sec et un peu oxydé par plus dix ans d’âge.
    Merci pour ce bel hommage au chenin.

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  5. Denis, je te le concède de bonne grâce mais c’était pour le bon déroulement de mon commentaire. Licence romanesque accordée aux auteurs de fiction historique. Je suis heureux que ce soit un ingénieur qui insiste sur cette petite « schoonheidsfout » (= flaw en anglais) de ma part. En échange, tu conviendras que le Guerre de Cent Ans a vu de nombreuses batailles se dérouler autour de ce long fleuve (Meung-sur-Loire, Beaugency, Orléans) , surtout si on n’oublie pas qu’il prend sa source au mont Jerbier des Joncs et coule ensuite sur plein d’autres zones, moins plantées de chenin, ça, je le concède. Ta petite compatriote de Domrémy ne buvait sans doute que de l’eau bénite, mais les soudards de sa suite se torchaient bel et bien au bon jus pineautier, à une portée de long-bow (je ne parle pas du cidre, ça, c’est Strongbow) des hommes d’Henry V. Et c’est à Chinon, je crois, qu’elle rencontre Charles VII. Avant cela, mais tu n’étais pas né et je te pardonne, les Plantâgenet dominaient bel et bien l’Anjou, même si c’est la bataille de … La-Roche-aux-Moines qui met fin à cet état de faits. Cela ne s’invente pas!
    Je connais mal l’histoire de France, qui n’est pas mon pays, sauf quand elle a trait au vin (Toul, Chinon, Savennières, les Ducs du Bourgogne, Crécy et sa poudre …).

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  6. Tu as raison, à force d’avaler du Petit Jervais le matin, mon cerveau a fini par se ramollir. En même temps, c’est la faute au français: vous donnez des prononciations variables à toutes les lettres de l’alphabet. J’ai découvert l’origine de la Loire grâce à Modestine, l’ânesse de Robert Louis Stevenson, et mon souvenir était imprécis. Par contre, grâce aux livres d’histoire belges qui racontaient les exploits de ce grand humaniste que fut Stanley (!!!!!), je sais que les sources du Nil (« blanc » bien sûr) se situent au Lac … Fictoria!

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  7. Marco, tu as failli donner des malaises à d’honnêtes gens qui ont pris cela au premier degré…Je n’avais pas encore lu ton papier que des connaissances affolées m’ont appelé : « tu as lu ce que Vanhellemont a écrit sur le chenin ? et il démolit Baudouin, en plus ». Bref, nous étions au stade du scandale médiatique, de la révolution sordide, des coups bas, de l’inadmissible…
    Bel exercice, bravo ; un peu risqué pour les non avertis des côtés facétieux qui font partie de ta personnalité.
    Au fait, tu t’es régalé mais nous avons eu finalement que peu de commentaires. Il est vrai que le sujet était sérieux. Maître Hervé se charge-t-il de cela ?
    Dégusté hier un vin des Fiefs vendéens, chenin oblige, très appréciable.

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    1. C’est toujours le danger du contre-pied, mais les ficelles étaient suffisamment grosses pour que même les aficionados des Ch’ti à Mykonos comprennent, quoique… Et Patrick Baudoin a apprécié d’après le mail qu’il m’a envoyé, il trouve même que le texte va dans le sens de la prise de conscience qui se fait autour du cépage.
      Marco

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  8. Ping : Chenin de traverses | Les 5 du Vin

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