Apportez votre vin !

Cela se passe dans un premier temps au cœur du quartier de la Petite Italie, à Montréal, où ma Brigitte m’a pris par la main dans la neige fondante l’autre jour afin de me faire découvrir « le » lieu où l’on trouve à coup sûr un vrai caffe qui soit parfaitement à mon goût. Ce fut fait de manière magistrale dans ce temple ritale qu’est le Caffe Italia où le ristretto assez amère est fait avec expertise. Assurément pas le meilleur du monde, mais bon quand même. Brigitte prit ensuite la décision de me familiariser avec une habitude devenue au fil des ans très québécoise et qui consiste à arriver au restaurant avec son propre vin sous le bras. Le concept est en réalité inspiré semble-t-il par une initiative nord-américaine connue sous les noms de BYOW (Bring Your Own Wine) ou de BYOB (Bring Your Own Bottle) comme en atteste cette liste dressée par New York magazine. Londres aussi serait de la partie. Quelle ville à commencé la première, cela importe peu. Ce qui compte, c’est l’idée que je trouve personnellement géniale.

Photo©MichelSmith
L’Italia àMontréal. Photo©MichelSmith

Ici aussi, au Québec, les restaurants AVV (Apportez votre vin) ne manquent pas. La pratique existe depuis les années 80 pour le plus grand bonheur des restaurateurs qui adhèrent de leur plein gré à cette philosophie d’accueil et qui ne trouvent dans cette pratique que des avantages. Dans le sens de la convivialité d’abord, puis de la simplification dans la gestion de leur entreprise puisqu’ils n’ont plus à se soucier d’entretenir une cave. En échange, cela permet au client de consommer le vin qu’il aime sans avoir à subir le supplice d’un choix le plus souvent cornélien à cause d’une carte de vins elle-même le plus souvent décevante car trop courte ou trop mal construite quand elle n’est pas tout bonnement trop ruineuse.

La Madura entre en scène. Photo©MichelSmith
La Madura entre en scène. Photo©MichelSmith

Donc, après ma dose de caféine, je fus entraîné illico dans un magasin de la SAQ (voir mon article de jeudi dernier) où nous nous sommes procurés un flacon d’un Saint-Chinian La Madura 2012 parfaitement à point acheté pour une somme raisonnable, autour de 20 $Can. Et c’est armé de cette bouteille que nous fîmes route, toujours dans le même quartier, vers une très familiale pizzeria Napoletana nichée à l’angle de la rue Dante et de l’avenue de Gaspé avec assez de place pour garer notre auto entre deux monticules de neige fraîchement déblayée. En dehors du fait que c’est la plus vieille pizzeria de la ville, l’endroit n’a rien d’extraordinaire. Mais, comme partout ailleurs au Québec, on y est bien reçu ce qui fait que le restaurant ne désemplit pas. C’est aussi l’un des restaurants les plus appréciés des adeptes de la formule Apportez votre vin, une tendance très répandue au Canada comme je l’ai laissé entendre plus haut, mais aussi une sorte d’association dont la mission au Québec est quelque peu différente de sa sœur anglo-saxonne en ce sens qu’elle impose au restaurateur qu’il ait un « permis d’alcool » et qu’il procure à ses clients la verrerie nécessaire sans exiger en retour un « droit de bouchon » comme cela se fait couramment ailleurs et jusque dans quelques restaurants chez nous. Dans ce cas précis, je dois avouer que nous n’avons pas été soignés question verrerie, mais bon, l’expérience méritait d’être tentée et le serveur ouvrit notre bouteille sans sourciller comme il le fit à d’autres tables.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Pour en avoir le cœur net et apprécier pleinement la formule AVV, je l’ai testée avec des amis nouvellement montréalais, des amateurs de vins retrouvés dans un autre établissement de la ville. C’était dimanche dernier, pour le brunch, au restaurant O’Thym, boulevard de Maisonneuve, en plein quartier gay pas loin de de la très commerçante rue Sainte Catherine. Là, non seulement ce qui nous était servi était bon et proposé à un prix extrêmement honnête, mais de charmantes hôtesses remplissaient leur rôle avec efficacité et sourire. Comme d’autres clients autour de nous, nous avions amené des bulles histoire de fêter nos retrouvailles. Sans même avoir à le demander, un élégant seau à glace coiffé d’une serviette blanche nous fut servi, ainsi que des flûtes. Pour les vins suivants, chaque bouteille était ouverte par une serveuse qui en profitait pour changer nos verres.

Isabelle et Alain, deux amis retrouvés et venus avec leur vin. Photo©MichelSmith
Isabelle et Alain, avec leur vin. Photo©MichelSmith

Pour ceux que ça intéresse, O’Thym n’est pas le seul établissement AVV à obtenir l’adhésion de la clientèle. Dans le même esprit de convivialité et de service efficace sans être guindé et sans avoir à payer de droits de bouchon, ma compagne m’a assuré avoir fait d’excellents repas dans d’autres restaurants AVV de Montréal, au Quartier Général, par exemple, à l’État Major et À l’Os. Les adresses ne manquent pas et vous pouvez en trouver d’autres ici. Pour ceux qui visiteraient la ville de Québec, je suis même tombé sur un site « pages jaunes » répertoriant les restaurants Apportez Votre Vin. Dès lors, je me suis mis à rêver : pourquoi diable un tel système ne fonctionnerait-t-il pas chez nous ?

Le saumon boucané de O'Thym. Photo©MichelSmith
Le saumon boucané de O’Thym. Photo©MichelSmith

Bonne question ! Car ces expériences québécoises me confortent dans une idée qui fait de plus en plus son chemin chez moi : je connais en effet plus d’un restaurant en France, pays de la gastronomie et du vin, dont la carte des liquides est médiocre pour ne pas dire inexistante et le service du vin plus que répréhensible. Nos restaurateurs, du moins une bonne partie d’entre eux, seraient bien avisés de s’inspirer de cette formule. D’autant qu’il est hélas devenu courant chez nous de voir dans les mêmes restaurants des tablées entières où le vin a disparu de la circulation. Outre les raisons hygiénistes, c’est aussi parce que le vin est trop cher. Cette situation est due le plus souvent à une méconnaissance totale des choses du vin, voire à un désintérêt manifeste pour le vin de la part des patrons de bistrots ou des restaurateurs qui se veulent pourtant au sommet de la modernité. Ces gens-là n’ont rien compris et leur attitude est rétrograde. Il est temps que les esprits bougent.

Notre Puch est entré sans que j'ai besoin de supplier le chef de m'en acheter. Photo©MichelSmith
Notre Puch est entré sans que j’ai besoin de supplier le chef de m’en acheter ! Photo©MichelSmith

Compte tenu de leur manque désespérant d’enthousiasme – de leur talent en berne aussi -, nos restaurateurs pourraient aisément s’inspirer du Québec et se débarrasser de la charge que représente pour eux l’entretien d’une carte des vins décente et digne de ce nom. On peut parier qu’ils bénéficieraient ainsi d’un regain d’intérêt de la part de la clientèle et participeraient, plutôt que de céder à la sinistrose ambiante et d’en vouloir sempiternellement à nos dirigeants, au renouveau de la restauration française.

O'Thym à 11 h 30, à l'heure du brunch. Photo©Mi
O’Thym, à l’heure du brunch. Photo©MichelSmith

Ainsi, nos chers restaurateurs adeptes de culbutes sur le dos du vin pourraient consacrer plus de temps et d’argent à l’accueil, au service ainsi qu’à la cuisine, ceci pour le plus grand bonheur de leurs clients. À moins qu’ils ne tiennent à s’encroûter dans leur traintrain quotidien en débitant du vin médiocre acheté sans passion aucune dans l’unique but d’améliorer leurs sacro-saintes marges. En ce cas, qu’ils ne se plaignent pas de voir se perdurer cette fameuse crise qui se manifeste par la désertion notoire d’une clientèle de moins en moins attirée par l’idée de fréquenter un restaurant. Si une telle désaffection perdure, le gros des restaurateurs de France et de Navarre en sera largement responsable. Au lieu de se morfondre et d’accuser tel ou tel ministre, ils devraient se concentrer sur la refonte de leurs pratiques et regagner enfin la confiance des consommateurs. Alors oui, l’idée du AVV devrait en inspirer plus d’un !

Michel Smith

 

11 réflexions sur “Apportez votre vin !

  1. Marie-Louise Banyols

    L’idée est excellente, je regrette de pas l’avoir eue en son temps!
    Alain, vous êtes sévère, tous les restaurateurs n’ont pas une ignorance crasse en la matière, il faut se garder de généraliser.

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    1. Alain Leygnier

      C’est vrai, on ne peut exclure, par principe, que l’ignorance de la profession puisse être lacunaire . Mais, tous les restaurateurs « margent » avec le vin, avec des coefficients délirants, un service la plupart du temps, calamiteux, et parfois même le refus de payer le vigneron. Exemple (entre autres) : Pibarnon, auquel un vigneron provençal refusait de régler une commande, sous prétexte qu’en vendant son vin il lui faisait de la publicité. Des vignerons du Sud-Ouest ont trouvé la parade : ils mangent chez le restaurateur indélicat à concurrence de le commande impayée et refusent de payer.

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  2. Marie-Louise Banyols

    Alain vaste débat auquel je nr puis m’engager maintenant: je part dans le vignobble, mais nous y reviendrons. ce que vous décrivez ici est un comportement honteux et scandaleux! Pour moi, se ne sont pas des restaurateurs, mais des arrivistes!

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  3. mauss

    Crois bien, Beau Ténébreux, que c’est là un combat incessant que nous devons mener. Une autre attitude à combattre : les restaurants « locaux » (exemple à Bordeaux) où tout le monde sait qu’on peut se fournir auprès du négoce vieux millésimes compris ! Et bien, là, on se croit obligé de faire des culbutes totalement détestables d’autant plus qu’étant livrés sous 48 H sans problème, ils n’ont pas eu, ces restaurateurs, de frais de stockage !
    Effectivement, on n’est pas sorti de l’auberge et à nous de ne choisir que les maisons où on peut porter son vin contre un droit de bouchon.

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    1. Un attitude que je commence à adopter… Sauf que là aussi, il y a des droits de bouchons parfois exorbitants ! Pourquoi ne pas envisager de le supprimer, comme au Québec ? Tout le monde serait gagnant, non ?

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  4. Quoique très mauvais commerçant moi-même, je partage mes jours avec Christine, qui a cette activité dans le sang. Elle a tenu pendant 25 ans la boulangerie-épicerie de notre village. Elle était à la fois très bien approvisionnée et très bien achalandée (ce qui ne signifie pas du tout la même chose comme beaucoup l’ignorent). Elle me répète – sans succès – à longueur de journée : « Un commerçant ne fait PAS de politique ». Je lui réponds : « Poil de carotte n’aime pas les épinards ».
    Mais une chose est sûre, je ne commente JAMAIS les choix tarifaires des autres.
    Michel a raison de faire remarquer que beaucoup de tables sont à présent SANS vin, même le soir, et même dans de beaux établissements. En Italie et en Allemagne, en Autriche aussi, et au Portugal constamment, le vin est vendu entre 1,5 et 2,5 x son prix d’achat, sauf dans les établissements très huppés. En France et en Belgique, cela peut-être x 6 dans les cas extrêmes. Quand je suis en Hollande, j’essaie de ne pas être obligé d’y manger, donc je n’ai pas d’expérience. Au GDL, je bois de la Diekirch (qui me plaît) et je ne sais pas. Un de vos lecteurs, influent, pourra vous renseigner. Il en parle souvent avec Michel Onfray.
    Plutôt que de porter un jugement de valeur, il faut essayer d’analyser ce phénomène. Un restaurant doit équilibrer son budget. Il doit payer ses fournisseurs (d’abord, sinon on ne l’approvisonne plus). Il doit payer son personnel et l’état. Il doit en garder un peu pour vivre. Si la clientèle accepte de payer cher le vin, mais rechigne sur le prix du menu, il s’adapte. En Allemagne, à qualité comparable et standing similaire, l’assiette est plus chère, parfois nettement plus chère. Mais vous buvez PLEIN d’excellents vins autour de 20-30 € sur table. L’addition finale est semblable, car on boit du vin, en quantité.
    Un restaurant bruxellois appartient à un ancien meilleur sommelier de Belgique. C’est un réel amateur et un garçon aimable et très discret. Il propose (25 couverts environ) des plats « bistronomiques plus » aux prix normaux mais offre une carte des vins « incroyable ». Il est aussi marchand de vin. Il tarifie à « prix de son catalogue + un droit de bouchon raisonnable ». Son établissement ne désemplit pas, le service des vins est parfait et il accepte de servir très tard le samedi (après le spectacle). Il a trouvé « sa » formule pour équilibrer ses comptes. Je précise qu’il n’est pas client, pour éviter qu’on me fasse un procès en copinage et publicité subliminale.
    Du point de vue du vigneron, nous souhaiterions que le vin soit bon marché à table, a priori. Mais ce n’est pas forcément un bon calcul. Si la marge est confortable, le restaurateur aura plus intérêt à « encourager la consommation ». Si sa trésorerie va bien, il honorera plus facilement et plus vite ses factures. Enfin, quelle bouffée d’orgueil (ridicule mais humain) de se dire qu’un client est prêt à payer plusieurs dizaines d’euros pour notre humble production. En même temps, le même client hésite parfois à dépenser 15 € TTC à la cave pour une belle bouteille. C’était un peu le sujet du papier d’Hervé hier.
    Même « Léon le fouteur de merde » – vous le connaissez – pense que chaque établissement doit trouver « sa » bonne formule. Le consommateur français n’accepte pas de payer un bon prix pour l’assiette, il faut bien faire sa marge quelque part.

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  5. mauss

    Du Beau Ténébreux :

    « Sauf que là aussi, il y a des droits de bouchons parfois exorbitants !  »

    C’est vrai et dans ce cas, je n’hésite jamais à dire au restaurateur que le droit de bouchon, éthiquement, doit être égal à la marge nette du vin le moins cher sur la carte.

    Sans évoquer la menace qu’on pourrait être que des buveurs d’eau 🙂

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  6. Je vous lis TOUS avec intérêt, car parfois les sujets peuvent être traités avec nuance. Vous êtes TOUS des connaisseurs, des amateurs et, à des degrés divers, des alliés des vignerons. Vous allez tous au retaurant. Votre souhait DOIT donc être pris en compte, et par les restaurateurs, et par nous aussi, car je pense que, en marge de la GD qui est un autre marché, la MEILLEURE vitrine d’un vin est le bon restaurant ; pas les affichages publicitaires, pas les magazines, pas les bandeaux sur un blog commercial, et surtout pas les « guides » de Machin ou de Bidule (j’avais d’abord écrit « Truc » mais c’était une mauvaise idée). Un de mes rares amis (vous avez vu mon caractère) pratique parfois de la sorte (il est plus culoté que moi, disons même sans-gêne). Il commande la bouteille la moins chère de la carte. Quand on la lui présente, il la refuse poliment mais dit qu’il la paiera. Il sort son flacon et propose qu’on le lui serve à la place. Je trouve que cela place la relation dans un climat de conflit, ce qui n’est pas le but. On va au restaurant pour PASSER UN BON MOMENT, généralement. Il faut que la restauration puisse faire VIVRE son monde. Le bénéfice nécessaire peut être obtenu de différentes manières. La « marge fixe » est certainement le système le plus facile, mais aussi le plus inadapté. J’achète une langoustine 1 € (assez réel comme exemple), une Saint Jacques 1 €, un pigeon de bouche 9 € ==> je les vends au triple. J’achète du mouflon-puîné 8 €, je le vends 24 € etc … Et si on acceptait (on = les clients), qu’un muscadet excellent, inconnu, et acheté 3 € par le restau soit vendu 30 €, mais un Côte-Rôtie célèbre, acheté 45 €, soit vendu à 72 €. Dans les deux cas, on boit une bonne bouteille et le restaurateur gagne 27 € (brut). Dans le même temps, il vous vend du maquereau de qualité (j’aime le maquereau) pour 20 euros l’assiette, mais il vous vend la langouste à 40 € l’assiette, les deux avec la même plus-value liée à son savoir-faire de chef.
    Ce qui se passe, c’est qu’on veut le maquereau au prix coûtant, le pain gratuit, le vin presque sans marge, mais en même temps les serviettes éponges individuelles aux toilettes, le service voiturier, les mignardises, trois sortes de sucre au choix pour le café et de la verrerie de chez Riedel.
    Après, on quitte le parking, on sort les Nike du coffre pour aller faire un footing post-prandial. Elles ont coûté 100 € la paire, tout en plastique, collées par des enfants de 8 ans en Indonésie pour la gauche, et en Bolivie pour la droite (comme cela, on ne vole rien).
    Vous allez me rétorquer: il y a des endroits où ils y arrivent. Oui, tout sort du congélateur. Le personnel fait 45 heures payées 35. Les stagiaires ne touchent rien. Le vin n’est jamais payé aux vignerons (on change de fournisseur). Nous sommes d’accord que marger six sur tous les vins, cela se rapproche de l’arnaque (euphémisme). Mais empêcher les restaurateurs de boucler leur budget, c’est aussi tordre le cou à pas mal de vignerons (dont moi, hihi).

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  7. Ping : Apportez votre vin ! | Wine Planet

  8. Bonjour Michel et bonjour à tous,

    Je suis ravi de pouvoir rebondir sur votre article pour vous annoncer que nous avons créer un concept BYOB en France. A Paris pour le moment pour être plus précis. Cela s’appelle VinoResto. Nous avons signé des partenariats avec des restaurateurs qui vous acceptent avec votre bouteille. Pour cela la réservation se fait sur notre site (vinoresto.com). Je vous laisse découvrir tout ça.

    Merci
    Johan de VinoResto

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