Visite à Madiran

Déguster des vins de Madiran, surtout jeunes, est un vrai exercice de professionnel. Les papilles novices qui s’y frottent ne l’oublient jamais ! Le Madiran n’est pas un vin d’apéro qu’on peut siroter tranquille avant de manger. C’est un vin qui s’épanouit et se révèle à table. Alors la dégustation à l’aveugle dans une salle technique est une mise en pratique hors contexte. Ceci étant dit, j’en ai dégusté une trentaine à Madiran et je me propose de vous raconter cette aventure.

Juger la qualité d’un Madiran revient d’abord à qualifier la texture de ses tanins et comme les autres rouges, son équilibre entre acidité et moelleux et sa longueur en bouche. Je peux dire que cette série était très homogène, avec des tanins plus ou moins soyeux ou crayeux mais toujours fins, plus ou moins de sucrosité en attaque qui joue avec une acidité apportant de la fraicheur et/ou de la tension. Dans les plus jeunes, il est parfois difficile de faire la part des tanins du bois et de ceux du vin. Une belle série donc qui confirme la révolution déjà ancienne de ces vins.

La carte du vignoble – Source Maison des vins Madiran – Pacherenc du Vic-Bihl

L’AOC Madiran se situe sur le piémont pyrénéen, à une cinquantaine de kilomètres au nord de la route de Tarbes à Pau. On voit bien, sur la carte ci-dessus, comment s’est formé le relief de l’appellation: les cours d’eau ont creusé les vallons dans les éboulis pyrénéens et/ou les couches de molasses du Bassin aquitain.

Le Madiran a longtemps été le vin le plus tannique du Sud-Ouest. Dans les années 80, Alain Brumont, vigneron génial et visionnaire, a mis en lumière les amours du tannat avec le bois, puis l’influence des terroirs dans ses vins. Dans les années 90, un ingénieur local, Patrick Ducournau a mis au point la micro-oxygénation qui a permis d’arrondir et de patiner la dureté des tanins. Puis cette technique a eu le succès bordelais qu’on lui connaît, surtout depuis le documentaire de Jonathan Nossiter (Mondovino). Ces deux personnalités ont fait l’histoire et la réputation de Madiran.

Chai Montus – vignoble Brumont

Si la technique de l’ingénieur a perdu de son influence, Alain Brumont est toujours une référence en termes de qualité et de développement. Il n’a jamais cessé d’innover dans son domaine. Depuis cette bascule des années 2000, le Madiran restait un vin traditionnel, puissamment tannique, à boire après sa jeunesse. Aujourd’hui, le profil du Madiran a changé, il y a comme un souffle de finesse, une précision et une fraicheur qui s’allient à une structure élancée. Le Madiran a toujours sa puissance tannique mais le paysan s’est éduqué, ses tanins sont polis, rangés bien serrés, ils forment une trame tout en longueur. Un voyage unique.

Vue du Château du Pouey

En interrogeant les vignerons de Madiran, j’ai découvert une troisième révolution pour l’appellation, après le bois et l’hygiène dans le chai, c’est au vignoble que tout se prépare. Chaque domaine explore les ressources de son terroir et cherche à en tirer sa singularité sans trop intervenir sur le cycle naturel de la vigne. C’est le credo de la jeune génération. On dit aussi que la production se féminise, ce qui doit jouer dans cette progression de la qualité.

Au Château d’Aydie

Dégustation

J’ai retenu beaucoup de vins lors de la dégustation à l’aveugle et j’aimerais vous en faire profiter. Je propose de faire un commentaire court et basé sur les particularités. Je classe en premier les vins les plus immédiats à apprécier. Sans surprise, j’ai lu ensuite que c’était tous des élevages en cuve. Les vins boisés sont en seconde partie, ceux-là se révèlent plus facilement à table et ils peuvent aussi se polir avec le temps.


Un nez floral et fruité de pivoine, de fraise, de prune et de caramel. Tranquillement aromatique. Doux en présentation, il s’impose avec force et douceur avec une tendre acidité fondue. Au final des notes d’eau de vie prune avec le fruit qui revient. Une belle complexité d’arômes et de texture.

Domaine Laffont Bio Madiran AOC Tradition 2017

Joli nez de cassis et groseille avec une touche de framboise. La bouche est souple, avec une belle ampleur, une astringence progressive en même temps que les épices. Fruit, épices et croquant des tanins tout en harmonie.

Château d’Aydie Madiran AOC Cuvée L’Origine 2018

Bien aromatique avec des fruits rouges caramélisés, de la prune et du chocolat, des notes de violette. Attaque douce, trame progressivement tannique, beaucoup de sucrosité puis des épices douces et poivrées. Un vin riche et généreux.

Domaine Damiens Madiran AOC Tradition 2019

Un vin franc. Est-ce la netteté et la finesse des odeurs ?  Il inspire confiance avec des notes d’amande, de fenouil, de cerise, d’herbes camphrées. Beaucoup de sucrosité en bouche mais en bon équilibre avec les tanins. Et une acidité juteuse.  Tout bien.

Clos Fardet Madiran AOC Bel Air Garage 2020

Prune et cerise avec des notes de cassis confit. Plutôt gourmand. Tout en framboise juteuse en bouche avec des tanins bien rangés, denses et serrés. 9€

Un aventure amicale et professionnelle autour de la reprise de vignes abandonnées. Vinification commune dans un «chai de copains». Les premiers vins seront sur le marché cette année, dont cette cuvée prometteuse.

Stratéus Madiran AOC Cuvée Néolithik 2020

Cassis confit et végétal aromatique, on passe de la fraicheur à la vivacité. La bouche surprend par une trame fraiche et acidulée qui se fond puis s’enrichit de sucrosité puis des tanins. Un peu de désordre surprenant mais puissant au final.

Le chai à barriques du Château Montus, alias « La cathédrale du tannat. »

Domaine Damiens Madiran AOC Saint Jean 2018

Encore dominé par le boisé de caramel et d’épices douces avec un peu de cerise noire, mais ça lui va bien. De la fraicheur acidulée et camphrée en bouche avec une matière très tendue, tanins fins mais encore trop fringants. Beau potentiel.

Domaine Capmartin Madiran AOC La Cuvée du Couvent 2017

C’est gourmand avec des amandes grillées et de la cerise au sirop, ça sent le gâteau. Le boisé est encore très présent en bouche avec son velours et ses notes d’épices douces mais l’équilibre est sur la fraicheur. Les tanins sont jeunes, encore un peu austères mais très fins. Un vin bien fait, tout en devenir.

Domaine Laffont Madiran AOC Cuvée Hécate 2017

Un mariage heureux du vin et du bois avec des notes de pain grillé, de pruneaux, caramel et de sucs de viande. Une bonne tension en bouche antre l’acidité, la richesse et les tanins. A apprécier dans cette richesse.

Domaine du Moulié Madiran AOC Cuvée Mademoiselle Chiffre 2017

Pour son équilibre fruité avec une matière tendre et serrée.

La richesse aromatique sur une trame profonde, fine et serrée. Un vin bien fait, tout en réserve, avec de la fraîcheur dans la puissance.

Château Viella Madiran AOC Prestige 2018

C’est gourmand entre prune et amande grillée. Un bouche flatteuse avec du pruneau, de la vanille et une sucrosité de caramel avec des notes d’eau de vie. Beaucoup de finesse.

J’ai aussi goûté leur 2003, année de la canicule qu’on avait classé sans avenir. 18 ans plus tard, le vin est toujours là. Solaire et presque confit au nez, il est tout en gourmandise fondante en bouche. Le tannat semble prêt à défier le réchauffement climatique!

Domaine Labranche-Laffont Madiran AOC Vieilles Vignes 2018

Une expression encore sur le bois, tout en épices douces et du grillé. Bien maitrisé mais dominant. Une impression de puissance retenue.

Domaine Laougué Madiran AOC Arbison 2018

Une robe claire comme un rubis. Un nez de fraise, de violette et de caramel avec de la menthe verte. Petite matière à l’attaque en bouche, puis une structure tanique fine et longue avec des tanins bien présents. On reconnait le corps du tannat mais dans un habit de légèreté. Un Madiran surprenant, déroutant, mais bien bon.

Un modèle de tradition bien comprise. C’est un vin sombre, avec des reflets de jeunesse bleutée. Le vin prend son temps pour s’ouvrir comme s’il réfléchissait encore. C’est en bouche que ce révèle le Madiran, celui-ci se présente en douceur, tout en finesse puis s’égaye de touches acidulées puis viennent les tanins frais et croquants. On sait, par expérience qu’il prend tout son volume à table en compagnie d’un rôti porc noir de Bigorre.

Il y a d’autres vins que j’ai goûtés avec les vignerons et qui mériteraient d’être cités mais j’en parlerai une autre fois, si vous le voulez bien. Par contre, je vous invite à revenir la semaine prochaine pour découvrir les blancs secs produits sur cette même aire d’AOC: les Pacherenc du Vic-Bilh (en sec). A ma grande surprise, ce sont eux qui expriment le plus la révolution du Sud-Ouest.

En guise de conclusion

Il y a quelques années, lors des Vinalies internationales, je me retrouvais à noter des vins noirs et tanniques, entourée de jurés venant de pays plutôt producteurs de blanc ou de rouge léger. Alors, beaucoup ont rejeté avec une grimace ces vins trop astringents pour eux.

Nadine Franjus

4 réflexions sur “Visite à Madiran

  1. tomfiorina

    Brava Nadine. Vos antécédents de vigneronne, prof de dégustation et journaliste se sont réunissent parfaitement dans ce coup d’oeil de la Madiran. J’attends avec impatience la suite sur les blancs secs de Pacherenc du Vic-Bilh.
    J’aimerais avoir plus de précision comment ce terroir de Madiran influence ces vins mais sans doute il faut attendre des articles sur les domaines individuels.

    Aimé par 1 personne

  2. Sophie MUR

    Merci Nadine pour ce voyage tout en gourmandise des vins de Madiran.
    C’est un pays magnifique par sa nature, ses paysages, les gens et son esprit.
    Les vins de ce jour sont plus aimables sans avoir perdu leur personnalité: reste le fruit, les épices, les couleurs denses et profondes, les nez intenses et la bouche riche, friande et tannique.
    Beaucoup de progrès pour gérer les tanins et donc beaucoup de plaisir sans forcément attendre que le vin en cave s’ouvre et s’adoucisse.
    J’attends la suite avec les blancs.

    Aimé par 1 personne

    1. Nadine Franjus

      C’est une pro du vin et du bois qui fait la remarque sur les tanins!!! C’est vrai que les vins sans bois mais bien élevés en cuve sont plus rapidement accessibles. Ils marquent aussi une évolution dans l’élaboration de ces vins. Maintenant que l’on gère mieux l’extraction et l’oxygénation, on trouve des expressions plus fines dans ces vins. Le « besoin en bois » change forcément.

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