#Carignan Story # 176 : dans les profondeurs des racines de Faugères

Si l’on n’en était pas convaincu auparavant, il faut avoir passé un moment avec Bernard Vidal dans les vignes de Cabrerolles plantées sur les schistes, vignes qu’il laisse désormais aux bons soins de ses enfants, pour se rendre compte que Faugères, connu aussi pour sa fine, est un authentique terroir, un « terroir majuscule » selon la formule consacrée dans les magazines à une époque où l’on avait les moyens de parcourir le vignoble. De par son exposition, du fait de sa composition géologique, des altitudes, de son histoire et du travail ancestral des hommes et des femmes, Faugères est probablement l’un des plus majestueux fleurons du Languedoc. Et c’est en passant en revue les pièces de vieilles vignes sous la conduite de Bernard que l’on constate l’intelligence de quelques trop rares vignerons. Ils ne sont guère nombreux en effet ceux qui ont compris bien avant tout le monde l’importance qu’il pouvait y avoir à conserver ici et à en prendre le plus grand soin des vignes de Carignan dont beaucoup sont aujourd’hui centenaires.

Bernard Vidal inspecte les Carignans de La Liquière. Photo©MichelSmith
Bernard Vidal inspecte les Carignans de La Liquière. Photo©MichelSmith

Car à une époque, disons dans les années 50, je crois pouvoir avancer sans que l’on me contredise, que ces coteaux de relative altitude (de 150 à 400 mètres environ) étaient pour la plupart, hormis quelques pièces de Grenache, plantés de vignes de Carignan. Voilà pourquoi, grâce à la perspicacité de vignerons comme Bernard et Claudie Vidal, Faugères reste encore un terroir de tout premier plan. Également, un conservatoire notoire d’un cépage qui se révèle aujourd’hui précieux alors qu’il a bien failli être éradiqué pour toujours au profit d’une trop belle Syrah plantée en courbes de niveau dans les années 70/80 pour succomber à une mode techno-rurale qui consistait à démolir ce qui avait été fait avant pour mettre du neuf à la place. Ce n’est pas tant la technique de plantation qu’il faut mettre en cause, mais plus l’option du « tout syrah » qui aurait pu sonner le glas d’un Carignan pourtant fort à son aise sur le schiste. À mon avis, il ne doit sa survie qu’à sa présence massive : on parle de 80 % de Carignan au début des années 60.

Les vieux Carignans de Faugères : un patrimoine.. Photo©MichelSmith
Les vieux Carignans de Faugères : un patrimoine.. Photo©MichelSmith

Franchement, ils ne sont pas légion ceux qui peuvent aligner plusieurs millésimes en une verticale de Carignan. Avec l’ami Sylvain Fadat, dont j’ai déjà croqué les vins ICI et LA, les Vidal, du Château de La Liquière, sont les rares personnes à pouvoir le faire. Cela commence avec une série de « Vieilles Vignes » démarrée par Jean Vidal, le père de Bernard, dans les années 60 alors que Faugères n’était qu’un vulgaire VDQS, catégorie heureusement aujourd’hui oubliée depuis le passage en AOC en 1985. Jean était une figure du cru dont il était à la fois le fondateur et le président. Avec 60 ha (70 parcelles) certifiés bio (Ecocert) depuis quelques années et une équipe jeune à la tâche – Sophie, œnologue et fille de Claudie et Bernard, Laurent Dumoulin, son mari, lui aussi œnologue, ainsi que le frère de Sophie, François Vidal -, on peut considérer que le quart du vignoble de La Liquière est encore planté en Carignan.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Ce cépage domine, parfois fortement, l’encépagement de la cuvée « Vieilles Vignes » qui produit en moyenne 50.000 bouteilles. J’imagine que c’est le cas dans les millésimes 2002, 2001, 1998, 1997 et 1994 que j’ai pu goûter. Chaque bouteille (bourguignonne) avait son charme (fruit entre cassis et griotte), ses qualités (fraîcheur étonnante), mais aussi pour certaines ses petits défauts (en finale sur 1994 et 2001). 1998 était à mes yeux la plus complète tant pour l’élégance de son nez que pour sa belle acidité qui garantissait encore quelques années de vie. 1997 et 2002 étaient fort appréciés à la fois pour leur persistance et leur matière encore fraîche. Pour 2011 et 2012, le prix de vente départ cave est fixé à 9,90 €.

Photographe passionné, Bernard Vidal immortalise la dégustation organisée autour du Carignan. Photo©MichelSmith
Photographe passionné, Bernard Vidal immortalise la dégustation organisée autour du Carignan. Photo©MichelSmith

Mais la plus « carignanisée » des cuvées du Château de La Liquière est la bien nommée « Nos Racines ». De création récente, elle remonte à 2005 pour être précis et elle est l’apanage de la nouvelle génération qui est fière d’annoncer qu’elle provient à 95 % de Carignans anciens dont deux parcelles plantées avant 1900 sur le territoire de Lanthéric. « Les plus jeunes vignes doivent avoir 80 ans », me précise Bernard Vidal. Chaque année, 8 à 10.000 flacons sont proposés à la vente.

Nos Racines, une cuvée dédiée au Carignan. Photo©MichelSmith
Nos Racines, une cuvée dédiée au Carignan. Photo©MichelSmith

Vendanges manuelles, tri à la cave, égrappage, remontages, pigeages, élevages sur lies fines en cuve, pas de filtration, cette cuvée se veut un hommage aux parents et j’ai eu la chance de profiter d’une verticale édifiante me prouvant une fois de plus les qualités de ce cépage planté sur schiste. Voici mes commentaires dans l’ordre choisi à la dégustation.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

-Faugères 2010 « Nos Racines ». Robe soutenue, solide. Nez épatant sur le fruit rouge et les épices. Bouche dense, mais large, fruitée, équilibrée. Attendre au moins 5 ans. Prévoir un pigeonneau.

-Faugères 2009 « Nos Racines ». Très joli nez complexe où l’on retrouve les épices chaudes que d’aucuns qualifieraient de « minéralité ». Entrée en bouche vive, charnue, ferme, on a des notes « toastées » de raisin jusqu’en finale. Encore pas mal de potentiel. Belle longueur. Un de mes préférés. Sur une côte de bœuf.

-Faugères 2008 « Nos Racines ». Toujours ce très beau nez à la fois terreux et épicé, un peu plus ouvert semble-t-il que le précédent. Très belle matière dense, épaisse, animée et marquée par de beaux tannins. Mon préféré. Là aussi il faut une belle viande saignante.

-Faugères 2007 « Nos Racines ». Encore le même registre de nez mais plus marqué par la finesse. Amplitude en bouche. Belle acidité et matière parfaite agrémentée de tannins fondus. Un de mes favoris. Ce joli vin est presque prêt à boire sur un canard au sang.

-Faugères 2006 « Nos Racines ». Le nez surprend par son élégance et son ouverture. En bouche, le vin semble marqué par un léger excès tannique donnant un caractère rustique à l’ensemble, avec une finale un peu dure. Revu plus tard dans un autre ordre – du plus vieux au plus jeune – il m’a séduit par sa vivacité, mais il restait assez simple. Je le servirais sur un poulet rôti ou un gigot d’agneau.

-Faugères 2005 « Nos Racines ». Millésime inaugurant la cuvée, je trouve que le vin a un peu perdu de sa superbe : le nez est d’un registre moyen, un peu « chien mouillé », le cul entre deux chaises, certainement moins élégant que sur les millésimes qui suivront. Heureusement, c’est plus souriant, frais et large en bouche, quoiqu’un peu sec en finale, au bout de quelques heures d’ouverture.

Carignan et havane ? Pourquoi pas...Photo©MichelSmith
Carignan et havane ? Pourquoi pas…Photo©MichelSmith

Certains de ces vins sont encore à la vente. À titre d’exemples, les millésimes les plus récents (2011 ou 2012) sont proposés au prix très raisonnable de 12,70 € départ cave. Je n’ai pas de conseils à vous donner, mais si vous voulez quelque chose d’authentique dans votre cave, la visite au hameau de La Liquière s’impose ! D’autant qu’en été la région est splendide !

Michel Smith

Un délicieux rosé de schistes pour finir la dégustation... Photo©MichelSmith
Un délicieux rosé de schistes pour finir la dégustation… Photo©MichelSmith

8 réflexions sur “#Carignan Story # 176 : dans les profondeurs des racines de Faugères

  1. georgestruc

    Excellente situation, fort bien décrite, comme d’habitude ! En vallée du Rhône méridionale, dans le Vaucluse, le Carignan était présent dans nos vignes, souvent complanté avec le Grenache et le Cinsault. Un peu d’aramon et quelques cépages « tinturiers » complétaient la palette des cépages dits qualitatifs. Jugé porteur de tanins trop rustiques par certains techno-oenocrates véritables cancres du palais, il a fait l’objet d’arrachages inconsidérés en même temps que les détestables « hybrides » (Couderc et Seibel), et a été remplacé par le cépage « améliorateur » le plus accessible, à savoir la syrah, que l’on a planté n’importe où à cette époque, le vigneron étant uniquement motivé par le fait de remplacer un ou des cépages par un autre.

    Quelques rares parcelles subsistent çà et là, pour le plus grand avantage des vignerons qui les possèdent. Heureux languedociens qui ont su le maintenir et le protéger et merci M. Smith d’en être le chantre avisé.

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  2. Emmanuel

    « Nos racines » n’arrive pas à mon avis à la cheville du Cistus, mais La Liquière reste un domaine exceptionnel. Le Cistus est un des tous meilleurs vins français (au niveau du Volnay et du Petit-Marole de François Lumpp) et on ne dira jamais assez de bien de ses créateurs!

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