Domaine des Thermes: modestie et mérites d’un indépendant du Brulhois

Il est frappant de voir à quel point plusieurs petites appellations du Sud-Ouest sont dominées par des caves coopératives. J’ai évoqué récemment ici le cas de la Cave de Plaimont et leurs 98% de l’appellation Saint-Mont, mais on peut aussi citer des situations analogues de quasi-monopole à Buzet comme, juste en amont de là, en Brulhois. La raison est très probablement liée au fait que la viticulture dans cette région, aussi ancienne qu’elle soit, n’a souvent constitué qu’une partie modeste d’une activité agricole basée sur la polyculture. Partout dans ce coin du Sud-Ouest, élevage de vaches et de canards, cultures de céréales et de fruits côtoient un vignoble largement espacé et planté de cépages parfois peu connus en dehors de la région.

Un peu d’histoire et de géographie

Le mot Brulhois viendrait du celte brogilo via l’occitan brulhès, qui signifient bord de rivière boisé. La Garonne est toute proche et aujourd’hui encore, les sommets des collines sont copieusement boisés. Brulhois a acquis le statut d’AOC/AOP en 2011, venant de celui de VDQS et de la dénomination Côtes de Brulhois. Cette petite aire d’environ 300 hectares, dont seulement 200 hectares sont plantées, se situe à la confluence de trois départements : Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne et Gers, avec la majeure partie en Lot-et-Garonne. Elle se divise ainsi entre deux des régions actuelles, Aquitaine et Midi-Pyrenées, ce qui ne doit rien faire pour simplifier tout ce qui concerne les démarches administratives. Très majoritairement située en terre gasconne, sur la rive gauche de la Garonne, elle s’étend aussi sur une petite partie au nord du fleuve. Comme d’autres appellations qui longent la Garonne et ses affluents, elle se réfère à une origine gallo-romaine mais a probablement connu son apogée au XIIème et début XIVème siècles, sous l’occupation anglaise, lorsque des quantités nettement plus importantes de vins qui y étaient produits que maintenant; des sources citent 48,000 hectolitres, ce qui est entre 4 et 5 fois le volume actuel. Ces vins étant alors expédiés vers Bordeaux et l’Angleterre sur des gabares, en descendant la Garonne. Le déclin a suivi le départ des Anglais, car toute la région a perdu son principal marché, et la situation a dû se dégrader pendant et suite aux guerres de religion, ce pays d’Albret étant marqué par le protestantisme.

IMG_7055Une partie du vignoble  de coteau du Domaine des Thermes avec la vallée de la Garonne et la centrale de Golfech au fond

Bien plus tard, deux caves coopératives y furent fondées dans les années 1960. Elles ont depuis fusionnées pour constituer une seule entité: Les Vignerons du Brulhois. Seuls six producteurs de petite taille sont indépendants de cette structure, dont le Domaine des Thermes, proche du beau village d’Auvillar qui domine la vallée de la Garonne.

Enthousiasme et sincérité

Le domaine évoque des thermes car le site, très anciennement habité,  recèle des sources réputées. Sur ces collines douces, souvent bien garnies de bois où les chasseurs de de cèpes gardent bien les leurs (de sources), la famille Combarel est arrivée avant la guerre,  de son Aveyron d’origine, pour élever des moutons. La propriété de 50 hectares a bien évolué depuis lors. Les moutons ne sont plus là et Thierry Combarel, qui exploite le domaine avec sa dame, Dominique Jollet Peraldi, venue de sa Corse natale, travaille aussi maintenant 8 hectares et demi de vignes, plantés d’un belle gamme de cépages. Si l’appellation Brulhois n’admets que vins rouges et rosés, elle autorise pas mal de cépages : cabernet sauvignon, cabernet franc, merlot, malbec, tannat et fer servadou (appellé pinenc un peu plus à l’ouest). A côté de cela, Thierry a planté du colombard et du petit manseng afin de pouvoir aussi élaborer deux vins blancs, un sec et un doux, en IGP Comté Tolosan.

IMG_7049Dominique et Thierry devant la vigne qui jouxte le chai

Comment émerger dans une masse de vins de partout, d’un niveau qualitatif croissant, et dont beaucoup bénéficient de l’atout d’une appellation connue comme Cahors, par exemple. Et surtout, comme c’est le cas de ce domaine, quand la taille critique est difficile à atteindre vu le faible nombre de droits de plantation accordés chaque année et, surtout, la nécessité de continuer à gagner sa vie en faisant tourner l’exploitation par une production, annexe mais majoritaire, de céréales ? C’est le dilemme de Thierry et de Dominique, qui pourtant se donnent beaucoup de mal, travaillant leur vignoble avec une approche plus que raisonnée, avec vendanges et façons à la main et une vrai volonté de faire le meilleur vin possible. Ils pensent au « bio » mais voient aussi les difficultés subies par quelques collègues au niveau des rendements et ne peuvent pas se le permettre. Mais Thierry utilise du soufre en poudre et ne traite en insecticide qu’une seule fois. Le vignes sont impeccablement tenues : on dirait un jardin.

IMG_7042L’accueil au Domaine des Thermes se fait dans une belle salle claire, avec enthousiasme et sincérité

C’est la deuxième fois que je leur rendais visite, et, après une intervalle de 2 ou 3 ans, j’ai pu constater les progrès fait dans les vins, mais aussi dans l’accueil, avec une très belle salle claire et leur esprit, vif , ouvert et communicatif, toujours à la disposition du visiteur. Thierry aimerait faire encore mieux. Il n’a pas pu faire des études poussées et compte sur les conseils d’un œnologue qui vient de loin. Mais, dans ce coin peu viticole, les oenologues conseils n’abondent pas et, de toute façon, il n’a pas les moyens d’être vigneron à 100%.

IMG_7050Peu de vins de la gamme utilisent de la barrique, entre autres pour des raisons de coût. Pourtant, je pense que cela est bénéfique pour ce style de vin.

L’autre gros problème est la vente. Faire tourner une exploitation de 50 hectares, même avec peu de vignes, prend tout son temps. Le budget pour se faire connaître lors de salons et autres manifestations n’est pas disponible et le couple ne peut pas voyager beaucoup pour vendre ses vins. Le résultat est une vente qui dépend encore beaucoup du vrac ou du bib, avec, à la clef, une faible valorisation. Même les bouteilles ne sont pas chères, car cette gamme-là va de 4 à 8 euros, ce dernier prix pour un rouge ayant subi un élevage en barriques et ayant au moins 5 ans d’âge !

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Quand je regarde les étiquettes de cette gamme de vins (surtout les rouges) j’ai du mal à y voir une identité visuelle, tant le graphisme et les couleurs semblent y être accumulés pêle-mêle. On dirait une collection de flacons de 5 domaines différents ! Les vins ont cependant une vraie personnalité, parfois un poil rugueux (tannat en malbec obligent), mais toujours d’une parfaite netteté et dans une expression sincère qui force l’admiration. J’ai beaucoup aimé le très vif vin doux produit avec du petit manseng récolté en novembre à 19° naturels dans le millésime 2014. Sa très belle équilibre dépend de l’acidité naturelle de ce cépage et la longueur est remarquable pour un vin de ce prix. La cuvée FMT 2012 (Fan de Mon Terroir), en collaboration avec le restaurant voisin l’Auberge de Bardigues, fait appel à du fer, du merlot et du tannat et donne un rouge assez intense, à l’accent rocailleux sur un fond suffisamment fruité. Mon rouge préféré lors de cette dégustation rapide était le Domaine de Thermes 2010, élevé en barriques de 2 ans. Je crois que l’assouplissement et l’aération progressive apporté par un élevage sous bois est bénéfique pour ces vins car j’ai trouvé les cuvées sans bois un peu trop anguleuses. Mais pas de bois neuf, et probablement des contenants plus grands. Mais on ne peut pas tout faire sur un petit budget.

IMG_7044La gamme est dominée par des vins rouges mais complétée par deux blancs et un rosé. On détecte une amélioration dans les étiquettes avec deux dernières additions à la gamme : les deux blancs.

 

Thierry et Dominique ont beaucoup de mérite. J’aime la franchise de leur approche, leur travail sincère et méticuleux et leur attachement à ce très beau site. Je souhaite que leurs vins trouvent des marchés plus étendus et que cela leur permette, petit à petit, à aller là ou ils veulent, probablement vers le haut car ils en sont très capables.

David Cobbold

(texte et photos)

6 réflexions sur “Domaine des Thermes: modestie et mérites d’un indépendant du Brulhois

  1. Joli coup de projecteur sur ce joli petit coin de France. J’ai toujours eu du mal à cerner l’identité des Brulhois et des Lavilledieu (s’ils existent encore, ceux-là). Aquitains? Gascons? Il faudrait que je me refasse une idée. Tu m’en as donné l’envie. Comme on trouve difficilement les bouteilles hors de la région (juste de temps à autre, une cuvée facile de la Cave Coopérative), il faudra que je descende. Peut-être à l’occasion de mon prochain voyage pour l’IGP Côtes de Gascogne. Tiens, ton avis de Gascon: l’AOC Brulhois apporte quelque chose par rapport à l’IGP Côtes de Gascogne?

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  3. Comme tu le sais, David, les VDQS avaient le choix: passer AOP ou IGP, avec des contraintes différentes. Mais vu la latitude laissée par Brulhois en matière de cépages, je me demande quelle aurait été vraiment la différence.

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