Le titre, c’est pour faire joli, car en Côtes-de-Gascogne, on n’en est plus aux promesses: on ne m’a pas attendu pour produire de belles choses – surtout en blanc – et on sait les vendre. Si marge de progression commerciale il y a, c’est plus avec les rouges (la région a peut-être déniché son grand cépage emblématique avec le Manseng Noir) et surtout avec les blancs de Manseng, Petit ou Gros, qui m’ont littéralement bluffé, seuls ou en assemblage, lors de mon passage dans la région, la semaine dernière.
Par une belle matinée d’octobre, au Château d’Arton (photo (c) H. Lalau 2015)
Quelques chiffres
Quelques chiffres, pour situer les choses. L’Indication Géographique de Provenance Côtes-de-Gascogne (c’est son petit nom), ce sont 13.000 ha centrés sur le Gers, avec quelques extensions dans les Landes et le Lot-et-Garonne; 1.100 producteurs, dont 900 coopérateurs, apportant leurs raisins à 6 caves coopératives, et 200 caves particulières, plus une dizaine de négociants.
En termes de production, ce sont quelque 90 millions de bouteilles dont 85% de blanc, 7% de rouge et 8% de rosé. En termes de commercialisation, c’est 70% de ventes à l’exportation, pour 30% en France (et seulement un tiers en GD française).
En résumé, il s’agit de la plus belle réussite commerciale du vin français de ces 20 dernières années. Une réussite d’autant plus spectaculaire que personne ne l’attendait; qu’elle s’est faite avec des cépages méconnus – le Colombard et l’Ugni, au départ; que la lutte est féroce, sur les marchés tiers, avec les blancs du ‘Nouveau Monde’ (Sauvignon de Nouvelle Zélande ou d’Afrique du Sud, Chardonnay du Chili…); et que dans le même temps, des AOC à forte notoriété, comme le Muscadet, ont beaucoup souffert à l’export.
Mais qu’est-ce qui explique ce succès?
L’audace. Et la nécessité.
Au fil des années 1970, les vignerons de Gascogne voient les ventes de leur produit phare, l’Armagnac, s’éroder. Certains décident de se tourner vers le vin. Les cépages qu’ils distillent ne sont pas tous adaptés pour ça; la Folle Blanche est donc écartée, restent le Colombard, qui présente une belle palette aromatique, et l’Ugni Blanc, certes plus neutre, mais qui donne une certaine structure à l’assemblage. C’est sur cet attelage original que parient quelques précurseurs, parmi lesquels la famille Grassa, du domaine de Tariquet (oui, c’est un vrai château, mais les IGP n’ont pas droit au nom de château). Et le pari est audacieux: qui aurait osé miser, à l’époque, sur cette région, au point se se constituer, comme les Grassa, le plus gros vignoble privé de France (1.200 hectares)? Des fous? Des visionnaires?
Les vignes de Tariquet – enfin, quelques unes… (Photo (c) H. Lalau 2015)
Au fait, pour cette fois, épargnez-moi le couplet sur le gros industriel du vin, qui produit de la merde et qui écrase les petits vignerons inspirés. J’ai dégusté 33 blancs de Gascogne à l’aveugle, lundi dernier, et le Classic 2014 de Tariquet est sorti parmi les trois meilleurs. Et ce n’est pas l’ami Michel qui me démentira.
Et puis, deux jours plus tard, j’ai rencontré un des deux fils Grassa, Armin. Rien à redire. Pas de diarrhée verbale, pas de discours expansionniste à caractère pathologique, même pas de « moi, je » à répétition – je connais à Cahors ou à Pézenas des propriétaires à l’ego beaucoup plus encombrant!
Et il n’y a pas que Tariquet qui impressionne, en Côtes-de-Gascogne. Que penser d’un domaine comme Guillaman (90 ha, un vigneron, une vigneronne et trois employés), qui produit (et vend, jusqu’au bout du monde!) quelque 650.000 bouteilles d’une seule cuvée, son Colombard-Ugni Les Pierres Blanches? En plus, là encore, c’est très bon!
Les autres exemples du dynamisme gascon ne manquent pas; je pense à Arton (un superbe endroit: château pour l’Armagnac, domaine pour ses excellents Mansengs et rouges de Syrah-Cabernet); à Magnaut, aussi à l’aise avec le Tannat qu’avec le Manseng, avec les cuvées de plaisir qu’avec les vins plus structurés; à Cassagnoles (comment font-ils pour donner au Colombard cette dimension presque suave?)… et j’en oublie, bien sûr.
Le Château de Cassaigne (Photo (c) H. Lalau 2015)
Une sélection
Alors, pour ne pas trop en oublier, voici ma sélection… sans commentaires de vins. Je laisse à mon ami Marc, qui était également présent lors de ces deux jours en Gascogne, le soin de détailler ses impressions dans une chronique ultérieure (c’est quand il veut).
Juste quelques généralités, donc, pour aujourd’hui:
-Les meilleurs Colombard-Ugni (les cuvées de base, pour la plupart des domaines) sont non seulement vifs et aromatiques, mais aussi légers en alcool et pourtant, structurés – un paradoxe gascon!
-Les Sauvignons sauvignonnent. Les Chardonnays sont corrects, mais pas exceptionnels.
-Plus prometteurs me semblent les Mansengs (Gros et Petit), qui allient les notes de fruits très mûrs, le miel, le coing, la poire, une bonne acidité, et selon les choix du vigneron, une dose de sucre plus ou moins importante, mais toujours superbement intégrée, contre-balancée qu’elle est par l’acidité naturelle du cépage. On les connaissait – et on les appréciait – à Pacherenc et en Jurançon; les versions Made in Côtes-de-Gascogne n’ont rien à leur envier. On en redemande!
Quant aux rouges, n’en déplaise aux chantres de l’AOP (Appel à l’Ordre et à la Prohibition?) qui aiment tant établir des listes de cépages limitatives, voire à préciser des pourcentages de cépages principaux, secondaires ou accessoires (il faut croire que ça fait vivre l’administration), il est heureux qu’ils soient souvent issus, ici, en IGP, d’assemblages originaux: en Côtes-de-Gascogne, on peut en effet assembler cépages atlantiques et méditerranéens, ce qui n’est pas courant.
Au carrefour de cette double influence climatique et humaine, la Gascogne a toutes les raisons de mélanger; d’une part, la grande famille des Carménets (Cabernets, Merlot, Carménère…) est tout aussi gasconne que bordelaise (en fait, elle est originaire du Béarn et du Pays basque). Celle des Cotoïdes (Côt-Malbec, Tannat, Manseng Noir, Prunelard…) est quercynoise… et gersoise. Quant à la Syrah, venant du Rhône, si on la considère comme un cépage « améliorateur » en Languedoc, pourquoi pas en Gascogne?
On attendra de voir ce que donne le Manseng Noir – je n’en ai dégusté qu’une cuvée signée Plaimont; très intéressante, certes, mais où ce cépage était minoritaire.
Cave canem! (Photo (c) H. Lalau 2015)
Assemblages à dominante de Colombard
Domaine de Tariquet Classic 2014*** (contient aussi du Sauvignon), Domaine Guillaman 2014***, Domaine de Miselle*** (contient aussi du Gros Manseng), Domaine de Magnaut 2014***, Domaine du Rey 2014** (contient aussi du Sauvignon Gris), Domaine de L’Herré 2014**, Villa Dria 2014**, Domaine de Ménard Cuvée Marine 2014** (avec Sauvignon et Manseng), Domaine Chiroulet Terres Blanches 2014**, Domaine Saint Lannes 2014**.
Oui, je confirme, j’aime le Tariquet Classic et les Dernières Grives aussi (Photo (c) H. Lalau 2015)
Assemblages à dominante de Manseng (ou Manseng 100%)
Domaine de Papolle Gros Manseng 2014*** (40 g de sucre); Domaine Chiroulet Vent d’Hiver 2011***, Domaine de Pellehaut Cuvée Eté Gascon 2011***, Domaine Saint Lannes 2014***, Domaine d’Arton Cuvée Victoire 2011*** (Gros et Petit Mansengs), Domaine Magnaut Cuvée Équilibre de Manseng 2014***, Domaine de Cassaigne 2013 (20% Colombard)**, Domaine des Cassagnoles Gros Manseng Sélection 2014**, Malartic Vintus 2013 (Manseng Gros et Petit)**, Domaine Les Remparts Gouttes de Lune 2013**, Domaine Picardon La Soleillerie 2014 (Gros et Petit Mansengs)**, Domaine de Maubet 2014**, Domaine de Séailles Orfeo 2014**.
Côtes de Gascogne Rouge
Domaine d’Arton Cuvée Réserve 2012*** et 2010***, Domaine Chiroulet Grande Réserve 2014***, Domaine de Saint Lannes 2004*** (oui, c’est bien 2004!), Domaine de Magnaut L’Esprit Passion Tannat 2011**,
(Merlot-Manseng Noir)**, Domaine de Cassaigne Grand Vin 2013**, Domaine d’Arton La Croix d’Arton 2013**, Les Hauts de Guillaman 2012**.
Qui a dit que la Gascogne n’était bonne qu’à faire des blancs de soif? Pas Chiroulet! (Photo (c) H. Lalau 2015)
Vingt ans après
Au fait, vous connaissez ma théorie sur les beaux paysages qui font les fiers vignerons, et donc les beaux vins; pour saugrenue qu’elle puisse paraître, elle se vérifie encore ici, avec les superbes ondulations de la Gascogne tantôt bossue, tantôt vallonnée, mais jamais monotone – les vins non plus. N’imaginez surtout pas un océan de vignes – ici, il y a de la place, alors les grands blocs de vignobles sont rares. Ce qui n’est pas plus mal pour le viticulteur, ne serait-ce que pour répartir les risques de grêle.
Au retour de ces quelques jours en Gascogne, je me suis dit: mais pourquoi avoir attendu 20 ans pour venir déguster dans ce pays de cocagne?
La réponse est aussi bête que la segmentation des vins en France: c’est qu’il s’agit d’une IGP. D’un ancien Vin de Pays. Et les IGP sont rarement citées sur les cartes officielles. Même dans les guides, on les renvoie souvent aux dernières pages – genre, « si vous passez dans le coin… » On a quand même de la peine à croire que Tursan ou Buzet sont tellement plus intéressants…
Ne cherchez pas les Côtes de Gascogne sur la carte des vins du Sud-Ouest de Hachette: pas d’AOP, pas de mention…
Une petite voix me dit que nous autres journaleux ne sommes pas chargés de la réglementation des vins; que c’est le résultat qui compte; que des Vini da Tavola dament régulièrement le pion à des DOCG, en Italie; que des Grands Crus Classés, à Bordeaux, peuvent déchoir; que ma dernière dégustation de Clos de Vougeot a été pitoyable.
Bref, qu’on s’en fout, des sigles, pourvu qu’on ait du vin, du vrai! Si l’IGP veut dire plus de liberté pour faire des vins qui plaisent, je signe des deux mains. La qualité, ce n’est pas l’élitisme, l’art pour l’art, les querelles sur le sexe des cépages ou la prétendue tradition (qui ne remonte jamais qu’au phylloxéra, de toute façon…).
Allez, parce que c’est vous, la voici, la carte (éditée par le Syndicat)…
Par ailleurs, je rappelle que l’aire des Côtes de Gascogne a été jugée assez qualitative pour abriter deux AOP (Floc de Gascogne et Armagnac). Et que les trois sous-zones qui la composent sont les trois crus de l’Armagnac: Bas Armagnac, Haut Armagnac et Ténarèze. Mais pas question de le mentionner sur l’étiquette d’un IGP, bien sûr…
Quoi qu’il en soit, vive les Gascons et leurs promesses tenues. Vive la Gascogne et vive les IGP!
Hervé Lalau
PS. Merci à Alain Desprats et Amandine Lalanne pour leur professionnalisme; et à tous les vignerons pour leur accueil sympathique, authentique et pas collet monté pour un sou – en un mot, gascon.
1000 merci Hervé…on a tellement besoin de visibilité et reconnaissance…..
Chez Vin, Adour & Fantaisies, on est fou de nos vins, tant et si bien que nous avons ouvert nos caves, en pleine Gascogne, au milieu des Domaines, en se spécialisant sur nos propres appellations, certains locaux nous prenant pour des timbrés v!
Nous sommes en constante promotion et proposition de nos vins de Gascogne, avec plus de 15 Domaines représentés à ce jour sous la même enseigne, sélection en développement chaque trimestre (dernièrement, bienvenue à Chiroulet et Haut-Marin/Ménard).
Adishatz, Viva Gasconha !
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Merci à vous, Eric. A toutes fins utiles, j’ajoute un lien vers votre boutique
http://www.vin-adour-fantaisies.fr/
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GENIAL ! merci Hervé, au plaisir de vous rencontrer si vous revenez dans les parages ou sur un évènement viticole/spiritueux où Vin, Adour & Fantaisies se trouvera…….
Cordialement
Eric
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Merci Michel ! Le moins qu’on puisse dire c’est que ton article est pointu et complet!
Je suis devenue grande fan de ces vins et je ne veux plus boire que ça (en ce moment!), en blancs!
Je garde pour mémoire tes adresses et carnets de dégustation, pour quand je retournerai dans le Gers. Bises
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Ahhh, Michel a partagé cet article sur FB, mais je vois que c’est Hervé, la plume! Merci Hervé, donc !! 😀
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Oui Anne, et j’avais bien signalé comme à chaque fois que l’article était signé Hervé Lalau ! 😉
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Je me suis jetée sur l’article à corps perdu quand j’ai vu de quoi il s’agissait ! 😀 Je garde toutes les infos d’Hervé !
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Que voilà de la belle et solide information ; merci Hervé. En plus, le souffle de l’enthousiasme et de la revendication donnent à ce billet beaucoup de présence et l’envie de découvrir à notre tour ces vins un peu délaissés, voire méprisés…ainsi que leurs auteurs. Bravo !!
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Hervé, qui est cette sympathique dame qui s’est jetée à corps perdu sur toi? Et elle se présente comme la gardienne de toutes tes nymphos, en plus! C’est Madame Lalau qui ne va pas être contente.
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Je suis restaurateur à l île de la réunion et je ne jure que par le domaine de pellehaut
Cordialement
Le canard bourbon
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