Carnuntum : des Romains aux vins rouges actuels

Carnuntum

 

Carnuntum était le nom d’une cité romaine de taille considérable (50.000 habitants, tout de même !), située sur le fleuve Danube, à l’Est de la ville moderne de Vienne. Mais c’est aussi, d’une manière plus actuelle, celui d’une région d’Autriche qui a donné son nom à un petit Districtus Austria Controllatus (on voit bien que les Romains sont toujours là !). Cette désignation DAC est un équivalent autrichien d’une AOC. Il en existe neuf à ce jour dans le pays.

Le DAC Carnuntum  concerne des vins rouges et blancs produits essentiellement sur quelques zones spécifiques de coteau et de pieds de coteau sur le monts et collines Leitha, Hainburg et Arbresthal. Cette zone est bordée par le Danube au nord et la Slovaquie à l’est. Le grand lac de Neusiedl se trouve assez proche au sud, ce qui renforce l’influence modératrice des masses d’eau sur cette partie de la plaine de Pannonie, aussi chaude en été que froide en hiver.

vignoble Carnuntum

 

Le DAC Carnuntum ne recouvre qu’un peu plus de 900 hectares, c’est à dire environ la taille de Pomerol. Il n’y a pas de quoi effrayer les marchés de masse, mais cela n’est pas l’ambition de ses producteurs, comme j’ai pu le constater récemment lors d’une dégustation tenue dans un des beaux bâtiments restaurés de la cité romaine. Cette dégustation ne concernait que des vins rouges, issus essentiellement de deux des cépages locaux, le Zweigelt et le Blaufränkisch. Les vins de Carnuntum peuvent être de mono-cépage ou d’assemblage, et inclure aussi une proportion de cabernet sauvignon et de merlot.

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une villa romaine restaurée dans le parc archéologique de Carnuntum

Les vins les plus accessibles, dans tous les sens du terme, portaient la mention « Rubin Carnuntum ». Ce nom appartient à une association de 25 producteurs qui, depuis 1992, imposent leur propre cahier de charges pour les vins qui portent cette mention : cépage zweigelt à 100%, alcool minimum de 12,5%, et une dégustation d’agrément. Six de ces vins étaient présentés, et les meilleurs venaient de Gerhard Markowitsch, de Jahner et d’Ott. Le vin d’Oppelmayer, n’était pas mal non plus, mais présentait un peu trop d’acidité volatile à mon goût.

Ces vins se trouvent en Autriche à des prix généralement en dessous de 10 euros, parfois un peu plus (ceux d’Ott et d’Oppelmayer). Leur style est élégant et élancé, sans trop d’extraction et avec un beau dialogue entre fruité épicé et tanins fins.

zweigelt Grappes de Zweigelt

Le Zwiegelt s’exprime aussi à Carnuntum à travers une série de vins plus ambitieux, dont les prix peuvent grimper au delà de 20 euros. Dans une série de 13 vins dégustés, j’ai beaucoup aimé les vins suivants :

Grassi, Carnuntum Zweigelt Schuttenberg 2013 : d’une grande élégance, avec une qualité de fruité exceptionnelle due à une pré-macération à froid et un pigeage bien dosé.

Jahner, Carnuntum Zweigelt Steinäcker 2012 : belle qualité de fruit, structure ferme et très bonne longueur

et aussi celui-ci, malgré ma sensation (encore une fois pour ce producteur) d’acidité volatile un peu présent : Oppelmayer, Carnuntum Zweigelt Haidacker Selektion 2012.

Blaufrankisch-LembergerGrappes de Blaufränkisch

La dernière série fut constitué de 11 vins issus du cépage Blaufränkisch, appelé souvent Lemberger en Allemagne. Cette série contenait pas mal de vins sur-extraits pour moi, même si je dois dire que ce phénomène de mode est en nette baisse depuis ma dernière dégustation des vins de Carnuntum, il y a 8 ans (je crois). Voici mes préférés :

Lukas Markowitsch, Carnuntum Blaufränkisch Spitzerberg 2013

Ott, Carnuntum Blaufränkisch Klassik 2013 (ce vin coût moins de 10 euros !)

Martin & Hans Netzl, Carnuntum Blaufränkisch Spitzerberg 2012. Un vin superbe dont le prix dépasse les 20 euros.

Böheim, Carnuntum Blaufränkisch Reserve 2012. Encore meilleur et moins cher (entre 10 et 20 euros)

puis deux très grands vins du duo (ex-couple) Muhr-van der Niepoort. J’ai adoré ces deux vins vibrants, frais, et dont le style m’a fait penser à une sorte d’alliance entre le Rhône Septentrional et la Bourgogne. Ma préférence (légère) va vers le 2011. Ce coup de coeur énorme était suivie d’une déception aussi énorme quand j’ai dégusté, plus tard, le Grüner Veltliner du même producteur, totalement imbuvable et dont j’ai parlé la semaine dernière

Muhr-van der Niepoort, Carnuntum Blaufränkish Spitzerberg 2011 et 2010. Prix certainement au-dessus de 30 euros, mais cela les vaut probablement.

Le lecteur attentif notera que le lieu-dit Spitzerberg apparaît quatre fois parmi mes six vins préférés dans cette série. Ce n’est sûrement pas un hasard. Cet ancien vignoble, largement abandonné, est en train d’être redécouvert. J’en ai discuté avec Dorli Muhr qui croit beaucoup en l’avenir de cet endroit qui a encore du potentiel de plantation. je pense que nous en entendrons parler.

En dernier lieu j’ai dégusté une série de 6 vins qui utilisent des assemblages, y compris avec des variété bordelaises. Ces cuvées, désignés « top cuvées » dans le catalogue, m’ont semblé souvent trop extraites. Celles de Grassi et de Gerhard Markowitsch étaient mes préférées. Il est intéressant de constater à quel point le style précis d’un vin vient du producteur, et non de l’appellation, ni du cépage. Jahner, Grassi, G. Markowitsch, et Muhr-van der Niepoort marquent des points dans ce domaine pour la relative finesse de leurs styles et leur constance.

Carnuntum est ressuscité, mais sans les Romains.

 

David Cobbold

 

 

 

14 réflexions sur “Carnuntum : des Romains aux vins rouges actuels

  1. Luc Charlier

    David, tu sais que Dirk (vdN) est un ami, ce qui limite un peu l’objectivité de mon propos. Il a, en dehors de qualités humaines énormes (générosité et tolérance), une faculté fantastique à PREVOIR ce qu’un raisin va donner et à IMAGINER le résultat d’un assemblage. Il s’est associé des dizaines de fois à d’autres, pour élaborer leur vin, avec leurs raisins, mais sa petite touche à lui. Et cela a chaque fois « marché ». On disait de Rolf, son père, qu’il était le meilleur « nez » de tout l’univers du porto. Or, la famille ne possédait aucune vigne à l’époque. Peut-être ce « pedigree » est-il à la base de son talent?
    Ensuite, rappelons que le Zweigelt est un pur produit de l’école de Klosterneuburg, où on a « simplement » croisé le St Laurent et le Blaufränkisch. Donc, l’assemblage des deux revient un peu au même que l’association entre un pinot noir et du « pinotage ». Amusant. Comparaison n’est pas raison.

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  2. Pour mémoire

    Muhr réflexions (ou les charmes du Spitzerberg)

    Et pour revenir à l’effet terroir. Il y a sans doute un terroir Spitzerberg (voir plusieurs en fonction de la hauteur sur la pente et de l’exposition). Par contre, le reste de Carnuntum est très différent, et en termes de sols et en termes de relief, ce qui fait qu’on se prend à souhaiter que les Autrichiens, qui sont généralement des gens précis, fassent du Spitzerberg une DAC à part entière.

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  3. T’as pas dégusté les vins de notre copine Birgit Wiederstein, mais je ne me rappelle plus si elle fait du Rubin.
    D’accord avec toi pour Ott, très beaux vins, très minéraux, et un vin orange qui interpelle, mais celui-là, t’as pas dû le goûter
    Marco

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  4. Luc Charlier

    Hervé, je suis un commerçant pathétique, je veux bien, et un vendeur de la dernière qualité … mais. Pour être présent en France, il n’y a que deux solutions: tu passes ton temps à la sillonner ou bien tu te trouves un importateur (si tu es étranger) ou un réseau de VRP. L’Autriche n’a que des très petits volumes à vendre et le Français (sorti de quelques rares amateurs pointus) n’a que peu d’intérêt pour les vins venus d’ailleurs. En outre, la structure des prix dans l’hexagone se fonde sur une marge importante prise par l’intermédiaire (ou les intermédiaires). En outre, il y a le réel problème de la langue. Même quand un de tes comptariotes (toi, tu étais linguiste) dit qu’il parle l’anglais, son anglais reste difficilement compréhensible pour des non-francophones. Pourquoi veux-tu que les Autrichiens s’astreignent à un effort considérable pour être présents dans l’hexagone? Au-delà, David a mentionné les tarifs, le rouge reste assez cher en Autriche et donc forcément encore plus à l’export.

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  5. Oui, Luc, mais je trouve ça triste. A Vienne, on trouve bien des vins français. Mon Europe idéale serait un endroit où l’on échange, qu’on s’enrichit mutuellement. N’est-il pas pathétique de penser que c’était plus facile au temps des Romains qu’aujourd’hui…

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  6. Luc Charlier

    Avouons honnêtement – on ne m’accusera pas de « francophilie aveugle » – que voir du vin (rouge) français ou italen dans les boutiques viennoises risque d’attirer plus de clients que du vin rouge autrichien au faubourg Saint-Honoré. Pour le blanc, c’est moins certain, l’Autriche se débrouile très bien avec ce qu’elle produit elle-même. En plus, l’Italie toute proche (en mentalité aussi) a son mot à dire.

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  7. Sans parler des pays de l’ancien Empire Austro-Hongroise : Slovénie, Croatie, Slovaquie etc.

    Après le volume joue son rôle, comme le disent Hervé et Luc. L’Autriche, c’est 1% du vin produit dans le monde, au plus. La France ne doit pas être loin des 20%. Mais l’attitude des deux pays consommateurs n’est pas la même et c’est cela qui explique la grande pénurie des vins non-français en France. Dommage. La semaine prochaine je vous parlerai d’une caviste à Paris qui essaie de changer cela, et à des prix abordables.

    Pour revenir à Muhr-van der Niepoort. Oui Luc, j’au eu l’occasion de constater la finesse de palais (y compris en cuisine) de Dirk, qui fait aussi des vins formidables dans le Douro.

    Quant à créer encore un appellation Hervé, je suis totalement contre. Déjà situer Carnuntum sur une carte pour les gens ce n’est pas facile, mais une DAC spécifique serait de la folie stupide. Une mention sur l’étiquette suffit amplement. Arrêtons de nous goberger avec le « terroir ». Déjà personne n’est d’accord sur ce que ce mot valise signifie. Ensuite on voit bien que différents vignerons font des vins différents sur le même « terroir ». Tant mieux, mais le vigneron est plus important que le lieu du coup, même si celui-ci lui donne une fourchette dans ses possibilités.

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  8. David, c’est un choix: ou bien créer des ensembles relativement vastes, faciles à marketter, quitte à ce qu’ils soient totalement incohérents, ou bien suivre les contours d’un terroir, quitte à ce qu’il soit petit et difficile à faire connaître.
    La DAC, au départ, par rapport à l’ancien système autrichien des régions, c’était le choix de la deuxième solution. En ce qui concerne Carnuntum, je pense que c’est raté. Pour Traisental, par contre, c’est réussi. Ni toi ni moi n’avons eu notre mot à dire dans la formation d’une l’une ou des l’autre des ces DAC, et nous devons nous en accommoder. D’ailleurs, avant de les visiter, je ne connaissais ni l’une ni l’autre, je n’avais aucun avis sur leur étendue ou les volumes produits. Mais je sais à présent qu’il y a plus de cohésion à Traisental (autour du Grüner Veltliner sur Loess, notamment).
    Pour élargir le débat, si tu es contre un cru Spitzerberg, alors tu dois aussi renier la spécificité d’un Hermitage, par exemple. Je crois que c’est aller trop loin.
    Je pense comme toi qu’on fait dire trop de choses au mot terroir, mais on ne peut tout de même pas nier qu’une montagne calcaire aride et pentue ne va pas donner le même vin que les vignes de la plaine de Loess environnante. Quel que soit le producteur (même si je ne nie pas son influence).

    Note, le débat est intéressant. Et il y a du pour et du contre.

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    1. Peine perdue, Hervé, vous n’y arriverez pas… A propos d’Hermitage, des distinctions importantes doivent être faites entre l’Hermitage occidental (la colline mythique, sur granite) et l’Hermitage oriental (sur loess assez épais eux-mêmes posés sur des cailloutis) où s’épanouissent des blancs d’une rare élégance (prolongement vers l’est en Crozes, sans aucune différence, tout au moins dans cette partie de l’AOP Crozes-Hermitage, qui est très composite).

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  9. La chose est très simple pour moi. L’influence la plus importante sur le caractère d’un vin est le climat, à paramètre égal sur le plan des cépages. Cette influence majeure peut se symboliser par le nom d’une région : Côtes du Rhône Nord, ou Carnuntum, par exemple. Ensuite certains sites spécifiques peuvent donner un accent particulier à ce caractère dans le vin. Hermitage ou Spitzerberg. Leur profil global dérive bien de celui de le région, mais ils donnent, par exemple, plus de finesse ou d’intensité. De tels sites méritent une mention sur l’étiquette. Nous aurons donc, pour ces deux cas de figure, COTES DU RHONE, Hermitage (éventuellement COTES DU RHONE NORD, Hermitage), et CARNUNTUM, Spitzerberg. Cela permettrait à un public plus large que nous de savoir d’ou viennent ces vins et avoir peut-être une notion générale de leur profil, tout en donnant de l’information plus spécifique. On pourrait ainsi réduire le nombre des appellation par au moins 6. Tous les vins de Bordeaux auront ainsi le nom BORDEAUX sur leur étiquette, plus éventuellement le nom d’une sous-région ou commune.

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  10. Luc Charlier

    David a raison. Un exemple: Ch. Margaux, vin de Bordeaux (éventuellement avec « grand » devant) et Pavillon Rouge, vin de Bordeaux (éventuellement avec « petit » devant). Je « like ».

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