Le rosé a-t-il une histoire?

Notre confrère et ami André Deyrieux (winetourisminfrance) nous parle cette semaine de l’histoire d’un type de vin… qui n’existe pas!

Le vin rosé n’existe pas. En tout cas, il n’a pas de définition légale. C’est un vin rouge dont la macération avant fermentation est courte, ce qui fait que le jus du raisin – foulé ou légèrement pressé – est peu en contact avec la peau des baies : il se colore donc peu, avec bien des nuances dans ce peu de couleur.

Le vin rosé n’existe pas. Pourtant l’humanité buveuse de vin n’a quasiment connu que ça…

Allégrie et Mélancolie

Vinum clarum

Les buveurs de l’Antiquité consomment bien plus de vin blanc et de vinum clarum (vin clair) que de vinum rubeum (vin rouge). Au cours du Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle désigné sous les qualificatifs divers de clairet, cléret, claret, paillet, gris de perle, œil-de-perdrix… le vin rosé est celui qui est le plus produit – puisque, contrainte technique à ne pas négliger, les pressoirs sont rares et chers – et le plus bu, comme en témoignent les nombreuses scènes de genre et les natures mortes de la peinture de ces époques. Sa couleur claire, donc considérée comme distinguée, le fait particulièrement apprécier par l’aristocratie… Ce n’est qu’en 1680 qu’apparaît l’expression vin rosé. Le Dictionnaire de Richelet précise alors « qu’il est d’un rouge agréable et tirant sur la couleur d’une rose d’un rouge vif ».

L’expression vin gris ne se trouve qu’en 1690 dans le Dictionnaire de Furetière. Si l’on éprouve à ce moment-là le besoin de nommer le vin rosé, c’est que le vin rouge devient plus apprécié et consommé, notamment à la suite de « l’invention » au milieu du XVIIe siècle par Arnaud de Pontac au Château Haut-Brion de ce que la clientèle anglaise appelle le new french claret, plus rouge que claret…

Il y a une autre raison, psychologique, pour que le vin devienne d’un rouge plus foncé au XVIIe siècle, c’est celle de la concurrence de nouvelles boissons « fortes » comme le porto, le thé, le chocolat et le café…

Au fil du temps, la diffusion des innovations techniques (pressoir, mèche hollandaise, durées de cuvaison, ouillage, soutirage…), le goût des clientèles, les modes alimentaires imposent la consommation des vins rouges. Au XIXe siècle, les vins rouges, bleus, voire noirs sont parés de toutes les vertus et notamment considérés – au moment de  la révolution industrielle – comme les boissons énergétiques de l’époque. Les techniques de vinification sont adaptées en conséquence, les vignobles du Sud plébiscités, et on ira même jusqu’à rechercher des cépages « teinturiers », dont le jus lui-même est coloré et non simplement les peaux.

 

Provence… et Boulaouane!

Autre changement de mœurs et d’humeur lorsque les Français découvrent les congés payés, les gris de Boulaouane et les vins rosés de Provence. La mode du rosé gagne les consommateurs. Dans les années 80, la Provence, grâce à une nouvelle maîtrise des températures de vinification, invente le rosé clair ou pâle, sec et aromatique. Presque tous les vignobles français, y compris les plus « rouges » d’entre eux tel Bandol, élaborent désormais des rosés. Ils représentent aujourd’hui un peu plus de 10 % de la consommation mondiale de vins tranquilles (non effervescents).

Le rosé a donc bien une histoire, et elle se confond avec l’histoire du vin. Les vins rosés ne sont pas que modernes. Certains peuvent se prévaloir d’une plus-value historique et culturelle, voire d’un gène de résistance au regard de la primauté du rouge qui s’imposa au XIXe siècle, qu’ils auraient tort de ne pas valoriser. Cet été, on se fixera pour but de découvrir par exemple le « bordeaux-clairet », le marsannay, le plutôt doux cabernet-d’anjou et le plus sec saumur rosé, le vin gris de touraine-noble-joué, le vin gris de Toul, le Rosé des Riceys et le Tavel qui se définit « vin rouge de couleur rubis clair teinté d’or ».

On cherchera aussi les vins rosés qui portent les valeurs de leurs cépages historiques. Goûtez les cuvées de grolleau ou de pineau d’Aunis en rosé d’Anjou (vin encore surnommé localement rouget) ; de négrette à Fronton ; de brachet et de folle noire à Bellet ; et de… rosé du Var (oui, c’est bien le nom d’un cépage !) en Provence. Certains vins gris sont élaborés avec des cépages gris comme l’aramon gris, le sauvignon gris ou le grenache gris… Ce sont des gris de gris ! Grisant, non ?

 

André Deyrieux

Une réflexion sur “Le rosé a-t-il une histoire?

  1. Très bel article, André. Instructif et plaisant. Le Pinot d’Aunis est une petite merveille, mais peu de vignerons le cultivent. le Grenache gris a presque disparu de notre vallée du Rhône sud. La cuvée « La Louronne » de château Simian (massif d’Uchaux) représente parfaitement ce qu’un vigneron habile arrive à tirer de ce cépage. Je suis fan !!

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