Languedoc blanc : Picpoul de Pinet Patience

Après vous être « désaltérés »* avec les cuvées traditionnelles du Picpoul de Pinet, je vous propose d’aller goûter du côté des vins d’exception, de ces grands vins blancs du Languedoc qui ont aussi « vue sur la mer », tout près de là où Brassens « passe sa mort en vacances ».
*Avec modération of course.

Vignes avec vue sur Sète @E.Perrin

Une histoire et des personnages

L’histoire d’un vignoble est surtout collective et celle du Picpoul-de-Pinet est jalonnée de fortes personnalités. Elles ont modelé le profil des vins et ont su fédérer les producteurs derrière des choix audacieux.
Le passé du piquepoul est étroitement lié au vin de liqueur et tout particulièrement le Vermouth. « Inventé » à Turin à partir d’une recette allemande mêlant à base vin doux et l’absinthe (Vermut, dans la langue de Goethe), ce produit a été réinterprété par de nombreux producteurs, parmi lesquels le pharmacien Joseph Noilly.

C’est en 1813 que celui-ci crée sa propre recette composée d’une vingtaine de plantes. Dans les années 1840, son fils Louis fonde une compagnie à Marseille, dirigée par son gendre Claudius Prat. Ce dernier installe les chais «Noilly-Prat» à Marseillan en 1850, au plus près du vignoble. Le piquepoul, doté d’une belle acidité juteuse, s’avère un cépage particulièrement adapté à ces préparations apéritives. C’est un marché florissant qui se poursuivra au-delà de la crise phylloxérique. À côté des fournisseurs de raisin à vermouth, quelques vignerons isolés exploitent la mode liquoreuse et le potentiel de surmaturité du piquepoul pour en faire des vins naturellement doux.

Maison Noilly Prat à Marseillan

D’après Marc Médevieille, c’est en Belgique que les vins de piquepoul (sec) obtiennent une première reconnaissance internationale en 1905 à Liège,  Au vignoble, la production s’organise pour gérer le marché et la qualité des vins. En 1923, Ludovic Gaujal monte la cave coopérative de Pinet avec une cinquantaine de petits producteurs. Une dizaine d’années plus tard, Pomérols et Marseillan créent aussi leur coopérative. Le rapport avec le négoce s’équilibre alors que le marché du liquoreux s’étiole.

Picpoul de Pinet dans les piochs @Vitinova

Dans les années 60-70, sous la présidence de Charles de Gaulle puis de Georges Pompidou, le gouvernement français entreprend «l’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon» dont on admire toujours aujourd’hui la profusion immobilière. Si le vignoble de Pinet n’est pas sur la zone de remembrement, en revanche il va profiter de cette arrivée massive de clients potentiels. En 1963, Etienne Farras, le nouveau directeur de la cave de Pinet organise une révolution qualitative. Il modernise la cave, impose la replantation du piquepoul, met en bouteille à la propriété et passe des accords avec les restaurants et les producteurs d’huîtres. En 1971, dans sa propre mairie, il invente une cérémonie de mariage entre le Picpoul-de-Pinet et l’huître de Bouzigues. Un accord met et vin qui deviendra fondateur.

Guy Bascou. @Vitinova

En 1998, Guy Bascou, le plus ardent défenseur du piquepoul, prend la présidence du syndicat du Cru. Le Picpoul-de-Pinet n’est encore qu’une DGC de l’appellation Coteaux-du-Languedoc. Il portera ce dossier collectif jusqu’à l’obtention de l’AOC en 2013. Ingénieur agro et œnologue, il a développé de nouveaux processus de vinification et a contribué à une meilleure valorisation du terroir. L’AOC Picpoul de Pinet s’étend sur 7 communes au-dessus du Bassin de Thau et de la Méditerranée, en Occitanie, dans l’Hérault.

 

Les plus contemporains des hérauts du piquepoul se trouvent à la tête des coopératives de l’appellation. Cyril Payon, à l’Ormarine (cave de Pinet) met en place un système ingénieux de suivi des vendanges qui permet une récolte au meilleur moment et une vinification dans les meilleures conditions. Joël Julien, chez Beauvignac (Cave de Pomérols), impose le Picpoul de Pinet en Angleterre via Tesco. Stéphane Roques, directeur des vignerons de Florensac, joue un rôle moteur dans son développement oenotouristique. Pour donner quelques exemples de leurs réalisations.
Parmi les femmes de l’appellation, Claude Jourdan, à la tête du domaine familial Félines-Jourdan, mène le combat pour un élevage digne d’un grand vin de terroir, avec les fameuses cuvées Patience.

Les cuvées Patience

Un nom évoquant l’attente nécessaire et bienfaisante pour obtenir le haut de gamme de l’appellation. Patience est une démarche collective pour faire connaître le potentiel de garde du Picpoul-de-Pinet et les qualités gastronomiques qui l’accompagnent. Vous pouvez les reconnaitre par leur bouteille commune, une flûte renaissance cannelle de chez Vérallia.
Pour y participer le vigneron doit pouvoir « tracer » l’itinéraire de sa cuvée de la parcelle à la bouteille. La déclaration se fait dans le mois qui suit la récolte. La cuvée doit être approuvée lors des trois dégustations syndicales. La maturité du raisin et la durée d’élevage sont, avec le terroir, les clés pour obtenir ce graal. Je vous en présente sept sur douze producteurs élus.

Dégustation

Domaine Félines-Jourdan, Patience 2022
Une robe dorée et brillante qui va bien aux notes chaleureuses de fruits exotiques bien mûrs et de miel d’acacia, des notes de cerise au jus. Même histoire en bouche mais tout en longueur avec une nervosité de jeunot. On sent qu’il « en a sous le pied », une belle réserve d’énergie qu’on peut apprécier brute dans sa jeunesse ou bien laisser se fondre puis raconter de subtiles saveurs, en texture soyeuse. Le temps devrait lui donner de la douceur.
Élevage sur lies 6 mois en cuve inox. 13,20 €
http://www.felines-jourdan.com

Domaine de Belle mare, bouteille n°1952, 2022
Or clair. Le vin semble sur la retenue, élaboré pour bien vieillir, il est sur la réserve, réduit comme disent les techniciens. Pour l’apprécier maintenant, il faut le carafer, attendre qu’il s’ouvre.
Une légère sucrosité en bouche qui se marie avec un fruit tendre et acidulé. Une promesse de plaisir à venir.
Élevage sur lies en amphore de 12 mois, 18 €
www.belle-mare.com

Domaine du Petit Roubié, L’O Patience 2022, Bio

Une robe d’un or vif et brillant, bel éclat. Le nez nous emmène dans la nature, notes florales de lilas et de genêt, garrigue avec ses lauriers, bise iodée, miel et fruits bien mûrs. Quelle balade. La bouche privilégie le fruit, elle est à la fois souple et tendue, fondante et vive avec une acidité d’ananas frais. Même sans détailler on sent une harmonie entre le fruit gourmand et l’acidité fraiche. Un grand vin complexe et savoureux.
8 mois d’élevage sur lies, 16 €
www.petit-roubie.com

Cave de l’Ormarine, Hommage à Etienne Farras 2021
Or clair. D’emblée sur des notes de fruits acidulés, le pamplemousse rosé, la bergamote et les fruits de la passion, il s’ouvre ensuite sur l’air iodé de la mer puis encore la douceur d’une gelée de coing. Tout est là aussi en bouche, le vin semble s’étirer pour être plus fin, plus tendu, plus frais. Long final acidulé avec une légère amertume de pépins d’agrume. Vif et long.
http://www.cave-ormarine.com

Beauvignac, cuvée Millésime, HB chevalier 2020
Or clair au reflet vert. Le nez est gourmand avec un fruit exotique mûr, mangue et litchi, puis des notes de pistache et de noisette grillées, un touche citronnée. Friand en bouche, le fruit est juteux, la mache tendre et feutrée, c’est posé, tranquille, dans un bel équilibre qui se prolonge tranquillement avec des notes grillées. Du caractère et séduisant.
Élevage de six mois en cuve, 16,50 €
www.cave-pomerols.com

Château de Pinet, Gaujal de Saint Bon, cuvée Impériale 2020
Robe d’un blond doré qui évoque le soleil et la maturité. Le nez est timide, encore dans la paix de son élevage en terre. La bouche est complexe, d’abord par sa matière feutrée, son équilibre vif, sa longueur minérale et une touche d’amertume. Le vin impose son histoire avec sa tenue dans le temps. Il s’étire avec des épices douces et quelques poivres. Une bonne présence toute en longueur.
Élevage sur lies en jarre de grès,17,80 €
gaujaldesaintbon.com

Les vignerons de Florensac, sélection Patience 2019
Le plus vieux de la série
La robe a pris une teinte de maturité mais nous avions noté une évolution dorée chez quelques jeunots aussi. Le nez est expressif et fruité sans l’ombre d’une évolution, juste bien mûr. La bouche est savoureuse, elle laisse une empreinte fruitée, des notes grillées, un soupçon d’amertume, le tout bien relevé par une acidité fraiche, seule la douceur de la mache nous révèle la maturité du vin. Quelle présence, un si joli jus est une invitation à passer à table, avec plaisir.
Élevage de dix mois en cuve, 15 €
flores.vin

Toutes les cuvées Patience sont conditionnées dans une flûte renaissance de chez Vérallia.
Je ne pourrais pas généraliser après une seule dégustation de sept vins, dont certains sont encore très jeunes, mais je reconnais une belle qualité dans ces cuvées. Le temps ne semble pas avoir de prise sur elles, on reste dans la fraicheur et la vivacité, le fruit est bien présent. Le Picpoul de Pinet n’a pas d’âge, toujours fringant et tonique. Si je devais forcer le trait pour trouver une différence avec la version plus gouleyante de la semaine dernière, elle serait dans « la largeur des épaules » qui lui donne plus ou moins d’ampleur. Mais, qu’il soit svelte ou athlète, le Picpoul de Pinet est un piquepoul bien né !

Merci à Vitinova pour les belles photos

Nadine Franjus