INAO : ah, le beau bouc émissaire !

On sort vos parcelles de l’appellation ? C’est la faute à l’INAO. On les rentre dans l’appellation ? C’est la faute à l’INAO. Votre appellation est trop laxiste ? C’est la faute à l’INAO. Votre appellation est trop rigide ? C’est la faute à L’INAO. Quel beau bouc émissaire !

# dénonce ton bouc

Pourtant, les demandes de modifications de décrets viennent presque toujours des vignerons eux-mêmes – ou plutôt, de leurs représentants.

Certes, il y a des lenteurs à l’INAO, en province comme à Paris ; des blocages; des arbitrages étranges, notamment au niveau national. En quoi le statut d’une appellation de Bordeaux ou de Loire regarde-t-elle un cru du Rhône, de Bourgogne ou d’Alsace? En quoi les bulles de l’IGP Pays d’Oc regardent-elles les Crémants? En rien. Et pourtant, j’ai parfois l’impression que les différentes régions ou acteurs de la viticulture française jouent à «je te tiens par la barbichette». Et que la réalité de terrain, le fameux terroir, cède le pas devant les enjeux politiques ou commerciaux.

Mais à y regarder de plus près, ce ne sont moins les ingénieurs, les agronomes, les géologues ou les juristes de l’INAO qui sont à blâmer, que les satrapes de la viticulture, les petites ou grandes féodalités de la France du vin.

Toute organisation humaine est faillible et perfectible, et l’INAO n’échappe pas à la règle.

Mais son péché le plus criant, pour moi, est la nullité de sa communication. J’ai écrit nullité, non par méchanceté, mais par réalisme : l’INAO se tait dans toutes les langues.

En 30 ans de carrière, je n’ai JAMAIS reçu un communiqué de sa part.

Une appellation se crée ou se modifie ? C’est l’appellation elle-même qui nous le dit.

Et si mécontentement il y a vis-à-vis d’un « fait de jeu », comme on dit dans le football, ce sont les joueurs qui parlent, jamais l’arbitre. Même en cas de recours devant les tribunaux ou le Conseil d’Etat – silence radio. Une forme d’obsession juridique? Un nouvel exemple de dérive du politiquement correct?

 

On croirait une réunion du Comité Vins…

Pas besoin d’AOC…

Il y a bien sûr des gens pour vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain – je ne fais pas spécifiquement référence à Alexandre Bain, dont les résultats du recours contre Pouilly et l’INAO font peser une grosse incertitude sur la capacité future des appellations à faire respecter leurs règles. Non, je fais référence à tous ceux qui s’appuient sur les erreurs ou l’inertie de l’INAO – réelles et supposées – pour réclamer que l’on fasse table rase du système des appellations contrôlées.

De ces contestataires, il y a en a de plusieurs sortes ;  il y a d’abord ceux qui, quasi-philosophiquement, considèrent que la qualité se fait à la vigne et au chai, que c’est chaque vigneron qui décide, plus que l’origine. Ceux-là ont beau jeu de faire remarquer que sous une même appellation se côtoient la médiocrité et l’excellence. Ceux-là prennent parfois en exemple le modèle des pays du Nouveau Monde – en oubliant que ces pays se dotent tous d’appellations. Que l’AOC ne garantit qu’une origine et un cahier des charges, pas un résultat. Ceux-là oublient aussi que le libéralisme à tout crin aboutit toujours au pouvoir de l’argent, que là où l’on n’invoque pas le terroir, on invoque les marques privées, et qu’une marque, ça demande beaucoup d’argent. Voyez un peu la structure de la viticulture en Afrique du Sud, au Chili, en Australie : en majorité, de grosses marques qui exportent, et de petits producteurs de raisin qui survivent dans leur ombre.

Dans cette catégorie, on trouve pas mal d’Anglo-Saxons, incidemment. Ces gens éminemment pragmatiques rechignent devant un système complexe, et très latin dans son approche qui se veut rationaliste.

… ou l’AOC pour tous!

Et puis il y a ceux qui se verraient bien utiliser les mentions des AOC, mais sans devoir respecter trop de règles. Leur slogan, c’est un peu «L’AOC pour tous». Pour ceux qui chaptalisent, pour ceux qui « rectifient », pour ceux qui irriguent, pour ceux préfèrent utiliser des cépages à la mode plutôt que ceux de leur région, pour ceux qui veulent de plus gros rendements…

Ils oublient qu’il existe des solutions hors de l’appellation, qu’elles s’appellent IGP ou vin de France. Non, en fait, ils ne l’oublient pas : c’est juste qu’ils veulent le beurre et l’argent du beurre : la flexibilité et la mention.

Les deux catégories de contestataires se retrouvent dans la dénonciation de l’INAO, d’un système prétendument académique et sclérosé (mais qui bouge plus qu’on le dit, pourtant, si l’on en juge par la mise en place de nouvelles appellations). Même la mission de l’INAO et son périmètre ont changé avec le temps, puisqu’il est censé s’occuper aussi des signes de qualité.

Contradictions

Moi-même, qui n’appartiens à aucune de ces deux factions, car je ne suis ni philosophe du libéralisme, ni producteur, j’ai souvent pesté contre les contradictions du système des AOC et ses règles étranges.

Un exemple parmi cent: les pourcentages de cépages autorisés dans telle ou telle AOC, qui font parfois ressembler l’assemblage d’une cuvée au raffinage du cosmogol de première pression.

Au moment d’écrire ces lignes, je viens de terminer un verre de Corbières-Boutenac qui me prouve par l’exemple que le Carignan n’est pas ce pelé, ce galeux que les « experts » auraient voulu faire disparaître (Michel, si tu me lis, à ta santé!). Dans certains cas, c’est même un cépage améliorateur!

Il y a aussi les limites bizarres des appellations, qui s’affranchissent souvent largement de la géologie. Les petits arrangements et les grandes surfaces.

Les changements de cap: un jour, on vante les traditions immuables; et un autre, on autorise des techniques pour lesquelles on n’a pas beaucoup de recul, ou qui gomment totalement l’effet millésime. L’osmose inverse. La cryo-extraction…

Il y a également le fait que même quand l’année est mauvaise, l’AOC est toujours due. Ou encore, le fait qu’il peut y avoir des promotions en AOC, mais jamais de descente.

Mais si je m’étais trompé de cible? Est-ce la faute de l’arbitre quand chaque joueur voudrait jouer avec ses propres règles, ou pas de règles du tout ? Faut-il lui ôter tout pouvoir, ou au contraire les accroître ?

L’appellation, en théorie, est le bien commun de ceux qui la produisent, régi par des règles qui leur sont propres, et librement consenties. Tout devrait donc théoriquement se régler à la base, dans l’ODG. Sauf que la démocratie y est souvent biaisée. Et que donner tout le pouvoir à la base, pour séduisant que cela puisse paraître, reviendrait à accepter des AOC à géométrie totalement variable – c’est déjà le cas, me direz-vous, vu que cohabitent sous la même mention « AOC » d’énormes appellations régionales et des petites appellations communales, par exemple.

Mais cela pourrait sans doute encore être pire, quand on voit les projets que proposent de temps à autre telle ou telle appellation (je pense aux « premiers crus » de l’AOC Bordeaux-Bordeaux Supérieur, par exemple, ou aux demandes de modifications dans l’encépagement du Muscadet).

Dans ces cas-là, on ne dit pas «aux chiottes l’arbitre», on est content qu’il soit là.

Reste que le système manque diablement de transparence.

Le consommateur qui accepte de payer plus cher une bouteille d’AOC a le droit de savoir pourquoi, comment, et par qui sont pris les règles qui la régissent. Il est le grand oublié d’une organisation qui semble ne reposer sur les desiderata de la production, alors que les mentions, labels et autres signes de qualités gérés par l’INAO sont autant de critères d’achat pour le consommateur. Idéalement.

L’INAO, quand il arbitre dans tel ou tel sens, devrait avoir à rendre des comptes – nous dire comment était composé le jury (ne serait-ce que pour couper court aux soupçons de conflits d’intérêts), qui a voté pour et qui a voté contre, quelles étaient les autres propositions… On devrait pouvoir suivre le cheminement d’un projet, et pas seulement lire sur Légifrance le texte soumis pour la procédure d’opposition.

On aimerait aussi comprendre pourquoi l’INAO se bouge pour faire interdire la mention humoristique « Bord’eaux inférieur », mais  n’a pas fait appel dans l’affaire Bain.

Plus généralement, l’INAO devrait publier une doctrine claire, un schéma directeur qui nous permette de comprendre ses décisions, au-delà des cas particuliers. Il ne suffit pas d’invoquer le fameux lien au terroir, qui ne tient pas la route, à moins de donner au mot terroir une acception plus élastique qu’une balle de squash; parler « d’interactions entre un milieu physique et biologiques, et un ensemble de facteurs humains » ne vaut guère mieux: la formule est tellement vague qu’elle ne décrit plus rien. Seule peut-être l’OIV, dans sa « définition » du mot terroir, a réussi à faire plus flou!

En résumé : si vous voulez être crédibles, Mesdames et Messieurs de l’INAO, ne vous enfermez pas dans votre tour d’ivoire, ne vous retranchez pas derrière le secret des délibérations alors que celles-ci nous concernent tous, comme buveurs et utilisateurs des mentions. Communiquez. Assumez. Expliquez. Convainquez-nous de votre indépendance et de votre utilité.

PS. Un grand merci à mon amie Anne Serres pour le vin qui a servi de point de départ à cette dissertation – le Grand vin du Château de Villemajou, millésime 2014. Bon vent à toi, Anne, dans tes nouveaux défis! Et à la santé de l’INAO!

Hervé Lalau

9 réflexions sur “INAO : ah, le beau bouc émissaire !

  1. Pour mémoire: « L’identité d’un produit AOC ou IGP repose sur un nom géographique dont le respect doit être assuré en France, en Europe et partout ailleurs à l’étranger. La protection du nom revient à protéger tout l’édifice des dénominations géographiques dont les composantes sont de nature tant sociale et culturelle qu’économique. Le droit des appellations d’origine est reconnu en tant qu’élément de la propriété intellectuelle au plan européen, au même titre que le droit des marques et brevets. »

    Extrait du site de l’INAO

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  2. Hervé, faisant clairement et sans honte partie de ta première catégorie des objecteurs à l’INAO et ses absurdités, je tiens à corriger une erreur de fond dans ton regard sur ce qui se passe dans les pays du Nouveau Monde. Le seul aspect des appellations qui est appliqué dans tous ces pays est le lien géographique avec le vin produit. Ni cépage(s), ni proportion de cépages, ni couleur, ni type, et encore moins mode de production ne font partie des appellations géographiques dans le Nouveau Monde. Et c’est tant mieux ainsi ! Comme tu le dis, c’est le producteur qui fait la qualité du vin et non pas le cadre juridique.

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    1. Je le sais bien, David, pour l’avoir expérimenté en Afrique du Sud et au Chili. Mais il n’en reste pas moins que ces gens, qui n’avaient aucune AOC, s’en sont dotées. Ce qui prouve que la marque n’est pas le seul moyen de se vendre, même dans ces pays neufs.
      Par ailleurs, je n’ai pas cité d’exemple de l’Autriche: les nouvelles DAC intègrent la notion de cépage, certaines sont réservées à un cépage, alors que les dénominations régionales qui les ont précédées (et qui continuent d’exister) ne le faisaient pas.
      Et j’espère bien que tu n’as pas honte, chacun a le droit de défendre ses idées.

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  3. La marque du vigneron/producteur est presque toujours le meilleur moyen de se vendre. Comment expliquer autrement les écarts de prix entre différents producteurs d’une seule région/appellation. Ce que je trouve aussi absurde de contre-productif dans la vision, disons Franco-Européenne, des appellations est cette volonté de tout contrôler. Contrôler l’usage d’une origine géographique est légitime. Imposer tel ou tel cépage, par exemple, ne l’est pas à mon sens, et cela va bien plus loin (comme tu le sais) et sans qu’il y ait un contrôle sur la qualité du vin qui en résulte. Dans ce cas (et c’est la nature humaine) autant laisser les producteurs faire ce qu’il veulent et juste contrôler l’origine du fruit s’il veulent revendiquer une origine spécifique. Tout le reste est foutaise et « typicité ».

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    1. D’accord, mais ton argument est à double tranchant David: comment expliquer les écarts de prix entre les vins d’un même vigneron qui vend une appellation prestigieuse et l’autre moins; le Côtes-du-Rhône de Guigal ne se vend pas au prix de ses Côte-Rôtie…

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  4. georgestruc

    Merci, Hervé, pour ce long billet qui appellerait des réponses (au sens complémentaire du terme) tout aussi longues état donné que des sujets assez différents sont abordés.
    David, nous connaissons votre position. Elle est défendable, ce que souligne Hervé. Toutefois, il s’agit de celle qui a la faveur des gros producteurs, qui visent un chiffre d’affaire fondé sur la masse et non pas sur les singularités et les excellences. Pas de barrière, liberté de faire ce que l’on veut : c’est la plus sure voie pour favoriser la disparition des vignerons modestes, ainsi que celle du tissu social qui les unit.
    Au cœur de ce débat, existe l’histoire des AOC, que l’on ne peut balayer d’un geste « libéral » et mettre à la poubelle au prétexte que cela occasionne des lourdeurs, des problèmes, des mutismes ou de grandes envolées, des décisions contestées sans être forcément contestables, ou encore des attitudes de victimisation insupportables….
    Les Syndicats d’AOC et les ODG sont bien contents de faire appel à un organisme totalement indépendant, dont les membres des commissions d’enquête et des commissions d’experts sont loyaux et compétents. Une délimitation effectuée par un syndicat de vignerons tournerait au pugilat et serait impossible à réaliser. On peut, certes, imaginer qu’il n’existe pas de délimitation. On plante du raisin partout et n’importe quel cépage. C’est ce que vous exprimez, David : …autant laisser les producteurs faire ce qu’il veulent…. Mais c’est la mort assurée de la viticulture !! Des propriétés immenses, contrôlées par de puissants winemakers, vont se constituer et accaparer la totalité du marché. C’est déjà plus qu’une tendance. Dans ma région, les coopératives sont à la peine : attirés par les offres de gros acheteurs de vendange, les coopérateurs fuient et contribuent à fragiliser leur propre outil de travail en oubliant que cette structure a contribué à les faire vivre et à les enrichir (n’ayons pas peur des mots).
    Qui, parmi les 5 du Vin et parmi les lecteurs, sait vraiment comment fonctionne l’INAO ? Et surtout, de quoi est faite la journée d’un ingénieur ? Comment s’organise et se déroule une délimitation ? Comment s’écrit un cahier des charges et quels en sont les auteurs ? Comment sont-ils validés et par qui ? J’ai beau jeu, que l’on me pardonne, de titiller ainsi nos amis, étant expert occasionnel depuis 20 ans au service de l’INAO. Au moins, j’ai l’avantage d’avoir vécu in situ ce dont il s’agit et non pas de disposer d’un regard qui reste totalement superficiel.
    Nota : Hervé, les pb de vins d’Espagne et de vins désalcoolisés présents dans des rayons de vins de pays concernent les douanes et la répression des fraudes et non pas l’INAO. On est dans le domaine de la contrefaçon, d’une tromperie d’autant plus grave qu’elle se fait en toute connaissance de cause… Elle concerne les consommateurs et non pas les producteurs. Il suffirait qu’un seul consommateur porte plainte auprès de la DGCCRF.

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    1. Hervé LALAU

      Merci Georges. Mon texte était peut-être trop long et un peu fouillis. C’est sorti tout seul.
      Bonne remarque pour la référence à la présentation des vins en GD; je l’ai enlevée, car c’est vrai que ce n’est sans doute pas directement du ressort de l’INAO.
      J’aurais quand même pensé qu’il pouvait attirer l’attention des fraudes, comme il l’a fait pour « Bord’eau ».

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      1. georgestruc

        Pour Bord’eau nous nous trouvons devant un pb d’étiquette et de marque, concernant un produit. l’INAO est donc concerné. Dans le cas de la GD et des vins de pays, les étiquettes sont sans doute sincères ; c’est l’emplacement des bouteilles qui trompe le client.
        Ton billet contient la somme des questions que l’on peut se poser sur ces sujets clivants. Long, peut-être, mais tout y est ! c’est bien là l’essentiel.

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