Au moins, nos enfants sauront !

En ce moment, j’entends dire, je lis et je vois quantité de reproches et de textes furibards suite à l’inqualifiable déclaration du Directeur de l’ANPAA, rapportée lors d’un entretien au Wine Spectator, article que je vous livre ici dans sa version d’origine et non traduite, sous la signature de Suzanne Mustacich. Yes ! Il faut travailler son Anglais. Tout comme le sieur Pousson sur son blog, passablement irrité, notre Hervé national s’est fendu d’un texte beaucoup plus court, ironique et frappé au coin du bon sens comme à son habitude, dans son propre blog il y a quelques jours en y dénonçant le plus justement du monde ce climat hystérico-dictatorial-hygiéniste qui règne en France, surtout dans la sphère du vin.

J’avoue que j’en perds mon Latin en même temps que mon Grec, mon Provençal et mon Catalan aussi. Dire que je suis abasourdi serait un euphémisme. Que ce débat m’ennui et qu’il me laisse coi serait loin de la vérité. Je n’ai pas étudié le Droit, mais nous faire croire que Patrick Elineau, le Directeur de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie serait en mesure de nous interdire la parole du vin relève de la plus pure élucubration car, quand bien même le type aurait les moyens de menacer nos libertés fondamentales en faisant caviarder dans les blogs et autres réseaux sociaux nos débordements vineux, je pense qu’il n’arriverait pas à ses fins. On joue à se faire peur, comme des enfants dans une cour de récré. Dans ce cas, que répondre face à la connerie humaine ? Que faire ? Quels arguments publier ? Que dire de mon côté pour apporter une pierre à ce concert de critiques auquel j’adhère bien entendu plus que j’en ai l’air ? Rester coi dans mon coin, comme je le dis un peu plus haut ? Oui, j’émets des doutes sur la réelle efficacité et la portée de ces protestations tous azimuts. Pousser des cris d’orfraies, monter au créneau, foutre le bordel, franchement, à quoi cela sert-il ?

Pourtant, il m’est venu une idée juste avant de m’enfoncer dans mon sommeil l’autre soir. La meilleure initiative ne serait-elle pas de faire appel à nos enfants ? Non pour aller manifester devant les fenêtres de l’organisme financé par nos impôts, ce serait irresponsable et trop facile. Qui sait, nos chers chérubins pourraient être agressés en chemin par des pédophiles et sollicités par des trafiquants de drogue. Ils pourraient aussi être lacrimo-gazés par nos chers CRS qui pourtant n’ont plus envie de se faire traiter de SS. Non, il y a plus simple, plus efficace : l’éducation in situ. En les menant le plus souvent possible dans nos vignes, par exemple. En leur faisant expliquer la taille par un ami vigneron. En leur faisant sniffer le vin que l’on sert à la table et en leur demandant d’y trouver des effluves familières. En leur offrant le spectacle joyeux de la vendange à la main et de la grillade qui suit où une ribambelle de mômes s’égosillent tandis que les parents discutent sur les qualités de tel ou tel millésime. Les enfants, eux, ils adorent ça cueillir le raisin, fureter dans les vignes à la recherche des coccinelles, goûter les grains juteux et sucrés. Tout cela en attendant peut-être l’âge mûr où leurs parents leur feront goûter de plein gré un dé à coudre de Chinon, de Morgon ou de Mâcon. Et jusque dans les grandes villes où il y a encore tant de clos à visiter et des passionnés pour cultiver cette liane antique fondatrice de notre société.

Joseph et Amandine Parcé élèvent leurs enfants dans le vin. Normal, ils sont vignerons ! Photo©MichelSmith
Joseph et Amandine Parcé élèvent leurs enfants dans le vin… Normal, ils sont vignerons ! Photo©MichelSmith

Alors, par pure curiosité (malsaine ?), je me suis amusé à consulter ma bible électronique, mon cher Google, en y inscrivant ces quatre mots en guise de thèmes de recherche : « Les vendanges des enfants ». Résultat, plus de 9.000 articles émanant surtout de la PQR (presse quotidienne régionale), la plupart du temps. Midi Libre, Sud Ouest, La Dépêche, L’Est Républicain, La Charente Libre, Le Bien Public, n’en jetez plus ! Même L’Express, Le Journal du Jura, Le Petit Bleu du Lot-et-Garonne et L’Observateur de Beauvais s’y sont mis. Chez moi, dans l’Indépendant, ces temps-ci les enfants des écoles sont dans les vignes, le plus souvent conduits par leurs professeurs (responsables), accompagnés par des parents (responsables) et des vignerons (responsables) dont certains éditent des cuvées spéciales ornées de dessins d’enfants et destinées aux parents qui ne manqueront pas, comme le firent les miens, jadis, d’en faire goûter quelques goutes au moment du débouchage le Dimanche matin avant d’attaquer le gigot.

« Tiens, mon poussin, trempe ton doigt dans ce Chambertin et passe moi ton verre de grenadine que j’en fasse autant ! » Cela vous choque ? Ou préférez-vous les laisser boire du Coca Cola ? Pour ma part, il n’y a pas de lézard : ce sont nos enfants qui assureront la continuité du vin. Alors, aidons-les !

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Maintenant, si je me place ne serait-ce que le temps d’un mini paragraphe du côté des abstinents et des intégristes hygiénistes, j’ai un peu honte car j’ai bien l’impression que c’est chez moi, à Banyuls-sur-Mer, à deux pas de mes vignes d’alors, du temps où j’étais un buveur illégal, que tout a commencé. C’était un sombre jour d’Octobre de 1998 quand Monique Sapéras, la dynamique institutrice du village, elle même fille de vigneron, eut l’idée d’organiser « la vendange des enfants » le jour de la Fête des Vendanges dans un lopin de vignes cédées par la mairie. Quelle honte ! Un vrai scandale par les temps qui courent. Même la télé nationale, aux mains bien sûr des gauchistes, s’était déplacée, comme en témoignent ces images où l’on voit quelques papys tenter de soudoyer la jeunesse du pays. Quelle bande de pédophiles ! Et alcolos de surcroît !

Retour à la réalité, de Lombez à Roquelaure, d’Agen à Banyuls-sur-Mer, de Montoire-sur-le-Loir à Marseille, de Montfort-en-Chalosse à Avize, de Marsannay-la-Côte à Pamproux, de Lons-le-Saunier à Pommard, de Decazeville à Lédignan et dans toutes les régions où la vigne s’est faite insidieusement une place depuis des siècles, voire des millénaires, les enfants ont été de la fête du vin cette année. Comble de la provocation et de l’horreur, il arrive que nombre de nos chers chérubins viennent des classes maternelles pour cueillir du raisin et côtoyer les pinardiers ! Vous rendez-vous compte ? Mais, que fait la police,  je vous le demande ? Et pendant ce temps-là, que font nos braves hygiénistes pour dénoncer haut et fort de telles pratiques indignes de notre pays qui mettent en danger la santé de nos enfants ? Car quand bien même on leur fait boire du jus de raisin bio à ces mioches dont on abuse, intoxiqués qu’ils sont ils ne manqueront jamais de revenir à coup sûr dans les caves dès qu’ils auront un peu de poil au menton !

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes parents boivent et les enfants trinquent, quelle honte ! Photo©MichelSmith

Tenez, à Paris aussi, où l’on fêtait la quatre vingtième édition de la fête des vendanges, à Montmartre pour être plus précis, en cet autre repaire de gredins soudards, on s’y met ! Regardez cette vidéo propagandiste (honteuse ?) où en compagnie des édiles parisiens et du chanteur Henri Dès (*) ce sont les enfants qui ouvrent la séance sous la pluie par de belles chansons d’amour, le tout suivi d’un bal popu. Mon dieu quelle horreur !

Alors, vous allez me dire qu’utiliser les enfants pour faire passer un message politique c’est scandaleux ! Peut-être, sauf qu’il ne s’agit pas de politique, mais d’une simple défense de notre civilisation, un fait sociétal, un rappel historique à nos origines. En effet, que deviendront nos enfants plus tard s’ils perdent l’habitude de boire un verre de vin (ou de bière, ou de cidre) de temps en temps, entre amis, histoire de célébrer un événement ou simplement pour le besoin de se réchauffer afin de mieux supporter les aléas de la vie, de mieux échanger, de mieux rire aussi… sur la connerie humaine, par exemple. Oui, que deviendront nos enfants si on les prive du vin ?

Michel Smith (Dangereux propagandiste, avec d’autres, du plaisir de boire en société)

  • (*) Comme un fait exprès, le dernier titre d’Henri Dès s’intitule « Casse pieds ». Il semble particulièrement destiné à ce cher directeur de l’ANPAAPatrick Elineau, qui me casse aussi les couilles. Paraît que les enfants adorent. Pour ceux qui n’auraient pu se brancher sur le lien conduisant au site du Wine Spectator mentionné au début de l’article, voici l’essentiel de ses propos scandaleux concernant la publicité du vin sur Internet et les discussions sur le vin en ligne (blogs et gazouillis inclus) :

« Speaking about the difficulty of policing the Internet, Elineau cited the Chinese government’s censorship of dissidents and Australia’s censorship of pornography and pedophilia as examples of ways the French could shut down discussion of wine in mediums such as Twitter and blogs. « When you see what happens with pro-Nazi websites, you see that there are ways of reacting ».

Et puisqu’en matière de vin, pour Mr Elineau, «le fin du fin c’est de ne jamais y toucher» (voir au centre de cette chronique de Jacques Berthomeau), rappelons lui cet élément de la propagande nazi : « Notre Führer, Adolf Hitler, ne boit aucun alcool et ne fume pas… Sa performance au travail est incroyable ! » (Auf der Wacht, 1937 : 18).

8 réflexions sur “Au moins, nos enfants sauront !

  1. vincentpousson

    Non, David, on ne joue pas à se faire peur. La frustration des prohibitionnistes français est grande après la sortie du dernier Plan gouvernemental et sa vraie/fausse erreur de copier-coller; pour s’en persuader, il suffit de lire le communiqué publié par l’ANPAA.
    Il y a les menaces sur Internet, certes, mais l’instauration d’un « message sanitaire », d’un avertissement sur les étiquettes est un de leurs autres phantasmes (au sens sexuel, je pense). Quand on parle de tout cela aujourd’hui, les optimistes disent: « ce n’est pas possible! », « ça ne se fera jamais! » Pour mémoire, voici ce qu’ils disaient au début des années 2000 quand on parlait d’afficher un panneau interdit aux femmes enceintes sur les bouteilles, on connait la suite…
    http://www.leparisien.fr/societe/non-au-sens-interdit-sur-les-bouteilles-19-03-2005-2005793509.php

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  2. Vincent, c’est à Michel que tu devais de t’adresser, mais je suis assez d »accord avec lui sur la totale impraticabilité d’une interdiction de communiquer autour du vin sur l’internet dans ce pays. Cela dit, il vaut mieux être prévenue des intentions de ce lobby qui semble avoir une étrange puissance de nuire.
    A propos d’optimisme, il faudra peut-être s’armer de ce diction : un pessimiste n’est jamais qu’in optimiste réaliste.

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  3. @Michel. Il faudrait aussi mentionner, parmi les vendangeurs enfantins de ce pays, l’excellente initiative d’Yves Legrand, qui fait vendanger et presser le fruit de ses pieds de vigne (chardonnay et pinot gris) au Chemin des Vignes, à Issy-les-Moulineaux, chaque année par une classé de CM1 ou CM2. Et les enfants dessinent les étiquettes des 125 bouteilles qui en résultent, plus tard. J’ai assisté à ses vendanges (une de mes petites-filles était dans une classe concernée) l’année dernière et c’était bien joyeux.

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  4. alain

    Il semble que la tendance imposée générale soit à la perte de nos repères, de nos identités, de nos valeurs, de tout notre acquis de nos anciens, de nos souvenirs d’enfance, pour que la population soit bien formatée.
    Il faut bien garder nos us et coutumes qui nous identifient d’une région à l’autre, et en temps qu’individu.
    Sinon, tout fout le camp. Nos politiques veulent que tout repère d’identité disparaisse, les français vont se retrouver avec un fonctionnement individualiste et se feront manger par d’autres qui nous arrivent bien organisés.
    Dans peu de temps l’identité des régions françaises ne sera qu’un triste souvenir…

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    1. pierre sauvage

      exact alain.
      Et c’est le but de l’Europe : d’accélérer et d’étendre l’uniformisation à l’ensemble du continent pour que l’individu ne soit plus qu’un gentil consommateur dans un monde de multinationales, d’anglicisation, d’uniformisation intellectuelle …

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