La sommellerie, j’en suis convaincu, n’est pas un métier des plus faciles. Non seulement, il faut être un bon acheteur afin de constituer une carte équilibrée correspondant le plus possible au style de restaurant pour lequel on travaille, ou plutôt à sa clientèle, mais il convient aussi d’être un bon gestionnaire dans le calcul des prix ne serait-ce que pour justifier pleinement l’utilité de son poste ainsi que l’emploi du personnel rattaché à ce service, un second sommelier, par exemple ou un commis. Il faut aussi savoir goûter le vin, le décanter, conseiller en fonction du plat choisi, en tenant compte parfois des préférences, des manies ou des habitudes du client. Être sommelier, c’est savoir jongler, savoir écouter, savoir interpréter. Un peu de Languedoc et de Sud-Ouest roturiers, un soupçon de Loire au milieu de crus huppés drapés de leur suffisance… Du cher pour riches clients, de l’extraordinaire pour l’œnophile exigeant, et du moins cher pour monsieur et madame tout le monde.

Fort heureusement, la mission du sommelier ne s’arrête pas là, comme le montre un petit livre électronique à l’intitulé un brin pompeux : Ma vie, ma passion, livre que je viens de recevoir par l’entremise de son auteur, Jean-Charles Botte, lequel a travaillé dans quelques beaux établissements en France avant de s’épanouir dans son métier en Norvège. Je ne vais pas m’étendre sur l’intérêt qu’il développe dans son ouvrage pour les vins dits « natures » ou « naturels », car cela risquerait d’enflammer les esprits et de donner l’impression que je suis en manque d’audience alors que nous avons été plutôt bien servis de ce côté là pas plus tard qu’hier… En revanche, à la lecture, le livre s’avère fructueux puisqu’il recèle pas mal d’informations et de conseils aussi pratiques que psychologiques, conseils que bien des apprentis sommeliers devraient étudier et prendre en compte. Je ne vais pas les détailler, vous n’avez qu’à acheter son ouvrage en allant sur son site (voir plus haut).
En revanche, j’ai saisi cette perche tendue par le sommelier Jean-Charles Botte pour aller un peu plus loin. Comme dans tout métier de service, la sommellerie déclenche bon nombre d’idées reçues, d’idées toutes faites devrais-je dire, qui font que l’on oublie souvent l’essentiel de sa mission : l’art de considérer au mieux un client qui vient au restaurant non seulement pour dépenser du fric, parfois même ses économies, mais surtout pour se faire plaisir. Réflexion banale, allez-vous me dire. Pourtant, les rares fois où je puis me permettre une sortie dans un restaurant où officie un sommelier, ou une sommelière (de plus en plus fréquent, et c’est tant mieux !), je constate qu’il est franchement difficile de satisfaire un bon-vivant tel que moi. Suis-je trop exigeant ? Trop concerné par les choses du vin ? J’ai déjà évoqué me semble-t-il ce sujet sensible dans l’une de nos premières chroniques, mais je me sens tellement concerné que je souhaite développer pour vous ma façon d’aborder le moment délicat de la confrontation avec un (une) sommelier(ère). Faire ou se faire plaisir ne veut pas dire sombrer dans la facilité, la rapidité, la futilité ou la simplicité. Cela demande un effort. Comme dans l’amour, en matière de choix et de service du vin, les préliminaires sont redoutablement efficaces.

La bouteille connue d’un négociant ou vigneron lui aussi connu, quand il n’est pas encensé par la critique, fait partie de ces facilités qui ruinent mon plaisir. J’aime découvrir. Et si je me risque dans un restaurant, c’est que je tiens à explorer la cave sans m’ennuyer. J’aime jouer. Mais sans me ruiner non plus, car j’aurais alors la désagréable impression de vouloir en mettre plein la vue. M’amuser, sans être sans cesse importuné par les discours qui consistent à réciter des fiches techniques bien apprises. Sans avoir à subir les avis sans appels prononcés par un personnage pédant qui se croit détenteur du savoir bachique. Restons humbles des deux côtés et jouons cartes sur table. C’est pourquoi, même si je suis en charmante compagnie, j’annonce franchement la couleur. Non pas celle de mes sentiments, mais celle de mon portefeuille. Et je dis à l’homme de l’art, avant qu’il nous abreuve de bouteilles d’eaux minérales glacées, que nous sommes ici pour arpenter un chemin vineux tout ce qu’il y a de plus ludique dans l’univers mystérieux des goûts et des saveurs.
Autrement dit, je suis un chaud partisan du vin servi au verre tout en laissant au sommelier le choix des armes. En grande partie, mon plaisir consiste à offrir au sommelier cette possibilité rare de nous étonner. « Allez-y ! Je dispose de tant pour le vin et débrouillez vous ! Étonnez-moi Benoît ! Mais regardez-moi bien avant, ne vous trompez pas de client et faîtes en sorte qu’à l’issue du repas j’éprouve l’irrésistible envie de revenir… » Dans ce jeu-là, un jeu fait d’audaces et d’aventures, le sommelier a tout à gagner. Mois aussi d’ailleurs.

Bien sûr, pour pimenter le jeu du vin, aussi pour laisser la place à la conversation intimiste que je compte avoir avec la personne qui m’accompagne, j’exige, je l’ai déjà dit il me semble, que le service au verre se fasse à l’aveugle et à la bonne température, sans aucune mention de quoi que ce soit ni autres commentaires et dérangements inutiles du style « Alors, Monsieur, ce vin était-il à votre goût ? ». Attention, je n’intime pas au sommelier l’ordre de rester muet. Il peut et doit parler, mais uniquement pour vérifier s’il peut débarrasser tel verre aux trois-quarts vide ou si la température de service me convient. Pour le reste, il fait son show. À moi de savourer ! Si je tombe sur quelqu’un d’intelligent et d’ouvert, sur un sommelier passionné qui joue vraiment le jeu et qui va chercher à me surprendre, quitte à me piéger, quitte même à me servir un rosé de l’Ardèche, alors je ne regrette jamais cette expérience et j’en garde un souvenir ému. J’aime aussi quand, à la fin du repas, avant de régler l’addition, l’homme en noir tend à chacun des convives présents un petit carton imprimé sur lequel figurent les noms de tous les vins goûtés avec les plats, les millésimes et l’identité du vigneron, ainsi que la date de notre dîner. Je trouve cette attention d’un raffinement suprême au point que je suis prêt à décréter que la sommellerie est l’un des plus beaux métiers du monde !
Michel Smith
PS Je ne voudrais pas froisser mes nombreux amis sommeliers en dressant une liste de ceux connus ou méconnus dont j’apprécie le service du vin, liste dans laquelle je risquerais d’omettre untel ou untel. Pourtant, je tiens à déclarer ici même que le premier sommelier, très jeune à l’époque, qui m’a procuré ce goût particulier pour le jeu du vin à table, s’appelle Didier Bureau. Il a d’ailleurs entraîné – il paraît qu’il faut dire coaché – quelques uns de nos champions internationaux. Et comme il a bon cœur, je me souviens qu’il nous servait souvent bien au-delà des limites financières fixées au moment de la réservation. Il n’exerce plus son art en salle et travaille toujours à Paris où il officie pour le compte de la maison de Champagne Duval-Leroy. Respect.
-Une note de tristesse : Marie Richaud, « l’âme » du Domaine Richaud, sis à Cairanne, Marie la douce, Marie l’énergique, Marie qui combat en silence une maladie dévoreuse de forces, Marie s’est envolée. Elle était là encore il n’y a pas si longtemps, vaillante comme toujours, souriante face à mes questions stupides. Elle était là aux côtés de Marcel, son homme. Je m’étais promis d’aller passer une demie journée au moins en leur compagnie cet été. Je ne sais même plus tenir les promesses que je me fais à moi-même, alors c’est grave. Marie, je vais ouvrir une bouteille spéciale ce soir. Rien que pour toi. Et on trinquera pour que Marcel ne soit pas seul face aux vendanges qui viennent en courant. Je pense à vous tous qui travaillez au Domaine Richaud, un domaine que j’ai suivi dès le départ et qui j’en suis sûr vivra, vivra très longtemps.

Beau Ténébreux : je ne peux que confirmer à quel point Didier Bureau, du temps notamment où il oeuvrait avec Meulien au Clos Longchamp à Paris, était un maître fascinant pour éduquer le barbare que j’étais à l’époque.
Une façon facile pour découvrir les capacités d’un sommelier : lui dire le budget maximum qu’on a prévu pour le vin, et lui demander simplement qu’il choisisse, dans sa cave, le vin qui sera alors le meilleur compagnon. j’ai rarement été déçu par ce système de choix du vin !
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Michel, bien d’accord avec toi sur tout ce qui tu dit sur le rôle du sommelier. J’en ai la même attente. Salutations à Didier Bureau aussi, comme à ceux et celles qui respectent le client, ses souhaits et son portefeuille et qui n’étalent pas leur « savoir » .
Pensées pour Marcel Richaud que j’ai vu à Paris il y a peu.
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Où on apprend que Michel Smith va au restaurant pour avoir des conversations « intimistes ». Mais que fait-il dans sa chambre à coucher, alors? Ben, la paella, bien sûr ! Sommeliers de tous pays, unisssez-vous,ou bien il vous demandera de tenir la chandelle. En même temps, il annonce la couleur. Si vous acceptez son invitation à déjeuner ou à dîner … à la casserole! Je m’excuse auprès de Baptiste – car c’est Christine qui les a mis en contact – d’avoir à lire sous la plume de Michel que, un peu comme Jagger et Richard, « he can’t get no satisfaction ». Il suffit pourtant de lui proposer de La Loute!
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Merci pour cet article sur notre passion…Un sommelier à mon avis est quelqu’un qui doit vous donner du plaisir à tous les prix aussi bien les 20-30 euros et les 100 euros…je me rappelle d’une réflexion d’un client de la méditerranée… »Sur 70 références un choix considérable de vins entre 20 et 35 euros et c’est très bien. Car je cherche toujours une bouteille qui ne dépasse pas le prix du menu – 32 euros à cette époque-. » En Norvège ils ont beaucoup d’argent…Mais depuis la baisse du pétrole, les clients achètent moins chers….Les personnes sont souvent surpris d’entendre de ma bouche que j’aime autant vendre un bon vin pas cher qu’un vin cher…du moment que le client parte heureux et revienne…….Comment bien de fois, ils ont été très déçus du prix en voyant l’addition chez plusieurs collègues….
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Merci pour Marie… et pensées pour Marcel qui a su transmettre son amour du vin bien fait (dans la vigne !) aux vignerons et vigneronnes rencontrés, aux amateurs et aussi aux sommeliers !
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