Le hasard fait bien les choses, parfois (la surprise venue des Canaries)

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Lors de mes pérégrinations récentes dans des bars d’une partie de l’Andalousie, à la recherche des Manzanilla et des Jérèz (voir mon article de lundi dernier), j’ai bu, dans un bar à tapas à Granada (La Tana, ci-dessus et très recommandé), un vin rouge qui m’a beaucoup plu.

Il avait un goût que je n’avais jamais rencontré auparavant. Il est difficile de le décrire rétrospectivement, mais il avait une texture assez suave sans être parfaitement lisse, des tanins fins mais assez peu marqués, une acidité suffisante mais relativement faible, un fruité raffiné de bonne intensité, une corpulence moyenne et une très bonne longueur. Il avait aussi quelque chose de légèrement terreux mais pas dans un sens péjoratif.

Dit comme cela, je me rend compte que c’est d’une banalité affligeante et qu’une telle description ne vous donnera aucune notion du goût de ce vin. N’ayant pas pris des notes, je suis incapable de faire mieux maintenant, mais ce vin m’a paru singulier, en tout cas différent de tout ce que j’ai pu déguster avant. Je me demande, en outre, si l’on est capable de décrire les sensations et émotions qui peuvent déclencher un vin au moment de sa dégustation. Les longues liste d’arômes que je vois dénommés parfois me semblent relever d’un fantasme issu des Précieuses Ridicules. Mais mes propres descriptions, généralement bien plus étriquées, ne valent pas mieux !

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Ayant beaucoup aimé ce vin, j’ai demandé à voir le flacon, car le barman de cet excellent bar à tapas, qui était archi-bondé un vendredi soir, m’avait simplement demandé si je voulais mon verre de rouge plutôt suave ou plutôt puissant, ce que je trouve bien plus pertinent que de nommer une appellation ou un producteur.

En regardant l’étiquette je constate que le vin venait des Canaries et, en faisant des recherches, j’apprends que son cépage est le Palomino Negro, aussi connu sous les noms de Listan Negro ou de Listan Prieto. Le Palomino Blanco est la variété de base de la plupart des Jérèz, mais je ne connaissais pas sa variante foncée. Il paraît qu’il est largement planté aux Iles Canaries, avec plus de 5.000 hectares. Il ne s’agit donc pas d’un cépage rare. De plus, les analyses génétiques lui ont trouvé une identité commune, malgré quelques différences due à sa reproduction par semis de grains plutôt que par bouturage, avec le cépage connue sous le nom de Misión, très largement planté en Amérique du Sud et en Amérique Latine, y compris jusqu’en Californie, autrefois.

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N’ayant pas encore eu le plaisir de visiter les Iles Canaries, ma source d’information sur le vin vient du web, et particulièrement du site très bien fait du producteur de ce vin que j’ai tant aimé. Bodegas Viñátigo puise ses racines dans une parcelle de vignes centenaires située près du village de La Guancha, sur la partie nord de Tenerife. Aujourd’hui le domaine possède huit parcelles différentes, dispersées dans des localités variées de Tenerife, mais vinifie également des raisins achetés auprès de vignerons sous contrat avec des objectifs qualitatifs. Le projet de Viñátigo est de rénover la vinification locale tout en préservant l’héritage des variétés locales. Outre le Listan Negro, ils produisent des vins à partir de Gual, Marmajuelo, Vijariego, Tintilla, Baboso, Malvasia et d’autres, parfois réintroduit par eux-mêmes.

Le vin de Viñatigo que j’ai dégusté ce soir-là ne vaut que 10 euros en Espagne et j’en aurais bu la bouteille entière avec plaisir. Je ne crois pas qu’on puisse le trouver en France, mais il est bien diffusé aux USA, parfois au double de ce prix. J’espère pouvoir m’organiser un voyage aux Canaries prochainement et rendre visite à ce producteur.

David

PS. Peut-être que Marie-Louise pourra nous éclairer davantage sur ce producteur et ses vins ? 

16 réflexions sur “Le hasard fait bien les choses, parfois (la surprise venue des Canaries)

    1. winesearcher n’est pas omniscient et souvent à côté de la réalité, j’ai déjà eu le cas pour la Belgique où le référencement n’existait pas pour le site, alors qu’il y avait 2 ou 3 importateurs disséminés dans notre jolie royauté.
      Marco

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  1. Logique, David: la Buena Vida semble bien caractériser le caractère essentiel de la bourgeoisie (« middle-class ») belge. Depuis que Charles est né à Gand (il y a quand même plus d’un demi-millénaire), les Habsbourg ont appris à l’Europe (et accessoirement aux Ottomans, par proximité) comment faire ripaille et bombance. La vraie capitale des Bourguignons, bien avant, avait toujours été Bruges et non Dijon. Et un repas « breuguelien » est plus copieux que son homonyme pantagruélique. Misión me paraît effectivement adéquat; il ferait un bon vin de curé, de diplomate et peut-être même d’urologue, dans sa variété locale appelée Mictión! Et ça marche en anglais aussi: e-Misión.
    Si tu visites les Îles Canaries, prends garde: Laza rotte, Tene te kiffe, la palme revient à la Grande Canarie, La Fuerte, tu t’y aventureras mais Hierro te gommera tout cela vite fait. A la Salud!

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  2. Hélas non, David, je connais les vins pour les avoir gouter dans différents salons, mais pas plus que ça, je n’ai jamais travaillé avec ce domaine dont les vins par ailleurs sont excellents et d’un très bon rapport qualité/prix pour des vins des Canaries. Il travaille des cépages autochtones, mais comme beaucoup de bodegas des Canaries. Dernièrement, ces vins connaissent un succès médiatique important, mais sont très difficiles à vendre dans la Péninsule. Souvent les prix sont élevés et les cépages autochtones comme le Gual, le Baboso, la Tintilla, le Marmajuelo, le Negramoll ou encore le Vijariego n’attirent que très peu les consommateurs. Les conseils d’achat des professionnels ne sont pas suivis, sauf par une frange très étroite d’amateurs.

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  3. Ann Van Steenbergen

    David, peut-être les 5 du Vin doivent visiter une fois les Iles Canaries? En matière vin il y des très belles choses à découvrir (aussi à Lanzarote), mais visiter Juan Jesús Méndez de Viñatigo à Tenerife (aussi El Hierro) est un must!

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  4. Tinta Negra Mole et ses synonymes … Votre amie Jancis lui consacre deux pages et elle a raison. Je pense, avec elle, que la Tinta Negra, t-n-m, Mollar … etc ne sont qu’un seul et même cépage, produisant le pire et le meilleur. En provenance de l’Algarve, je n’en ai jamais bu que le pire et cela a contribué à retarder l’essor des bons vins portugais chez nous car le tourisme des pays du nord de l’Europe, centré autour des aéroports populaires comme Faro, en ramenait cette image. A Madère, même si les producteurs le nient, l’essentiel des vins produits entre la fin du 19ème siècle (et donc encore à la vente) et l’an 2000 sont issus de cette variété, dont seule la durée de vieillissement (et ses conditions) causait les différences de type. Et bon nombre de ces bouteilles sont excellentes. Pour les exemplaires espagnols, je n’en ai aucune expérience.
    Cela nous ramène à la discussion souvent menée avec mon ami (et votre lecteur-commentateur) Denis Boireau. Ne devons-nous pas tous nous tourner – peut-être pas exclusivement ? – vers des variétés spontanément peu suceptibles aux maladies et aux parasites de la vigne, et essayer de les vinifier aussi bien que possible et d’augmenter « l’effet terroir », càd tout ce qui crée les différences entre le même vin issu d’endroits différents, plutôt que de recourir à toutes sortes de produits et d’artifices pour rendre viables les variétés plus fragiles ? Enorme question.

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