Le clairet fait de la résistance, mais pour combien de temps?

 Oscars-2015-Bordeaux-ClairetCette photo est celle des Oscars (millésime 2015) des Bordeaux Clairet. Je ne faisais pas partie du jury mais on y trouve des vins de ma sélection à la fin de cet article 

Le monde des vins rosés semble se laisser de plus en plus submerger par une mode stupide (mais existe-t-il des modes intelligentes?) qui voudrait que plus c’est pâle, mieux c’est. D’un autre côté, l’intelligence dans le marketing voudrait que la différenciation soit un outil important pour faire remarquer son produit dans une masse grandissante de choses qui se ressemblent. Alors quand une région viticole importante possède un type de vin qui, par sa nature, se distingue très nettement de la masse des ses concurrents, je trouve très étrange (ai-je dit bête?) qu’on ne trouve pas mention de ce type de vin sur le site web de l’inter-profession en question.

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C’est pourtant ce qui arrive au Bordeaux Clairet sur le site des Vins de Bordeaux. On parle du rouge, de blanc sec, du blanc doux et du rosé mais je ne vois aucune mention du Bordeaux Clairet ! J’en ai dégusté d’excellents récemment (et aussi des médiocres, rassurez-vous!). Alors  je veux tenter, modestement, de réparer cette injustice dont je ne comprends pas du tout la cause.

Le Bordeaux Clairet est un vin dont l’aire de production s’étend sur l’ensemble du vignoble bordelais. Il s’agit d’une mention complémentaire au sein de l’appellation Bordeaux. Ce sont des vins d’un ton rouge pâle, quelque part entre la couleur d’un rouge et celle d’un rosé. La production est devenue assez faible aujourd’hui, à partir d’une estimation de 600 hectares sur les 110,000 du bordelais. Le rosé de Bordeaux implique des volumes bien plus importants.

Tous les cépages rouges du Bordelais peuvent entrer dans la composition d’un Clairet, même si le merlot y domine, généralement. Mais pas partout. Les plus intéressants pour moi, sont ceux qui comportent une part importante de cabernet, franc ou sauvignon, ce qui leur confère plus de précision dans les saveurs, mais aussi moins d’alcool. C’est un avantage avec ce type de vin, à condition que les variétés en question soient bien mûres et qu’on n’ait pas recours aux artifices du sucre résiduel pour masquer des imperfections.

Les vins de l’appellation Bordeaux-Clairet sont les plus proches des vins qui étaient expédiés en Angleterre pendant le Moyen-Age et qui ont fait la fortune de Bordeaux à cette époque, et pendant longtemps. Sur le plan historique, le Clairet est manifestement l’ancêtre des Bordeaux rouges modernes. L’Aquitaine devenant anglaise en 1152, par le mariage d’Aliénor et Henri II, les vins de Bordeaux sont adoptés outre-Manche dès le Moyen âge. Peu macérés, et souvent issus de cépages rouges et blancs mêlés dans la cuve, ils sont dénommés « French claret« , ou « claret » tout court. Ce mot claret est resté dans la langue anglaise pour décrire un vin rouge venant de Bordeaux, même quand, à partir du 17ème siècle, les Bordelais, inspirés par la réussite d’Arnaud de Pontac à Haut-Brion, commencement à faire des vins rouges foncés pour le marché britannique. Par exemple, mon père, marchand de vin toute sa vie, appelait toujours un Bordeaux rouge un claret.

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Et la différence entre le Bordeaux rosé et le Bordeaux clairet ?

Sur le plan de la réglementation, c’est la mesure de l’intensité colorante (ICM) qui définit la limite entre le Bordeaux rosé et le Bordeaux clairet. Cela vient essentiellement de la durée de macération (2 à 3 heures pour le rosé, 3 à 4 jours environ pour le clairet), mais aussi d’une date de récolte plus précoce pour le rosé afin d’en augmenter la fraîcheur, et souvent le choix d’une parcelle spécifique. De plus en plus de rosés de Bordeaux sont aussi faits par pressurage direct pour obtenir ces vins très pâles (ai-je dit insipides ?) et ainsi rentrer dans la moule du marché imposé par le leader provençal. Tandis que les bons clairets sont le résultat de saignées sur de belles cuves de rouges, et de raisins cueillis à maturité. Non seulement on obtient ainsi plus de couleur, mais aussi plus de fruit, de chair et de structure. Ils peuvent donc être légèrement tanniques et sont très utiles lors d’un repas. Le Clairet est à servir légèrement rafraîchi (12-14°C) mais non glacé.

Entre cet axe historique très important pour le vin de Bordeaux, et un caractère affirmé qui se démarque de la concurrence (même s’il existe une désignation Clairet en Bourgogne, elle n’est guère utilisée, et les vins rosés de Tavel sont aussi différents par leur climat et leurs cépages), je comprends encore moins pourquoi les génies du marketing au sein du CIVB continuent à ignorer ce vin si spécifique à leur région.

 

Vous voulez de bons clairets ?

Voici quelques vins du millésime 2015 parmi les meilleurs de ma dégustation récente d’une trentaine d’échantillons, conduite à l’aveugle chez moi.

Château Thieuley

Château de Fontenille

Château Lamothe de Haux

Château La Freynelle

Château Vignol

Château Maison Noble

Château Penin

Château de Parenchère

Château Lamothe du Barry

Château des Tourtes

Château Lauduc

Et ces vins valent entre 5 et 8 euros, ce qui est un autre avantage sur les rosés de Provence, devenus souvent bien plus chers.

 

David Cobbold

5 réflexions sur “Le clairet fait de la résistance, mais pour combien de temps?

  1. On m’a dit que l’Angélus élaborait un excellent claret aussi, David. Ils l’appellent la Cuvée du Prétoire. Madame Saporta en a reçu une bouteille qu’elle doit remettre à Hervé !

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  2. Très bonne analyse ! Sauvons nos diversités !
    Juste un commentaire technique : on peut faire des très bons rosés en pressurage direct, alliant la fraîcheur et la structure. C’est ce que l’on s’efforce de faire à Beyssac, pour garder notre identité de rosé du Sud-Ouest, et ça évite de « casser » une cuve de rouge par la saignée.

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    1. Merci pour cette précision. Oui, des rosés de presse peuvent évidemment être excellents aussi. Pour la saignée, « casser » peut aussi donner « concentrer davantage », il me semble.

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      1. Effectivement, saigner, c’est concentrer (Thierry Ardisson aurait pu dire ça…). Mais lui enlever du jus ne fait que changer le rapport marc / jus, ce n’est pas tout à fait pareil… Et si une cuve a besoin d’être concentrée, c’est que la vigne a trop produit : il est préférable de conduire la vigne afin qu’elle produise la juste quantité de raisins à la concentration voulue pour faire le vin voulu. Ce n’est pas toujours facile, c’est vrai !

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