Vins doux vieux, un must dédaigné

Le consommateur est tellement habitué à déguster à l’apéro son Porto basique, que quand on lui parle des vins doux exceptionnels du Sud de la France, il vous répond par un petit sourire d’incompréhension. Il y a peu, dans les locaux de Probably The Best Wine Magazine of the World – and certainly the most modest (en anglais ça fait mieux, encore une connerie), nous avons dégusté une large série de VDN roussillonnais. Quelle extase ! Rien à jeter, et par conséquent les sélectionnés représentaient le top de ce qu’on peut encore trouver sur place. Comme le trio présenté ci-dessous, les millésimes 1992, 1959 et 1948 du Domaine de Rancy à Latour de France. Quand l’ensemble des coups de cœur paraîtront dans le morceau de toile d’In Vino Veritas, je vous donnerai le lien.

Rancy 1992 Rivesaltes Ambré Domaine de Rancy

Une robe d’un ambre brun moyen, rien d’extraordinaire pour un VDN de 25 ans jusqu’au moment où on y plonge le nez. Là, d’un coup, le voilà assiégé par la puissance aromatique du vin, et c’est un perdu qu’il lui faut faire le tri parmi autant de senteurs. Les fruits secs y semblent hégémoniques, noix sèche, noix de pécan, arachide grillée, mais trempée dans un ristretto  bien tassé, lui-même poudré de fève de cacao un rien brûlée et pillée. Ce n’est pas tout, la fève évolue vers le chocolat, y mêle un peu de caramel et de l’écorce d’orange. Le souci avec ce genre de breuvage, c’est qu’à chaque respiration, de nouvelles senteurs éclosent. Passons à la bouche. Là les papilles hésitent à dire sucré ou acide, les deux ensembles, ce qui les chamboule un peu. Il y a du sel aussi qui rafraîchit l’onctuosité. Et de l’amertume, les quatre saveurs s’y retrouvent, apportant chacune leur nuance, gentiane et réglisse, iode, cassonade sirop d’érable, quant à l’acidité, il est difficile d’y apposer un goût, peut-être citron confit ou jus d’orange sanguine. la longueur s’épice de curcuma et de poivre blanc et reprend toutes les notes aromatiques à l’envers.

Ce breuvage des dieux est fait à 95% de Macabeu et 5% de Grenache qui poussent dans des schistes et des calcaires. Les vignes ont une cinquantaine d’années. Pressurage direct, pas de levurage et fermentation lente de 10 à 15 jours avant mutage. Élevage sur lies fines en cuves béton et puis élevage en fûts de chêne centenaires pendant 22 ans – Mise en bouteille en juin 2014. Il titre 17,62% d’alcool pour 129 de sucres résiduels.

Rancy 1959 Rivesaltes Ambré Domaine de Rancy

Ambre foncé au disque légèrement verdâtre, signe du rancio. Il est plus discret au nez, prenant son temps pour nous offrir un curieux mélange de sirop de reinette et de suc de viande, voire de sauce soja. Il y a aussi cette impression maritime d’algues sèches et de mare saline. Puis des épices, du fenugrec et de la graine de coriandre qui viennent rivaliser d’intensité avec la fève de cacao torréfiée. En bouche, la fraîcheur semble encore plus importante que dans 1992. On la dira vive, histoire de dépoussiérer le palais pour y installer ses arômes de noisette concassée, d’amande caramélisée et de grain de café dont l’amertume relance la vivacité. Après, tout semble s’assagir pour nous parler de pâtes de fruits, des agrumes essentiellement, mais aussi de la poire et de la pomme bien concentrées. Vivacité et amertume nous suivent jusqu’à la dernière gorgée et nous laissent le palais frais, prêt à y revenir et à finir les 50 cl de la bouteille.

Même assemblage et même vinification, mais bien évidemment un élevage plus long, 49 ans en barriques et mise en juin 2008.

Rancy 1948 Rivesaltes Ambré Domaine de Rancy

 

Ambre rouge bordé du vert (qui ranciote déjà à l’œil). Au nez, ça sent le brûlé, le brûlé noble, cela va sans dire. Il nous rappelle les grains de café en fin de torréfaction quand dans l’air se combinent grillé, moka, impression lactique et terre chaude. De cette terre surgissent des notes de champignons secs aux accents de morille et de cèpe sur lit de feuilles mortes. Mais il y a aussi des fruits confits, comme une cassate particulière où la glace pralinée se constelle d’abricot, de zestes d’orange et de mandarine, de rhubarbe. Cette dernière se retrouve en bouche, confite comme la branche d’angélique qui toutes deux tournent dans la douceur vive d’un sirop de café au citron, c’est des plus explosifs, surtout que l’acidité semble encore plus marquée. Puis, comme précédemment, les impressions deviennent plus sages, plus tempérées, pour nous faire goûter la subtilité du safran, de la fève tonka et de la feuille de coriandre. Mais cela ne dure qu’un temps, les explosions aromatiques reprennent pour nous faire dire: vive le monde merveilleux des Vins Doux Naturels!

Ce Rivesaltes a été mis en bouteille en mars 2012.

Quant au prix, 1992 : 25€, 1959 : 140€ et 1948 : 190€, ce qui est des plus honnêtes, voire bon marché.   http://www.domaine-rancy.com

Ce trio fabuleux ne vous persuadera pas de la grande qualité des vins du domaine des Verdaguer, vous l’êtes déjà. Mais, je réitère mon message à ceux qui ont dans leur entourage des inconditionnels du mauvais Porto, tentez les VDN. Leurs gammes chromatiques et aromatiques vous enchanteront, pour un prix guère plus élevé.

Je me rebois un petit coup de Rivesaltes,

Allez ciao

 

 

Marco

 

 

 

7 réflexions sur “Vins doux vieux, un must dédaigné

  1. On est 100% d’accord. La gamme des vieux ambrés de Jean-Hubert et Brigitte est imbattable. En plus, si le « trésor de guerre » provenant du travail de M. Verdaguer père a aidé à élaborer ces vins magnifiques, l’élevage soigné qui a suivi et le choix des dates de mise sont aussi importants. Et les vins élaborés depuis la reprise en 1991 sont au même niveau. Des gens formidables qui élaborent des vins formidables!

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    1. Luc, tu ne nous ferais pas un petit billet sur les Colheitas un de ces samedis, comme invité des 5? Nous avons déjà eu des invités sommeliers, géologues… et tu ne produis pas de Porto. Se faz favor…

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      1. Je crois effectivement qu’il n’y a pas conflit d’intérêt. Le seul « hic » est que je n’ai pas dégusté beaucoup de « jeunes » colheitas depuis longtemps. Par contre, il est possible de faire un papier numéro I dans les semaines qui viennent, et puis un papier numéro II au début de l’été. Je vais en effet passer qques jours dans le Douro au printemps, pour la première fois depuis que je suis installé!

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