La transmission réussie : l’exemple des Plageoles à Gaillac

Il est une question qui intéresse toutes les familles engagées dans la production artisanale (pour l’industrie, cela peut aussi être le cas, mais les structures diffèrent) : celle de la transmission entre les générations. Cela n’est pas propre aux vignerons, même si c’est eux qui nous préoccupent aujourd’hui.

Tout outil de production de vin est par définition plus ou moins fragile, selon les volontés et les compétences variables de générations successives, mais aussi en fonction des contraintes fiscales et commerciales, et, malheureusement, des aléas climatiques.

Robert-and-BernardRobert et Bernard Plageoles dans leurs vignes à Gaillac (photo The Vine Route)

Malgré les difficultés inhérentes à une transmission directe aux descendants, je suis souvent frappé par l’extraordinaire pérennité des familles de vignerons en Alsace, pour prendre un exemple. On en trouve qui en sont à la dixième génération, voire au delà, et cela, malgré les vicissitudes politiques qui ont agité cette belle région. Mais, pour illustrer mon propos d’aujourd’hui, je vais prendre un exemple issu d’une autre région : le Sud-Ouest de la France et l’appellation Gaillac. Je connais la famille Plageoles depuis près de 30 ans, ayant d’abord vendu leurs vins en tant que caviste avant de faire connaissance avec Robert et sa femme Josy, puis avec leur fils Bernard et sa femme Myriam, et maintenant, depuis peu, avec les fils de Bernard et Myriam, Florent et Romain.

Florent PlageolesFlorent Plageoles en action : la troisième génération que j’ai connu de cette famille exemplaire de vignerons de Gaillac

 

Je les vois, soit chez eux, soit lors de dégustations à Paris, d’une manière sporadique mais régulière, environ une fois tous les deux ans, parfois plus. Cela m’a permis de suivre, sur toute cette période, une évolution fascinante du domaine et de ses vins, mais aussi le passage progressif du témoin de Robert à Bernard. La suite semble maintenant programmée avec l’entrée dans l’exploitation familiale de Florent et de Romain. L’aventure viticole des Plageoles à Gaillac ira surement jusqu’à la 7ème génération, voire au-delà, car un petit Marcel Plageoles II est déjà sur pieds – mais non-greffé pour le moment.

Pour conter cette histoire, il faut remonter plus loin; car Robert Plageoles, malgré sa renommée et la place tutélaire qu’il a pris, souvent malgré lui et face à des oppositions aussi virulentes que parfois malfaisantes, n’a fait que de poursuivre et développer le travail de son père Marcel. Ce Marcel Plageoles avait hérité d’un petit domaine de 5 hectares, planté uniquement de cépages blancs. Avant lui, il y eut Jules, François et Emile, souvent métayers, puis acquérant, petit à petit, des lopins de vigne. Mais Marcel avait une autre vision du Gaillacois, car il était aussi greffeur et ce travail l’amenait à connaître par cœur tout le vignoble et à récupérer, ici et là, des pieds de vigne qu’il trouvait digne d’intérêt. C’est lui qui a planté, par exemple, quelques pieds d’un vieux cépage, l’ondenc, qui a failli disparaître et qui allait avoir une nouvelle vie grâce au travail de recherche méticuleux de Robert.

gamme PlageolesUne partie de la large gamme de vins produits par les Plageoles

A ma connaissance, c’est Robert qui a lancé le processus d’innovation, allié à un travail en profondeur sur les bases historiques de ce vignoble gaillacois. D’abord, il a vinifié et embouteillé les cépages séparément, utilisant toute la gamme des variétés alors à sa disposition, mais aussi les types : rouge, blanc sec, blanc doux et pétillant. Ses étiquettes étaient déjà modernes et claires, avant les autres, avec une identité graphique facilement reconnaissable. Les vins allaient des « simples » gamay et sauvignon blanc au très complexe Vin de Voile, un vin oxydatif à élevage long sous bois utilisant le cépage local mauzac : un vin déroutant pour les esprits formatés. Puis de la syrah, de la muscadelle et, petit à petit, l’introduction, en fonction de ses recherches et plantations, d’autres variétés plus purement locales comme le duras ou le prunelart (en rouge), l’ondenc et le verdanel (en blanc). Et cette liste, qui varie dans le temps, n’est pas exhaustive, car il y aussi le braucol (alias fer servadou), et toutes les variantes du mauzac, dont certaines produisent le célèbre Mauzac Nature, un blanc effervescent fait selon la méthode rurale que Marcel, le père de Robert, avait maintenu.

Tous ceux qui ont connu Robert Plageoles gardent de lui le souvenir d’un personnage très attachant, chaleureux, généreux et volubile, au savoir riche et multiple et à la curiosité quasi inépuisable. Un tel personnage peut aussi être, forcément, un peu encombrant pour celui qui lui succède sur le domaine, en l’occurrence son fils Bernard. Mais c’est tout à l’honneur de ces deux, et certainement aussi à la sagesse et aux efforts de leurs épouses, que la transition de l’un à l’autre se soit si bien passée. Bernard s’est fait sa place, avec un style qui lui est propre, fait de franchise et d’engagement, et grâce à un travail formidable, partagé avec sa femme Myriam, qui prolonge et amplifie l’héritage de ses aïeux. Robert garde son rôle d’agitateur d’idées et on afflue à ses conférences sur les cépages rares dont beaucoup doivent leur survie et leur nouvel élan à lui-même.

Car de quoi parle-t-on quand on se lance sur la piste des variétés dites « rares » ? De plusieurs choses en même temps : diversité des goûts, adaptabilité aux climats locaux spécifiques, résistance aux maladies (éventuellement), lien avec le passé et possibilités d’avenir avec une identité particulière pour chaque région. Dire que Robert Plageoles a été un pionnier dans ce domaine à Gaillac est comme dire que la reine d’Angleterre porte des chapeaux colorés. Hormis cet homme, seuls des ignorants ou des malotrus peuvent prétendre avoir retrouvé, expérimenté, puis lancé l’ondenc, le prunelart, le verdanel et d’autres variétés tombées dans les oubliettes. Ses recherches l’ont mené sur les chemins de l’histoire gaillacoise, mais aussi un peu partout, y compris , souvent, vers la réserve ampélographique de Vassal, bientôt déménagée et un peu perdue, à son grand regret.

Gaillac a fini par reconnaître, du moins dans les faits, le rôle essentiel joué par Robert Plageoles pour son appellation. Entre 1960 et 1990, selon les chiffres fournis par Philippe Séguier dans son livre Le Vignoble de Gaillac (curieusement pas disponible à la Maison des Vins de Gaillac !!!), les surfaces plantées en braucol sont passées d’un hectare à 350, celle de duras de 77 à 850, et plusieurs autres vignerons ont planté de l’ondenc et du prunelart. Et je parie que ces chiffres sont encore en augmentation nette depuis lors. La propriété des Plageoles totalise maintenant environ 40 hectares, avec l’acquisition récente de quelques hectares supplémentaires, à planter à ou à replanter : de quoi assurer la vie de bientôt trois familles et deux ou trois générations sur le domaine. Son avenir est en marche, mais il ne le serait pas sans son passé. Une leçon à méditer, sûrement.

PS. Mes remerciements à Florent Leclercq, qui m’a fourni des informations utiles via son bel article sur les Plageoles dans la revue Plaisirs du Tarn.

David Cobbold

3 réflexions sur “La transmission réussie : l’exemple des Plageoles à Gaillac

  1. Ne faut-il pas rapprocher la réussite de la transmission familiale avec celle du vin? Le Domaine Plageoles produit des vins d’une qualité remarquable. Pas seulement parce que leur terroir des Très Cantous est exceptionnel mais surtout parce que les vignerons savent travailler la vigne et le vin. On ajoute à ces qualités, l’imagination créative de Robert qui a su trouver la parade au déclin de l’appellation. Du caractère, du talent et de la bonne humeur, autant de richesse que les pères ont su transmettre de génération en génération.

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  2. Oui Nadine, mais, malheureusement cela ne va pas toujours de soi : je veux dire que ce n’est pas parce qu’on travaille bien et que l’on fait de bons vins que la transmissions entre générations se passe au mieux. Il y a de nombreux exemples du contraire.

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