Chez Wolfberger, ce sont les femmes qui font et vendent le vin…

Enfin, quand on dit que ce sont elles qui font et vendent le vin, nous parlons de deux secteurs indispensables à toute entreprise viticole, l’œnologie et le marketing.

Jolène Hunter est export manager, tandis qu’Émilie Lejour vinifie les vins tranquilles et Déborah Ruffing les effervescents. Des places de choix qui montrent que la coopérative ne pratique pas le plafond de verre.

Wolfberger, c’est l’une des premières coopératives vinicoles créée en 1902 qui, bien implantée depuis le début de son histoire dans son territoire, s’est hissée aujourd’hui à la première place des marques du vignoble alsacien. 

Un décor changeant

Rappelons qu’en 1902 l’Alsace était allemande, qu’elle l’est redevenue sous le troisième Reich et qu’elle a connu un premier boum dans les années 70 quand la ‘planète vin’ découvre les richesses du terroir alsacien. La marque s’est d’ailleurs créée en 1976, histoire de rendre sa gamme plus lisible. Viennent les grands crus et les Vendanges tardives, une dizaine d’années plus tard, puis encore les Crémants, pour laquelle crée une nouvelle unité au look futuriste, en 1991. 

Wolfberger continue depuis ses investissements, consciente que c’est l’un des facteurs importants pour garantir une qualité toujours au top. Les variations climatiques, l’environnement, l’impact écologique, ne lui ont pas échappé non plus. La cave accompagne par exemple les viticulteurs qui désirent passer en bio. Pour elle, « face aux préoccupations environnementales grandissantes de la société, le secteur du vin doit mettre en place de nouvelles mesures et développer des méthodes de viticulture inédites pour tendre, chaque jour davantage, vers une production encore plus responsable et durable ».

Alors surgirent Jolène, Émilie et Déborah…

Jolène Hunter, originaire d’Afrique du Sud, étudie la viticulture à l’Université de Stellenbosch jusqu’en 2007, puis vient en France, où elle décroche un diplôme en Viticulture, Œnologie et Marketing à l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers en 2010.

Émilie, tombée bébé dans le vin à Fixin, commence par un BTSA Viti Oeno à Rouffach en 2002, poursuit par une Licence des Sciences de la Vigne à l’IUVV de Dijon en 2003 et termine par un DNO à Montpellier Pharma en 2005.

Quant à Déborah, native de la Moselle voisine, elle fait un Master Vins et Champagne à Reims en 2009, qu’elle complète par un diplôme national d’Œnologie, également à Reims, en 2011.

Le passage

Bardées de diplômes, les voilà toutes les trois aux commandes. Mais comment s’est passé la transition avec la vie active entreprise?

Jolène a d’abord été directrice export chez Zind Humbrecht. « Je suis donc passée d’un domaine familial à une coopérative de 360 familles, avec chacune son savoir-faire, son point de vue sur l’export et une très grande diversité de terroirs, cela a été un défi, certes, mais cela s’est bien déroulé ».

Même dépaysement pour Émilie, quoi que d’un autre ordre:  « Je venais de Bandol après un stage dans une coopérative. La recherche, les innovations m’ont tout de suite séduite, comme la grande variété de terroirs alsaciens, à l’image de ma Bourgogne natale; ce qui nous permet de répondre aux désidératas des clients ».

Déborah, elle, n’a pas dû aller bien loin comme elle est Mosellane: « J’ai entamé mes études scientifiques à Strasbourg, suivies d’une spécialisation spécifique à Reims, avant de partir en Australie. J’ai obtenu mon premier emploi à mon retour en France, chez Wolfberger, en août 2011. J’avais postulé pour les vendanges, pour acquérir de l’expérience, j’ai eu un cdd de 3 mois, mais on avait besoin d’aide pour la partie vinicole. Du coup, je suis entrée au service dédié à tous les suivis viticoles ». Technicienne pendant 6 ans, Déborah a trouvé ses marques et s’est bien intégrée aux salariés de la coop, ce qui lui a permis, en 2017, de passer sans souci à la partie vinification des effervescents.

L’accueil

Il n’est pas toujours facile de changer de région ou de pays, d’entreprise.

Mais Émilie trouve les Alsaciens plutôt accueillants: « J’ai été très vite acceptée à des postes à responsabilité, tout d’abord au Laboratoire Œnofrance, puis chez  Wolfberger. Quant aux viticulteurs, cela ne les dérange pas de discuter technique avec des femmes; l’Alsace compte d’ailleurs beaucoup de domaines dirigés par des femmes.

« Je crois que pour notre génération, c’est plus simple, il y a trente ans, c’était différent, aujourd’hui on est traité pareil, en commerce ou en œnologie, il n’y a plus de problème. Et même, parfois quelques avantages auprès des acheteurs GD qui se montrent peut-être moins agressifs quand ils côtoient une femme », affirme Jolène. « On forme une grande équipe assurent les deux ».

Pour Déborah, « En tant que femme, on doit montrer un peu plus, sur la partie viticole, la confiance s’est malgré tout installée rapidement et puis, avec la nouvelle génération plus ouverte d’esprit, cela s’est fait plus simplement et a permis l’établissement d’une confiance sur la partie œnologique ».

Et Wolfberger dans tout ça?

Jolène est enthousiaste: « Wolfberger est la cave la plus dynamique en Alsace. Et ce dynamisme, c’est à la fois en cave, dans les vignes, au niveau des innovations, … La réputation des coops était différente il y a trente ans, pas très sexy, à l’époque, aujourd’hui ça change comme dans d’autres secteurs comme le maraîchage par exemple. Wolfberger construit une nouvelle cave à Colmar, elle continue à investir dans les technologies les plus récentes, propose des conseils précis pour diminuer les doses sanitaires. On est une grande entreprise, tout en conservant un côté très  humain »

Sa dimension permet aussi la la cave d’avoir de quoi investir, en prenant notamment en compte les défis environnementaux. « On suit ce que l’adhérent à fait à la vigne, en respectant leur choix, ce qui est raisonné dans le vignoble doit être raisonné à la cave. On fait aussi des sélections de famille, mises en avant comme des domaines. Notre but, c’est l’amélioration qualitative de chaque adhérent », nous dit Émilie.

Pour Déborah, « Il faut garder les identités et s’adapter tant aux impacts environnementaux qu’aux tendances comme le nature et le bio ».  Depuis les années 80, déjà, Wolfberger est attentive au sulfite, tentant d’en diminuer l’ajout au maximum. Cela se concrétise encore plus avec la sortie du Crémant Expression sans dosage, ni sulfite ajouté.

Les projets

Projets et recherches ne manquent pas ! Bientôt un Crémant rosé bio et la sortie de la cuvée 45 en magnum. Et puis, il y a tout le travail sur les sélections parcellaires avec une vinification différentes selon les profils, les assemblages et la liqueur d’expédition spécifique pour chaque Crémant, l’une à base de sucre de canne, l’autre de MCR (moût concentré rectifié). Ce dernier donne des vins plus fruités, la canne des vins plus droits, plus salins. Déborah travaille aussi sur l’obturation des bouteilles, leur étanchéité ou encore sur le remuage, les procès de vinification, la gestion des gaz dissouts, la stabilisation, le tout pour améliorer les techniques et la qualité des produits. « Je n’ai pas le temps de m’ennuyer! »

L’exportation est un secteur de premier plan pour Wolfberger, et à écouter Jolène, il y a encore un grand potentiel: « Notre ambition sur les 5 années qui viennent est de passer de 30 à 35% voire à 45% d’exportation. 

Les vins de Wolfberger n’apparaissent-ils que sur les gondoles des grandes surfaces?  Non, nous répond Emilie: « Nous avons deux lignes de produits. La première, sous notre étiquette jaune, est conçue pour la GD, endroit où il n’y a personne qui peut expliquer le vin. La seconde est conçue pour les cavistes qui peuvent répondre aux questions de leurs clients sur le millésime, les cépages, le type de cuvées, … Par exemple, la gamme Signature, dégustée par un panel de restaurateurs, sommeliers, cavistes, journalistes, pour déterminer le cépage de l’année. A noter que les vins de cette gamme sont généralement plus secs que ceux destinés à la GD. Mais je pense aussi à La Louve, une gamme sortie en 2009, très novatrice pour l’époque mais qui demande encore une explication à cause de son élevage en barriques qui reste encore inhabituel, surtout pour des cépages comme le Sylvaner, le Pinot blanc et le Pinot gris. Car c’est mieux accepté pour les rouges de Pinot noir ».

Pas de regrets

Pas pour Jolène: « Je pensais rentrer en Afrique du Sud mais je suis tombée amoureuse de l’Alsace. C’est une région dynamique, je travaille avec de très grands terroirs, je rénove une ancienne maison alsacienne, je crois être presque adoptée par l’Alsace ».

Et quand le Riesling Signature est médaillé d’or aux Vinalies 2020 et reconnu comme meilleur vin de l’année en Alsace, cela met du baume au cœur d’Emilie, la vinificatrice!

Déborah aussi a trouvé sa place. « C’est ma première entreprise et je ne me vois pas changer, je m’épanouis et j’ai le sentiment de faire ce qui me plaît et d’arrivée heureuse au travail. On est entreprise importante, on se connaît tous, la dimension reste familiale, c’est une coopérative qui aujourd’hui a les épaules pour entretenir tout ça. Je l’efforce bien sûr de garder un bon équilibre avec ma vie de famille. »

Les femmes ont-elles une approche ou une sensibilité différente du vin?

Émilie le pense. Elle a constaté un ressenti différent, une plus grande sensibilité à beaucoup de molécules aromatiques, plus de finesse, plus d’exigence pendant la vinification, « Et puis, j’ai envie de faire des vins qui se consomment bien à table, sinon, c’est pas la peine ! »

« Le caractère du vinificateur se retrouve dans le vin », ajoute Jolène.

Idem pour Deborah: « Je suis sensible à la partie olfactive du métier, cela enclenche des souvenirs, un ressenti peut-être différent, ce qui amplifie mes sensations quand je déguste, je prends plus de plaisir, mais aussi quand je vinifie, du coup je me dis que c’est vers ça que je veux tendre, le désir d’une plus grande intensité dans les vins ». 

Demain samedi, la suite liquide, quelques jolis vins que m’avait envoyé le trio après cette longue interview que j’avais fait pour Le Wine Gazette www.lewine.be/fr/le-wine-gazette/ 

Ciao

Marco

3 réflexions sur “Chez Wolfberger, ce sont les femmes qui font et vendent le vin…

  1. Nadine Franjus

    Joli sujet bien traité. Il est probable que mon « côté femme » m’a poussée à lire en détail et jusqu’au bout cette chronique-portrait-féministe.
    Permettez-moi d’ajouter une remarque. En effet les femmes n’ont pas de difficulté particulière pour exercer leur métier à la vigne ou en cave. Si on leur donne la possibilité, elles prouvent très vite qu’elles ont les compétences nécessaires. La difficulté peut se trouver au moment de l’embauche. Il y a encore des idées préconçues qui privilégient les hommes pour les métiers de la terre (et pas seulement dans ce secteur). J’entends encore parfois cette réflexion qui montre le fossé qu’il reste à franchir : « toi, c’est pas pareil ». Il ya une vingtaine d’années c’était plus franchement « pour une femme tu sais…. » ou encore « toi, t’es presque un homme ». Il fallait prendre ces réflexions comme un compliment. C’est La femme qui est éventuellement écartée de certaines responsabilités mais quand elle devient une personne que l’on côtoie, avec qui on échange, elle perd cette image genrée et symbolique. Il reste quand même un écart significatif dans la rémunération des unes et des autres. Et encore bien peu de femmes sont au pouvoir.

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    1. Michel+Smith

      Il s’agit moins de pouvoir que de courage, à mes yeux. Dans le monde du vin, j’ai connu beaucoup de dames de tous âges et de tous horizons et, plus j’y pense, plus je m’aperçois qu’à bien des égards, ce sont elles qui ont fait bouger les choses ces trente ou quarante dernières années. Leur courage, mais aussi leur détermination, a souvent poussé les hommes à aller de l’avant dans un univers ambigu où ce furent ces messieurs qui récoltèrent les honneurs et les louanges. Ceci est valable dans bien des métiers, mais surtout dans le monde du vin de moins en moins masculin. On ne peut que s’en réjouir.

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  2. Ping : Pour compléter les interviews d’hier: 9 cuvées signées Wolfberger – Les 5 du Vin

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