Quand un Rioja blanc se prend la Tête de Moine

Une rencontre Helvético-Hispanique pour nous sortir des routines, des habitudes et des réflexes conditionnés. Pour accompagner, un fromage de vache suisse, un Rioja blanc, ça c’est gratiné !

Commençons par l’Hidalgo

 Viura Reserva 2009 Rioja Alavesa Casado Morales

La robe dorée cuivrée donne une première indication sur ce qui va suivre. Le nez ne s’y trompe pas, le vin élevé en barrique affiche une connotation oxydative. Certes légère, mais suffisante pour le typé dans le monde minéral à fruits secs. Fleurs sèches, noix verte, amande, un rien de curcuma, une complexité nasale de bon augure. La bouche confirme. Sur un lit de cailloux le fruité comme le floral s’étale dynamisé par une fraîche importante au goût de citron. Les épices viennent en second-rôle, graines de coriandre, cardamome, relevés d’un rien d’anis. Enfin, le gras modère tout transport trop intense, laissant, comme dans une gaine délicate, tous les arômes se développer inexorablement.

Vinification, un risque calculé

Cette Reserva assemble 90% de Viura (=Macabeo) à 10% de Malvasia. Les vignes âgées de plus de 80 ans poussent à une altitude de 575 m. La parcelle pentue s’oriente au sud et se compose d’argiles sableuses mélangées d’éboulis calcaires. La vendange se fait manuellement. La fermentation se fait en cuves inox, la malo en barriques, comme l’élevage qui demande 18 mois en pièces neuves de chêne français. Une dernière maturation s’effectue en bouteilles pendant 22 mois avant la mise en marché. Un Rioja assez rare par sa couleur, les blancs représentent moins de 10% du total produit dans la DOC. Le Viura en est le cépage principal. Et rare par son élevage bien maîtrisé. Le Viura ou Macabeo s’oxyde facilement, l’élever en barrique est choix parfois périlleux. La surface de contact avec l’air est bien plus importante dans ce petit contenant qu’en cuve. Ici, les lies protègent le vin et ménage l’oxydation pour nous offrir un produit fini qualitatif, au goût particulier qui nous rappelle certaines cuvées jurassiennes dites typées. Assortiment d’arômes qui se marie sans l’ombre d’une hésitation au Vacherin Mont d’Or.

La Casa Morales, fondée en 1925, se situe à La Puebla de Labarca à l’ouest de Logroño à limite entre La Rioja et la Pays Basque.

www.casadomorales.es

Le Fromage de Bellelay 

 Ce n’est autre que la Tête de Moine, fromages suisses des plus connus.

Bellelay est le nom du monastère qui l’a vu naître.

L’avènement

Fondé par Sigenand, prévôt de Moutier, en 1136, l’abbaye se consacra rapidement à la fabrication du fromage. Mais la première mention remonte à un courrier du 16es dans lequel l’abbé signale la livraison de dryssig belleley kess, soit 30 fromages de Bellelay, au prince-évêque de Bâle. La première description du fromage de Bellelay apparaît en 1628. Mais ce n’est qu’en 1790 qu’on parle de Tête de Moine…

Débaptisé pour quelles raisons ?

Deux versions existent : un surnom datant de la période révolutionnaire, assimilant le haut du fromage raclé à une tonsure. Ou le stockage coutumier du monastère qui faisait état d’une quantité définie de fromage par tête de moine et qui par extension devint le nom du produit.

Le fromage

La Tête de Moine est un fromage à pâte mi-dure à croûte lavée fabriqué à partir de lait cru de vache. C’est un montagnard, produit en altitude de 700 à 1100 mètres dans les districts des Franches-Montagnes, Moutier, Porrentruy et Courtelary dans le Jura suisse. Cette région au sol calcaire et au climat rude voit sa végétation démarrer à printemps bien avancé. Mais dès la floraison, les pâturages offrent une grande diversité de fleurs et d’herbes qui assurent la complexité aromatique de la Tête de Moine.

Fabrication

Le lait ensemencé est transformé dans des cuves en cuivre. Le caillé chauffé à une température de 44° à 53°C est ensuite décuvé et placé en forme pour y être pressé. Les meules obtenues passent au saloir où elles plongent dans un bain de saumure pour y rester pendant 12 h. Puis, elles rejoignent la salle d’affinage où elles sont disposées sur des planchettes d’épicéa. Pour provoquer l’apparition de la morge, elles sont lavées régulièrement avec à l’eau salée ou non et contenant des bactéries Brevibacterium linens. Tout cela dans une ambiance humide, 90% d’humidité relative, à une T° de13° à 14°C. Chaque meule doit être affinée un minimum de 75 jours dans l’aire de production. Il existe deux qualités différentes dues à la durée d’affinage, la Tête de Moine classique qui peut être mise en vente après 3 mois d’affinage et la Tête de Moine Réserve qui ne peut sortir d’affinage qu’après 4 mois minimum.

Mensurations

Le Fromage de Bellelay se présente sous la forme d’une meule cylindrique, à la croûte ferme, emmorgée, grainée, humide et saine, c à d sans moisissure. De couleur brun rouge, elle est haute de 70 à 100% tout au plus du diamètre qui mesure de 10 à 15 cm. Son poids varie de 0,7 à 2 kg et sa pâte présente de rares ouvertures de 1 à 8 mm, parfois de petites lainures isolées.

 

Tête de Moine classique

Texture onctueuse aux grains de caillé perceptibles qui donnent une impression finement granulée.

Odeur très torréfiée aux évocations de lait à la chicorée, de poil de vache, de fruits secs aux parfums de noisette et de pistache grillée mélangés d’abricot et de pâte de coing.

Goût certes salé, mais un sel qui se perd dans la texture moelleuse, dans cette impression gourmande de fruits confits et tapés, pour resurgir quelques instants plus tard à la façon d’un embrun « alpestre ».

Elle se coiffe d’une étiquette circulaire jaune et rouge.

 

Tête de Moine réserve

Texture ferme presque croquante au grain de caillé fin et fondu dans la masse du fromage.

Une odeur où le champignon des bois domine dans un premier temps, puis viennent les notes minérales et florales qui apportent beaucoup d’élégance.

Le goût est tout d’abord discret, il faut laisser la rosette se dissoudre lentement pour en apprécier pleinement les saveurs à peine salée où se perçoivent la noix, la noisette et la pistache, l’écorce d’orange, la gelée de mirabelle et le cacao.

Elle s’entoure d’un papier aluminium doré.

Précautions d’usage…

La Tête de Moine est un fromage qui se racle sans être un fromage à raclette. Pour en apprécier toutes les saveurs, il faut raboter la surface décalottée supérieur. Mais obtenir une rosette fine et savoureuse à l’aide d’un couteau est hasardeux, mais comme en Suisse on prévoit tout, la firme Metafil SA inventa en 1983 la Girolle®, un socle, un axe, un rabot circulaire, le tour était joué et depuis, vu le succès, bien imité.

4.1.1

Aujourd’hui, on ne dit d’ailleurs plus, faite-moi quelques rosettes de Tête de Moine au crémier, mais pourrais-je avoir quelques girolles de Tête de Moine, certes par assimilation à la forme du champignon qui fait saliver. Alors que Rosette, évoque le saucisson dont le boyau nous offre parfois d’amusantes terminaisons…

La rencontre hispanosuisse (à ne pas confondre avec une automobile)

Rioja blanc et Tête de Moine

La note oxydative du vin neutralise avec maestria l’élan salé du fromage, ce qui permet ensuite de laisser libre au développement des superbes amertumes de torréfaction qui se traduisent par une note intense de réglisse et installent d’entrée une fraîcheur extrême. Cette dernière entraîne un décapage rapide de la matrice dense du fromage, le moine a de la bedaine, et donne du tonus à la fusion. Cette nervosité fait gambader l’animal qui sommeillait au creux de la pâte. Fleurs et fruits du vin font la ronde sur le ventre de l’ecclésiastique devenu cristallin. Se tressent alors en une natte délicate l’iode, l’amande, le poivre, le marc, les noix, … cela ne s’arrête pas ! Le frère en rajeunit, comme le vin. L’un retrouve la fraîcheur de sa crème, le vin le croquant du fruit.

FRO_24

 

Ciao

 

JBT 16

 

Marco

 

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