L’émergence des vins à petits degrés

Le plus intéressant dans cette tendance dite « No/Low » (en franglais dans le texte), c’est la recherche de vins à petits degrés naturellement acquis.

Après une chronique sur les vins industriels désalcoolisés, je vous emmène dans le plus beau style artisanal. Là où les vignerons peuvent être géniaux, entre ceux qui exploitent au mieux leur terroir frais et ceux qui jouent avec la sous-maturité, les expériences semblent donner la direction d’une nouvelle œnologie, pour un nouveau profil de vin, à la recherche du meilleur goût avec le moins d’alcool possible. Inutile de vous dire que c’est un travail d’équilibriste que seuls quelques fous talentueux commencent à explorer.

Pour rappel, l’alcool est un des piliers de l’équilibre du vin. En duo avec l’acidité pour les blancs et rosés, en trio avec l’acidité et les tanins pour les rouges. On ressent très vite le manque d’alcool qui se traduit par une sensation de plat, de creux et/ou de fade. Un manque compensé par du sucre (20 à 40 g./L) ou/et de la gomme arabique (inodore et insipide) dans les vins désalcoolisés. L’alcool est produit par la fermentation alcoolique des sucres. Plus la maturité du raisin est avancée, plus la quantité de sucres est élevée et plus le taux d’alcool sera fort.

On peut le calculer lors du suivi de maturité, sous le petit nom de TAVP : Titre Alcoométrique Volumique Potentiel. Le manque de maturité amène des goûts végétaux et acides, voire âcres, dans le vin. La problématique est la suivante : comment obtenir un degré d’alcool peu élevé avec un raisin mûr ?

Du côté de Fitou, le soleil tape dur sur la plus vieille appellation en rouge du Languedoc (AOC dès 1948). Il y a deux terroirs géographiques présentés précédemment ici. C’est au bord de la mer que Marie et Laurent Maynadier, vignerons pluriactifs à temps plein et plus, plantent de l’aloé vera, installent l’agroforesterie dans les vignes et mènent d’autres expérimentations pour maintenir leur production malgré le dérèglement climatique, ses sècheresses et ses canicules récurrentes.

J’ai déjà parlé de leurs vins ici, et j’avoue être admirative de leur optimisme et de leur combat permanent pour chercher et obtenir le meilleur de leur terre. J’ai goûté et apprécié leurs grands vins d’AOC mais, lors d’une visite au Domaine, j’ai découvert «Les Pépettes».

Dégustation

Domaine Champ des sœurs, Les Pépettes blanc, Vin de France blanc 2022


Une robe claire et brillante, un doré soutenu qui va bien aux notes fleuries du muscat. On alterne avec les odeurs fruitées de litchi, celles de poire, puis une touche acidulée de rhubarbe. Entre fleurs et végétal, l’annonce d’une douce vivacité. Passée la première surprise que provoque toujours le muscat sec (comme si la mémoire gustative ramenait toujours le muscat au Vin doux naturel), on apprécie le fondant du fruit qui affirme sa légèreté par la fraicheur. Un profil parfait pour ces nouveaux apéritifs légers, fruités et qui plus est, bio et vinifiés sans sulfites. 7 €
muscats, TAV 12% vol.

Les Pépettes d’un rosé clair, accordent délicatement l’amertume avec la rondeur du fruit. A 12% aussi.

Domaine Champ des sœurs, Les Pépettes rouge, Vin de France rouge 2022

Le rouge cerise limpide au reflet violine inspire la légèreté. Confirmé par des odeurs de petits fruits rouges où la fraise joue avec la framboise, s’ajoutent des notes gourmandes de gelée de groseille et encore le bois fraîchement coupé. On garde cet ensemble fruité sur une trame fondante, les tanins ajoutent une épaisseur soyeuse avec une touche de fraiche amertume en final. Un rouge juste mûr qui garde une identité méditerranéenne par sa rondeur fruitée. Chapeau l’artiste!

7€. Carignan et grenache, TAV 12,5%, vinifiés sans sulfites

Laurent dans ses vignes

Quand j’ai demandé à Laurent comment il avait obtenu ces petits degrés, il a répondu «à la dégustation». Pour vous, j’irai un peu plus loin. Le travail commence à la vigne, il faut surveiller la maturité du raisin en le goûtant. Pour le muscat, il doit être aromatique et encore acidulé. Pour le rouge, il doit être fruité mais pas végétal. Chaque jour compte, la maturité évolue très rapidement. La suite se fait en cave. L’assemblage permettra d’équilibrer entre l’aromatique et la tenue de la matière. Pour le muscat, il pourrait y avoir différentes vendanges, plus le muscat est mûr et plus il est aromatique (mais plus il a de sucres/alcool).

Pour le rouge, il faut savoir mettre de côté les moûts de carignan qui apportent des notes de groseilles en début de fermentation et les assembler avec le grenache pour obtenir la rondeur. Tout est une question de dégustation mais avec une matière première adaptée.

 

Vigne du Château Beauregard Mirouze

Près de l’Abbaye cistercienne de Fontfroide, Karine et Nicolas mènent leur vignoble en biodynamie et ils constatent que les vignes semblent mieux résister à la sécheresse, surtout en fin d’été. Le moment de récolte est fondamental et il faut surveiller l’évolution jour par jour. Les Mirouze ne partent plus en vacances début août pour suivre la maturité, ils guettent le moment où le raisin se fait bon. Il faut aussi préparer la cave pour recevoir la première vendange. Les vinifications sont simples et en levures indigènes. Il se pourrait qu’elles produisent moins d’alcool que des levures sèches du commerce*.

Pour le blanc, les vignerons sont plus à la recherche d’un vin léger que d’un «viognier». On ne retrouve pas forcément le caractère opulent et aromatique à ce stade de maturité. Pour le rouge, le cépage cinsault, est plus juteux, que riche en sucre, il faut attendre la bonne maturité des tanins, ni verts mais ni astringents. En cave, les macérations sont courtes, les moûts sont pressés et coulés avant d’extraire trop de couleur et de tanins, mais tout en respectant la dynamique de fermentation.

Dégustation

Rouze 2021, Beauregard Mirouze, Vin de France


Une robe brillante d’un rouge grenat léger. Ça sent bon la cerise et la pomme d’amour, des notes fraiches de bois fumé et une pointe de musc. On est bien dans l’univers fruité d’un vin rouge. La bouche est fine, on retrouve les mêmes aromes, les tanins sont subtils et discrets, le fumé se poursuit en final sur une trame gouleyante.
Le vin supporte d’être refroidi dans un seau à glace par exemple. Il accompagne facilement le repas, même les viandes rouges. 9 €
Le Rouzé, d’un rose saumoné est très proche du rouge et s’apprécie froid.
Cinsault et autres compagnons sur grés ferrugineux du Campanien, TAV 10,5%, Biologique et biodynamique

Blouze 2021, Beauregard Mirouze, Vin de France


La robe dorée est floue bien que brillante, le vin est peu filtré et sans sulfites ajoutés. Le nez est discret, plutôt floral avec des notes de genêt, une pointe de pollen et fruité comme une pomme crue. Le vin est assez vif mais avec une tendresse soyeuse, il laisse une empreinte acidulée en final. Il va très bien sur des repas légers, des fruits de mer et des fromages à pâte fleurie. 9 €
Viognier et autres compagnons sur grés ferrugineux, 12% vol. sans sulfites ajoutés. Biologique et biodynamique

Arrivée sur le plateau calcaire au Château de Chambert

Cahors, Fabrice Durou mène un domaine de 60 hectares à Vire sur Lot, même s’il est très intéressé par ces nouveaux profils de vin, léger et fruité, il doit conduire ses vendanges comme un capitaine son paquebot. Il y a de la matière, des imprévus et un timing serré. Le malbec est suivi comme en laboratoire, avec des capteurs au vignoble. On sait qu’il passe vite, très vite de vert à fruité, puis de neutre à mûr, et encore plus vite de surmuri à confit. Chaque décision en entraine d’autres en cascade. Le Château Gaudou est souvent le premier à vendanger à Cahors, et ce depuis les grands-parents de Fabrice, ce n’est pourtant pas le terroir le plus frais mais ces vignerons ont toujours aimé les vins fins, sans se laisser entrainer dans la mode des vins bodybuildés des années 2000. Aujourd’hui, Fabrice voit tous les avantages de cette récolte précoce. Les degrés sont moins élevés alors que les tanins sont déjà mûrs. C’est un peu par surprise qu’il a découvert l’équilibre de sa grande cuvée «Le sang de ma terre» à 12° mais depuis, il cherche à reproduire ce délicieux profil.

Dégustation

Gaudou, Le sang de ma terre, Grand Vin, Cahors 2021,

Ce grand vin là tutoie les anges, il vole, il s’élève, il inspire, il a tout d’aérien. Sa robe légère qui n’empreinte au Cahors que le rouge. Avec son fruit rouge et acidulé, un peu cerise et beaucoup framboise, il pinote gaiement. C’est fondant en bouche, soyeux et tout en longueur fruitée. Il est aussi bon rafraichi voire froid.
Cette capacité à donner de la fraicheur et du fruit, il la tient de son origine et d’une vinification en douceur. A suivre pour voir si cet ovni saura se reproduire. En attendant, c’est délicieux.
Sélection parcellaire 100% malbec, élevage 9 mois en cuve forme d’œuf, TAV 12%
Une cuvée signée par Fabrice Durou et son complice écrivain Jean-Pierre Alaux coauteur de la série œno-policière «Le sang de la vigne».
https://www.chateaudegaudou.com

Remarque :
*La recherche œnologique cultive des souches de levures à faible rendement alcoolique, elles consomment plus de sucres pour produire moins d’alcool, comme cette Starmerella bacilleris chez Sofralab, une levure non saccharomyces qui annonce produire -2% d’alcool que la traditionnelle Saccharomyces cerevisae.

Suite la semaine prochaine avec d’autres vignerons, d’autres cépages, d’autres histoires

Nadine Franjus

11 réflexions sur “L’émergence des vins à petits degrés

  1. jean-marie PAUL

    Suite à mes dernières explorations , je retiens Pellehaut en Gascogne rouge qui fait 11° ou 11°5 je ne sais plus , agrumes et fruits rouges, 7€ environ

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  2. Merci Nadine pour cette mise en avant de notre travail .
    Je rajouterais juste que les vignes se portent mieux quand on leur enlève les raisins tôt .Cela leur permet de mieux passer l’été et mieux supporter le stress hydrique. Mais je ne sais pas si cette année cela suffira .

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  3. Paul L'Huillier

    Merci pour cet article. Comment ne pas citer à ce sujet les superbes vins de Galice, des Açores et des Canaries qui sont très souvent murs à 10,5/11 d’alcool avec un superbe caractère.

    Et concernant les vins à SR, évidemment les vins de Mosel allemande ou du Burgenland autrichien.

    De superbes régions qui font du vin depuis très longtemps mais qui sont plus que jamais alignées avec les goûts de l’époque.

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    1. Nadine Franjus

      Très juste Paul. Je parlerai de quelques cépages et l’influence du climat dans le prochain article. C’est bien aussi de voir si ces régions qui ont des faibles degrés naturels profitent maintenant de cet avantage.

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